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civiles et avec les représentants en mission dans les départements ils étaient, à proprement parler, les ministres de l'intérieur.

Carnot, Prieur (de la Côte-d'Or) et Robert Lindet avaient tout ce qui concerne la guerre ; Carnot, le personnel et le mouvement des armées; Prieur, le matériel et le service des hôpitaux militaires; Lindet, les subsistances, l'habillement et les transports.

Jean-Bon-Saint-André, chargé de l'administration de la marine, était le plus souvent dans les ports.

Prieur (de la Marne), qui présidait aux affaires commerciales, s'absentait aussi beaucoup; de sorte qu'il y eut rarement à Paris plus de neuf membres du gouvernement.

Barère dirigeait les relations étrangères, prenant l'avis du comité réuni sur toute question grave; il y joignait l'administration des beaux-arts et des monuments publics; mais sa fonction spéciale était celle de rapporteur du comité auprès de l'Assemblée.

Ce gouvernement était une dictature collective, anonyme en ce sens qu'aucun des dictateurs ne faisait œuvre distincte et personnelle, les ordres devant être signés par les deux tiers au moins des membres délibérants. Ils habitaient leurs domiciles particuliers, et venaient travailler aux Tuileries avec leurs employés, prenant à peine le temps d'aller chercher leurs repas dans un restaurant du voisinage. Ils recevaient le traitement le plus modeste, n'avaient aucune représentation extérieure; en un mot, tous les soucis, toutes les responsabilités du pouvoir suprême pesaient sur eux, sans qu'ils se fussent réservé aucune des orgueilleuses satisfactions qui en font le prix pour les âmes vulgaires. Deux services avaient été mis en dehors de la sphère d'action du comité : 1° La trésorerie nationale. << Elle demeurera sous la surveillance immédiate de la Convention, » dit le décret d'institution. 2o La jus

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tice. Ce même décret interdit au comité de « décerner des mandats d'amener ou d'arrêt, si ce n'est contre ses propres agents d'exécution. »

La police judiciaire appartenait au Comité de sûreté générale, rouage inférieur du pouvoir exécutif, dont les principaux membres étaient Amar, Vadier, Lebas, Rhul, David, Moïse Bayle. Mais le bureau de police organisé par Robespierre envahit peu à peu les attributions de ce comité, et provoqua des conflits qui aboutirent au 9 thermidor.

Les administrations départementales demeuraient confiées aux deux corps électifs créés par la Constituante: le conseil général et un directoire choisi par ce conseil.

Ajoutez à cet ensemble les représentants en mission, qui portaient aux armées et dans les départements la pensée de l'Assemblée; ajoutez-y l'action incessante et fiévreuse des clubs et des sections de Paris, dont la commune était le foyer.

Telle est la machine gouvernementale qui fonctionna pendant les heures suprêmes de la république. Elle a été admirée par tous les admirateurs du despotisme, par Napoléon surtout et par Joseph de Maistre : « Il faut toujours, dit celui-ci, remonter au comité de salut public, qui fut un miracle, et dont l'esprit gagne encore des batailles. >>

Ce n'est pas à l'école de ces deux hommes que nous demanderons des conseils sur le choix d'un gouvernement. Mais il faut reconnaître que celui du comité n'aurait pas triomphé de si grands obstacles s'il n'eût été merveilleusement organisé pour sa mission.

Un célèbre orateur contemporain, élevé par le sentiment patriotique au-dessus des dissidences d'opinion et des haines de parti, Berryer, poussa un jour ce cri de l'âme : « Je n'oublierai jamais que la Convention a sauvé mon pays! »

CHAPITRE IV

LA CAMPAGNE DE DIX-SEPT MOIS

Au moment où le comité de salut public entra en fonction, nos armées étaient désorganisées ou forcées à la retraite; la place de Condé était occupée par les Autrichiens, celle de Valenciennes par les Anglais, celle de Mayence par les Prussiens; les coalisés assiégeaient Maubeuge, notre dernier rempart peut-être; ils avaient établi un camp entre Péronne et Saint-Quentin. D'un autre côté l'insurrection gagnait du terrain en Provence, dans la Gironde, la Vendée, la Normandie; elle n'avait que peu de distance à franchir pour donner la main aux étrangers: somme toute, soixante départements en proie à l'invasion ou à la guerre civile. « Jamais Etat ne se trouva dans une situation plus alarmante et ne parut si près de sa ruine, » dit un historien militaire (Jomini).

Frappés de ces dangers imminents, les commissaires des assemblées primaires de toute la France, réunis à Paris pour l'acceptation de la constitution nouvelle, demandèrent une levée générale des citoyens en état de porter les armes. Devant la hardiesse d'une pareille mesure, la Convention hésitait; elle en renvoya l'examen au comité de salut public. C'est alors que Carnot

y fut appelé; et deux jours après était rendu le décret de la levée en masse. « Il a sauvé la France, » s'écriait cinq ans plus tard le général Jourdan. Et Durand de Maillane, un écrivain ennemi de toute exagération : « Les suites de cette loi furent prodigieuses; la république lui dut sa conservation et ses victoires. »

Les trois membres du comité de salut public spécialement chargés des services militaires, Carnot, Robert Lindet et Prieur (de la Côte-d'Or) se mirent aussitôt à l'œuvre. Il fallait unifier les éléments les plus divers, amalgamer les conscrits du jour avec les conscrits de toutes les dates et de toutes les origines. Carnot donna de l'homogénéité à ce chaos; il fouilla les rangs pour en faire émerger les supériorités, composa d'excellents états-majors, et mit à la tête de nos bataillons républicains ces généraux inconnus la veille, qui ont jeté tant d'éclat et assuré l'indépendance de la patrie.

A ces jeunes chefs, à ces soldats improvisés, l'ancienne tactique ne convenait plus: elle les eût placés dans une condition d'infériorité, devant les vétérans de la Prusse et de l'Autriche. Il leur fallait un mode de combat inusité, qui déroutât de tels adversaires et qui donnât carrière à l'impétuosité de notre jeunesse; il fallait à celle-ci de prompts succès pour lui inspirer confiance dans ses forces.

La France va présenter un spectacle unique dans l'histoire la nation formera une seule armée, ayant son quartier général à Paris; l'impulsion partira du palais des Tuileries où siège le comité de salut public; et les quatorze phalanges guerrières chargées de défendre le sol national agiront seules ou combinées, comme autant de régiments sur un champ de ba

taille.

La science dirigeant l'enthousiasme tel est le caractère de l'oeuvre militaire qui sauva le territoire. Un exemple en quelque sorte plus beau fut donné:

1

c'est celui des citoyens qui formèrent entre eux des syndicats et cultivèrent les champs délaissés par les laboureurs absents pour le service de la patrie.

L'effectif de nos soldats était en février 1793 de 228, 000; il alla croissant jusqu'à un million vingt-six mille, en septembre 1794. C'était insuffisant pour faire face à la multitude des assaillants sur toutes les frontières à la fois. Il fallut doubler, tripler ces forces par la rapidité des évolutions, en fusionnant promptement plusieurs armées dans une seule main, de manière à se trouver tout à coup supérieur à l'ennemi, dans l'endroit où l'on voulait triompher.

Les grands capitaines ont souvent pratiqué la méthode de concentrer leurs forces sur un point du champ de bataille, pour s'y assurer une victoire complète, et rendre insignifiants les avantages partiels obtenus ailleurs par l'adversaire. La nouvelle stratégie, c'est son mérite, transporta cette méthode sur un théâtre immense, embrassant le pays tout entier.

Ce qui lui donna une valeur formidable, c'est l'unité; unité à laquelle les généraux de la coalition opposaient des volontés isolées, souvent rivales; c'est la confiance enthousiaste que cette manière de combattre en masse inspirait aux soldats : ils se croyaient invincibles.

L'intérieur de la France ne déployait pas moins d'activité que ses frontières : nos savants les plus illustres, Monge, Berthollet, Guyton de Morveau, enseignaient la fabrication de la poudre et des canons; Prieur montrait comment on lessive les caves pour en extraire le salpêtre; et les citoyens apportaient triomphalement à la Convention le fruit de leur travail. Une manufacture générale d'armes s'était établie sur l'esplanade des Invalides, dans le jardin du Luxembourg et sur d'autres emplacements; 258 forges y fonctionnaient, dirigées par les plus habiles ouvriers de Paris;

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