Images de page
PDF
ePub

exécutif. Ces inspecteurs (cinq pour chaque conseil) exerçaient des fonctions correspondantes à celles des questeurs de nos assemblées. Ils avaient des généraux : Pichegru, Willot et Ramel, ce dernier commandant la garde du corps législatif.

La crise paraissait imminente; mais l'anxiété, en se prolongeant, devint une habitude qui endormit les précautions. Les triumvirs, ayant préparé leur criminelle entreprise, attendaient, pour la mettre à exécution, que la présidence trimestrielle de Carnot fût expirée, afin d'avoir les coudées plus franches.

Il leur fallait un général. Kléber avait répondu brutalement à leurs ouvertures : « Je tirerai sur vos ennemis, s'ils vous attaquent, mais en leur faisant face, je vous tournerai le dos. » Ils craignaient Hoche, trop sincère démocrate, qu'ils avaient un moment abusé; Moreau, à cause de sa modération; Bonaparte, à cause de son ambition. Celui-ci leur envoya l'homme qui leur convenait, Augereau, un véritable condottiere, fougueux révolutionnaire, qui disait hautement: « Je suis envoyé pour tuer les royalistes. >> On le nomma commandant de Paris.

Dans la nuit du 17 au 18 fructidor (4 septembre 1797), le lieu des séances des deux conseils ayant été militairement investi, les députés qui s'y présentèrent furent repoussés par des baïonnettes; plusieurs officiers généraux, dont on redoutait l'influence sur l'armée, furent mis en arrestation. Carnot, désigné au même sort, parvint à s'échapper. Il n'en fut pas de même de Barthélemy. Augereau avait fait occuper les principaux points de Paris; des proclamations du Directoire, affichées sur les murs, annonçaient la découverte d'un grand complot en faveur de Louis XVIII, et menaçaient de mort quiconque tenterait une restauration de la royauté, ou quiconque voudrait rappeler la Constitution de 1793; la soldatesque, excitée par ses chefs

et par des distributions de vin, portait partout la ter

reur.

Les deux Conseils, moins ceux de leurs membres qu'on avait arrêtés, furent réunis hors de leurs locaux habituels, les Anciens dans l'amphithéâtre de l'Ecole de santé, les Cinq-Cents à l'Odéon.

Là, on leur fit annuler les opérations électorales de quarante-huit départements, et décréter l'incapacité politique de ces départements, où, pendant six mois, le pouvoir exécutif nommerait aux fonctions réservées par les lois à l'élection. On leur fit voter la suspension de la liberté de la presse, la faculté au Directoire de mettre les communes en état de siège, de dissoudre les sociétés politiques et d'ajourner toute organisation de garde nationale; on leur fit voter la déportation des deux directeurs Carnot et Barthélemy, de 53 membres du Corps législatif, des propriétaires et rédacteurs de 42 journaux et d'un certain nombre d'autres citoyens. «Le sang n'a pas coulé ! » s'écriaient hypocritement les proscripteurs; comme si Cayenne n'était pas un lent échafaud.

Voilà ce que fut la journée, ou plutôt la nuit du 18 fructidor an V. Elle accabla les royalistes; mais elle fut encore plus nuisible à la République en accoutumant la nation à la violation des lois.

Ici se termine la période constitutionnelle du Directoire, puisque lui-même vient de déchirer sa constitution.

CHAPITRE X

DU 18 FRUCTIDOR AU 18 BRUMAIRE

Pour juger un pareil coup d'Etat, ne demandons pas dans quel intérêt il fut accompli; ne demandons pas quels furent les vainqueurs, quels furent les vaincus; écartons des balances de la justice le poids de nos opinions et de nos passions; et n'hésitons pas à dire hautement, comme le dira l'histoire : Quiconque approuve le 18 fructidor a perdu le droit de blâmer les gouvernements insurgés contre les institutions nationales.

La France cependant avait une telle appréhension d'être ramenée à l'ancien régime, qu'en voyant frapper les contre-révolutionnaires elle applaudit, sans songer à quel prix et par quels moyens la victoire était achetée. Mais son instinct moral l'avertit qu'une date pareille ne devait pas être consacrée; et la proposition d'instituer une fête anniversaire du 18 fructidor échoua, bien qu'on la présentât comme une fête à la modération.

Le régime légal était anéanti: cette journée ne permettait plus de procéder que par des journées.

On avait arbitrairement annulé les élections royalistes de l'an V en l'an VI il faudra annuler les élections révolutionnaires (coup d'Etat du 22 floréal : le Directoire CARNOT.

18

contre le Corps législatif). En l'an VII, deux membres du Directoire seront déclarés incapables de gouverner et dépossédés de leurs sièges (coup d'Etat du 30 prairial : le Corps législatif contre le Directoire). Ainsi sera préparée la journée du 18 brumaire, destruction du pouvoir des directeurs par un acte analogue à celui qui l'avait fondé. « Il parut simple alors qu'un chef militaire adoptât une mesure que des magistrats s'étaient permise, » dit Madame de Staël.

Les vainqueurs de fructidor comprenaient si bien qu'ils venaient de faire un pacte avec l'arbitraire, qu'il fut question de suspendre l'action du Corps législatif jusqu'à la paix générale, en investissant le Directoire d'une sorte de dictature temporaire. De fait, les conseils furent entièrement subalternisés, et l'institution parlementaire supprimée pendant plus d'un an.

La remise en vigueur des lois contre les émigrés et les prêtres donna lieu à de sanglantes exécutions, même à Paris; la loi des otages remplit les prisons. Arme dirigée contre la chouannerie, cette loi faisait peser la responsabilité des insurrections sur toute personne que l'on présumait devoir les approuver. Quant à la proposition de bannir les nobles en masse, si elle fut repoussée, c'est parce qu'elle aurait frappé Barras et Bonaparte, tous deux ci-devant nobles, et auteurs plus ou moins directs de la conspiration triomphante.

Pour réparer le délabrement des finances, on imagina de mobiliser la dette publique; c'est-à-dire qu'on en remboursa les deux tiers par des billets admissibles en payement de biens nationaux, tandis que le dernier tiers fut, comme on dit alors, consolidé par des inscriptions sur le grand-livre. Les nécessités politiques expliquent cette mesure; mais elle ruina une foule de citoyens, et resta longtemps impopulaire, avec l'épithète de Banqueroute.

Puis on augmenta les charges publiques, par une

taxe sur les routes, par un droit de timbre sur les feuilles périodiques, par un nouvel impôt sur le tabac étranger, par le rétablissement des droits d'entrée aux barrières de Paris, dont l'abolition, en 1790, avait inspiré des réjouissances populaires.

Puis on restaura la loterie, cette machine à battre monnaie dont la monarchie avait tant abusé; la Convention l'avait supprimée en l'appelant «< une invention du despotisme, destinée à faire taire le peuple sur sa misère ». Nous avons négligé de mentionner cet acte de moralité dans l'énumération de ses bonnes œuvres.

M. Thiers, après avoir tracé un tableau de la France telle qu'elle était à la veille du 18 fructidor, apaisée au dedans, victorieuse au dehors, s'écrie:

« A quelle époque notre patrie fut-elle plus belle et plus grande ? Les orages de la Révolution paraissaient calmés; les murmures des partis retentissaient comme les derniers bruits de la tempête on regardait ces restes d'agitation comme la vie même d'un Etat libre. Le commerce et les finances sortaient d'une crise épouvantable; le sol entier, restitué à des mains industrieuses, allait être fécondé. Un gouvernement composé de bourgeois, nos égaux, régissait la République avec modération; les meilleurs étaient appelés à leur succéder. Toutes les voix étaient libres. La France, au comble de la puissance, était maîtresse de tout le sol qui s'étend du Rhin aux Pyrénées, de la mer aux Alpes. Elle était resplendissante d'une gloire immortelle. Ce ne fut là qu'un moment; mais il n'y a que des moments dans la vie des peuples, comme dans celle des individus. »

Et Madame de Staël résumant son opinion : « Les vingt premiers mois qui succédèrent à l'établissement du Directoire présentent une période d'administration singulièrement remarquable. La dernière moitié de l'existence de ce gouvernement a été si misérable, sous

« PrécédentContinuer »