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farce du moyen âge: elle parut la régulariser plutôt que la supplanter. Elle s'appuya aussi de l'exemple des comédies italiennes. Jean de la Taille, dans ses Corrivaux, la première de nos comédies régulières en prose, suivit tour à tour les traces de l'Arioste, de Machiavel et de Bibbiena. Larrivey, qui mérite, après l'auteur de Patelin, d'être regardé comme le meilleur comique de notre vieux théâtre, déclara ouvertement l'intention d'imiter les poëtes comiques de l'Italie, et il le fit souvent avec succès1. Aussi, « à part une immoralité grossière, les comédies de cette époque ne manquent pas de mérite et d'agrément. Un vers de huit syllabes coulant et rapide, un dialogue vif et facile, des mots plaisants, des malices parfois heureuses contre les moines, les maris et les femmes, y rachètent pour le lecteur l'uniformité des plans, la confusion des scènes, la trivialité des personnages, et les rendent infiniment supérieures aux tragédies du même temps2. »

Dubartas; d'Aubigné.

Les disciples de Ronsard à Paris sentirent où était la vraie supériorité de leur maître et le suivirent volontiers dans la poésie légère et tendre. Du Bellay, Belleau, Guy de Tours, Desportes, pindarisèrent peu; ils se contentèrent de pétrarquiser. Il n'en fut pas de même en province : il s'éleva, loin de la Pléiade, un poëte qui trouva le moyen d'exagérer encore le faste pédantesque du réformateur. Dubartas enfanta, sous le titre de la Création du Monde, ou la Semaine, une véritable encyclopédie poétique où n'entre rien moins que l'univers, depuis les étoiles fixes jusqu'au dernier insecte. Toute la physique de l'antiquité et du moyen âge, toute la cosmogonie de la Bible et d'Ovide sont enchassées dans des vers d'une incroyable emphase. On a dit avec esprit que c'est la création du monde racontée par un Gascon. C'est bien Dubartas dont la muse en français parle grec et latin; c'est lui qui peint, ou du moins qui nomme

4. Lui-même était Italien, et se nommait Giunti ; son nom français Larrivey (l'arrivé) n'est que la traduction du nom de sa famille

2. Sainte-Beuve, ouvrage cité.

3. Né près d'Auch en 1544; mort en 1590.

Apollon porte-jour; Herme, guide-navire;
Mercure échelle-ciel, invente-art, aime-lyre....
La guerre vient après, casse-lois, casse-mœurs,
Rase-forts, verse-sang, brûle-bois, aime-pleurs.

Avec ses grands mots et ses interminables descriptions, Dubartas a de la verve, des idées nobles, un enthousiasme vrai et communicatif. Son ouvrage eut trente éditions en dix ans, fut traduit dans presque toutes les langues, et il continue à jouir d'une grande réputation chez nos voisins d'outre-Rhin, moins choqués que nous des monstruosités de son langage.

Il est encore un poëte, bien plus remarquable, à notre avis, que Dubartas, qui, loin de la capitale, au sein d'une vie agitée et guerrière, conserva jusque dans la première partie du dix-septième siècle la langue rude, obscure, inégale, mais énergique et puissante des commencements de Ronsard. C'est Agrippa d'Aubigné, auteur d'une histoire universelle, d'intéressants mémoires et de pamphlets pleins de malice1. Protestant dévoué, il a reçu de ses convictions, de ses haines vigoureuses contre un catholicisme persécuteur, une inspiration ardente, que les poëtes du seizième siècle ignorent presque toujours. Ses Tragiques, satire religieuse et politique, incohérent mélange de mythologie grecque, d'allégorie morale et de théologie, s'illuminent souvent d'éclairs d'indignation, et présentent à l'admiration de la critique les plus mâles beautés. L'esprit hébraïque y respire, dit M. Sainte-Beuve, pareil à cet esprit de Dieu qui flottait sur le chaos. Au contraire des poëtes contemporains, adorateurs exclusifs de la forme, d'Aubigné, comme les prosateurs, s'attache à la pensée, il la saisit et la dompte avec une telle puissance qu'il la contraint presque de se courber sous la rude enveloppe de son langage. On sent ici le voisinage du grand siècle; l'union de l'idée et de la forme est presque accomplie. Ici, comme dans la prose, c'est encore la forme

1. Né en 1550; mort en 1630. Principales œuvres: Histoire universelle de 1550 à 1601.-Mémoires. -Aventures du baron de Fæneste.- La confession de Sancy. Les Tragiques données au public par le larcin de Prométhée; au Désert. 1616. M. L. Lalanne a donné en 1857 une nouvelle édition des Tra giques, et en 1854 la première édition exacte des Mémoires.

qui pèche. Elle trahit encore le tumulte d'une époque de désordre et de confusion. Le poëte le déclare lui-même:

Si quelqu'un me reprend que mes vers échauffés
Ne sont rien que de meurtre et de sang étoffés.
Qu'on n'y lit que fureur, que massacre et que rage,
Qu'horreur, malheur, poison, trahison et carnage,
Je lui réponds: ami, ces mots que tu reprends
Sont les vocables d'art de ce que j'entreprends.
Les flatteurs de l'amour ne chantent que leurs vices,
Que vocables choisis à peindre les délices,

Que miel, que ris, que jeux, amours et passe-temps:
Une heureuse folie à consumer le temps....

Ce siècle, autre en ses mœurs, demande un autre style:
Cueillons des fruits amers desquels il est fertile.
Non, il n'est plus permis sa veine déguiser,
La main peut s'endormir, non l'âme reposer.

Qu'il est beau néanmoins, quand sa pensée, dissipant les nuages d'une expression laborieuse et triste, éclate tout à coup, comme un glaive qui sort du fourreau! avec quel enthousiasme il glorifie les martyrs étouffés dans les flammes des bûchers!

Les cendres des brûlés sont précieuses graines,
Qui, après les hivers noirs d'orage et de pleurs,
Ouvrent, aux doux printemps, d'un million de fleurs
Le baume salutaire, et sont nouvelles plantes,
Au milieu des parvis de Sion florissantes.
Tant de sang, que les rois épanchent à ruisseaux,
S'exhale en douce pluie et en fontaines d'eaux,
Qui, coulantes aux pieds de ces plantes divines,
Donnent de prendre vie et de croître aux racines.

CHAPITRE XXVIII.

ACCOMPLISSEMENT DE LA RÉFORME LITTÉRAIRE

Régnier. Malherbe.

Bégnier.

Il était évident que la réforme de Ronsard et de la Pléiad n'était pas définitive. C'était un effort violent qui succédait une torpeur extrême: la révolution avait passé le but san l'atteindre. Il lui fallait un modérateur. Elle en eut deux Régnier et Malherbe: tous deux doués d'un talent original tous deux grands écrivains, l'un plus poëte, l'autre plus gram mairien; tous deux réformateurs, l'un par instinct, l'autr par système. Ni l'un ni l'autre n'eurent pleine conscience d leur œuvre; Régnier crut défendre Ronsard, par attachemen pour Desportes, son oncle: en réalité il défendit et reprodui sit Marot, dont il avait la libre allure, avec plus d'énergie e de couleur. Malherbe crut ruiner l'école de la Pléiade et se innovations gréco-latines; il en assura le succès en le réglant Vainement biffa-t-il tout Ronsard, il n'accomplit pas moin ce que Ronsard avait tant souhaité; il donna à l'idiome vul gaire toute la noblesse des langues antiques.

Régnier1, par inspiration vraie, par nonchaloir, par insouciance, par abandon à la bonne loi naturelle, revint au simple, au vrai, et rentra sans le savoir dans la vieille école gauloise, qu'il enrichit toutefois d'heureuses imitations. Il suivit par génie l'excellent précepte de du Bellay; il transforma en soi les meilleurs auteurs, et, après les avoir digérés, les

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1. Mathurin Régnier, né à Chartres en 1573, chanoine de l'église de NotreDame en cette ville, mourut à Rouen en 1643.- OEuvres : seize satires, trois épftres, cinq élégies, odes, stances, épigrammes.

convertit en sang et nourriture. » Il fut le premier en France qui écrivit de véritables satires à l'imitation d'Horace et des poëtes bernesques1. Mais son imitation n'était plus le calque! servile imaginé par la Pléiade, c'était la féconde émulation, la puissante rivalité du talent. Régnier, il est vrai,

Règle sa médisance à la façon antique;

mais les ridicules et les vices qu'il fait poser devant nous n'ont plus rien de latin; ce ne sont pas les contemporains l'Auguste, mais bien ceux de Henri IV. Ne reconnaissez-vous pas ce hobereau

Au feutre empanaché, relevant sa moustache;

et ce poëte crotté, qui, alléché par les succès de Desportes et de Bertaud,

Méditant un sonnet, médite un évêché?

Plus loin, voici le disciple de Barthole, qui,

Une cornette au col, debout dans un parquet
A tort et à travers va vendre son caquet;

ou bien le médecin qui reçoit une belle pièce de monnaie à la fin de sa consultation, et

Dit, en serrant la main : « Dame il n'en fallait point! >

Au milieu de ces esquisses légères se trouve un vrai chefd'œuvre, Macette, la vieille hypocrite. Déjà au treizième siècle, Jean de Meung avait ébauché Faux-Semblant; bientôt au dix-septième Molière créera Tartuffe. Il semble que la poésie française ait toujours été heureuse en touchant à ce sujet, comme

Par un arrêt du ciel qui hait l'hypocrisie.

4. L'excellente édition des OEuvres de Mathurin Régnier, par M. Viollet-leDuc indique avec soin les passages que le poëte français a pris pour modèles, et met ainsi le lecteur à même d'apprécier le mérite de l'imitation.

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