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A Londres, à Dublin, à Hambourg, en Hollande, fut également célébré l'anniversaire du 14 juillet; on porta des toasts à l'extinction des haines nationales; la Fédération française devenait la Fédération européenne. Quel beau jour!

CHAPITRE VI

DE LA FÉDÉRATION A LA FIN DE L'ASSEMBLÉE
CONSTITUANTE

Cette éclaircie ne fut pas de longue durée : elle ne pouvait plaire aux hommes qui regardaient la Révolu tion comme un accident, ou qui maudissaient en elle le renversement de leurs droits légitimes; ils n'acceptaient pas plus pour alliés ceux qui voulaient borner là le progrès démocratique que ceux qui entendaient le poursuivre : une marche en arrière pouvait seule les contenter.

La lutte redoubla donc d'acharnement.

Journaux et pamphlets pullulèrent du côté des révolutionnaires : le Point du jour, commencé par Barère à l'ouverture des états généraux, le Courrier de Provence par Mirabeau, le Courrier de Brabant par Camille Desmoulins, l'Ami du peuple et l'Orateur du peuple par Marat et Fréron, les Révolutions de Paris, le plus répandu de tous les journaux, par Loustalot: (il s'en imprima jusqu'à 200 000 exemplaires).

Du côté des royalistes, l'Ami du roi par l'abbé Royou, l'Apocalypse, les Actes des Apôtres, le Journal des Halles.

Les écrits de ce parti, qui surpassaient en cynisme

injurieux ceux des révolutionnaires, étaient largement subventionnés par la liste civile; c'est ce que nous apprennent les aveux de deux ministres, Montmorin et Bertrand de Molleville. Ce dernier énumère également ce que coûtèrent à la cassette royale les premières piques et les premiers hurlements des sections et des tribunes; car il s'agissait de dégoûter la Révolution d'elle-même.

Les clubs aussi se multiplièrent et servirent d'aiguillon à l'Assemblée. Beaucoup de ses membres les fréquentaient, du moins ceux de l'opinion avancée, et ils se tenaient ainsi en utile communication avec le sentiment national. Les questions s'y débattaient et arrivaient déjà préparées à la discussion parlementaire. Quelques-uns de ces clubs avaient un but spécial, comme la liberté de la presse, l'abolition du droit d'aînesse, etc.; d'autres embrassaient tout le champ de la politique. La Société des amis de la Constitution, fondée à Versailles sous le nom de Club breton par des députés de la Bretagne, et qui emprunta celui de Club des Jacobins au local où elle vint siéger à Paris, engendra dans les départements une foule de succursales. Simple locataire dans l'église de l'ancien couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré, elle y tenait ses séances sous des voûtes tristes et pauvres, au milieu de vieux tombeaux. C'est là que retentirent des paroles souvent transformées en actes dans les rues de Paris. A mesure que les partis se divisèrent à la Constituante, ils se divisèrent aussi chez les Jacobins les royalistes constitutionnels allèrent fonder un nouveau cercle, la Société de 1789, dans un très beau local, celui des anciens moines feuillants, qui communiquait directement par des couloirs à la salle de l'Assemblée; le simple nom de club des Feuillants remplaça bientôt l'autre. Mais les départements demeurèrent affiliés aux Jacobins, où la domination passa aux

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hommes les plus actifs, les plus ambitieux, et surtout au plus actif, au plus ambitieux, à Robespierre. A mesure que la vie quittait l'Assemblée, elle refluait aux sociétés populaires, et de préférence aux plus ardentes; vers la fin, beaucoup de Feuillants étaient rentrés à leur bercail primitif des Jacobins.

A l'Assemblée même, les querelles se traduisirent par un langage véhément et par quelques duels entre députés. On s'y groupait en deux camps, désignés par la place qu'ils occupaient à l'égard du fauteuil présidentiel, le côté droit, le côté gauche; cette division se fit dans toute la France, et les mêmes noms ont toujours servi depuis à distinguer deux opinions : celle des adversaires de la Révolution et celle de ses partisans.

Pourtant les idées tout à fait rétrogrades n'osaient guère se produire au sein de l'Assemblée : Duval d'Eprémesnil, ce parlementaire qui avait pris, quelques années auparavant, une attitude si frondeuse, ayant un jour proposé naïvement de retourner à l'ancien régime, ceux-là mêmes qui, au fond du cœur, peut-être, ne le désapprouvaient pas, l'accueillirent avec des éclats de rire. C'était la boutade d'un enfant terrible. Les anciens parlementaires, après avoir les premiers fait appel aux États généraux, voyant se constituer une magistrature régulière, produit de l'élection, se jetèrent avec violence dans la voie rétrograde. Ils protestèrent, non seulement contre la dissolution des parlements, mais contre « tous les actes d'une prétendue assemblée, qui abusait de ses pouvoirs et violait les propriétés de tous genres ». Quelques-unes de ces protestations furent rendues publiques, d'autres tenues secrètes; celle du parlement de Paris demeura entre les mains du président de Rosambo, chez lequel on la trouva en 1793.

Dans l'armée, la dispute régnait entre les officiers,

la plupart gentilshommes, fort irrités contre les réformes, et les soldats, presque tous très dévoués au nouveau régime, peu disposés à supporter des traitements sévères ou humiliants. De là beaucoup de scènes d'insubordination. La plus fameuse et la plus triste est celle qui éclata à Nancy, au mois d'août 1790. Les soldats suisses du régiment de Chateauvieux, croyant avoir à se plaindre de la gestion de leurs intérêts, demandèrent une reddition de comptes qui fut repoussée avec dureté. Ils se révoltèrent et furent cruellement réprimés, vingt-sept pendus, quarante et un condamnés aux galères. Emotion et irritation profonde dans toute la France.

Le décret qui supprimait les titres, les armoiries et les livrées, bien que proposé par des députés de la haute noblesse, avait soulevé plus de mécontentements batailleurs que l'abolition même des privilèges féodaux, dont il était la conséquence : les vanités sont plus irritables encore que les intérêts.

Mais le clergé surtout se montra hostile à l'ordre nouveau. Les curés, suscités par leurs évêques, dont ils colportaient les paroles et les mandements incendiaires, allaient accusant l'Assemblée de vouloir détruire la religion; ils damnaient les acquéreurs des biens de l'Eglise et leur postérité, discréditaient les assignats au nom du Ciel, et prêchaient le refus de l'impôt. Le confessionnal devenait un foyer de conspiration et la chaire une tribune d'insurrection. C'est l'Eglise qui déclara la guerre à la Révolution; et, pour ne laisser aucun doute à cet égard, quand ses efforts et ceux de la noblesse réussirent à soulever nos provinces de l'Ouest, l'armée contre-révolutionnaire prit le nom caractéristique de catholique et royale.

Les agents des princes et de l'émigration sillonnaient le midi de la France; ils y déterminèrent la formation d'une armée soi-disant fédérale, qui établit son quar

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