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Il est vrai que madame de Toulongeon est incompréhensible par son avidité pour le bien; il est vrai aussi que j'ai remarqué que Dieu n'attend pas à l'en punir en l'autre monde: elle en souffre souvent dès celui-ci, et c'est elle qui m'a fait trouver que l'extrême avarice étoit l'extrême prodigalité.

L'avantage qu'a eu le maréchal de Créqui près de Saverne est peu de chose en effet; cependant c'est beaucoup pour la réputation,

Je ne pense pas que Despréaux et Racine soient capables de bien faire l'histoire du roi; mais ce sera sa justice et sa clémence qui le rendront recommandable à la postérité; sans cela on découvriroit toujours que les louanges qu'on lui auroit données ne seroient que des flatteries.

La tourterelle consolée vous embrasse de tout son cœur; nous vous aimons à qui mieux mieux, et nous nous réjouissons pour l'amour de vous et de la belle Madelonne de son prochain retour à Paris,

1195. — Le P. Bouhours à Bussy.

A Paris, ce 17 octobre 1677

J'ai couru de mon côté, monsieur, et je ne suis pas au bout de mes courses. Je vais demain à Basville pour 15 jours et votre lettre est venue très à propos aujourd'hui,

Puisque vous voulez bien, monsieur, que je vous parle du dessein qui me roule dans la tête, je commencerai par vous expliquer mon plan. Comme ces sortes de matières se traitent mieux en dialogues qu'autrement, je veux introduire deux personnages, dont l'un ait l'esprit droit et le bon goût, l'autre plus de vivacité et plus de brillant que de solidité et de justesse. Celui-là sera charmé des anciens et des modernes qui se sont formés sur les anciens.

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Celui-ci sera ébloui des fausses beautés et plus entêté des Italiens et des Espagnols que des anciens. Ces deux caractères opposés feront, ce me semble, un bon effet en donnant lieu à diverses choses. Mon dessein étant de faire une critique délicate des pensées vicieuses qui se rencontrent dans les auteurs (je dis dans les bons), et d'apprendre par là à bien penser, je ferai tomber d'abord la conversation de mes deux hommes sur les pensées. Et comme la première qualité de la pensée c'est d'être vraie, le premier dialogue sera contre les pensées fausses. Mais parce que la vérité ne suffit pas toujours et qu'il y a des pensées qui sont mauvaises à force d'être vraies, le second dialogue traitera des pensées nobles, agréables, délicates, qui ajoutent quelque chose à la vérité, qui surprennent et qui piquent, comme celle de Crassus, dont Cicéron dit: Sententiæ Crassi tam veræ, tam novæ, tam sine pigmentis, fucoque puerili (1). Vous voyez que le novæ enchérit sur le veræ. Mais aussi parce qu'en voulant penser noblement, agréablement, délicatement, on donne pour l'ordinaire dans les vices opposés, le troisième dialogue traitera des pensées hyperboliques, affectées, raffinées, et finira par les pensées simples, naturelles et naïves, en faisant voir que la pensée n'est point parfaite, si le caractère noble, agréable et délicat ne se joint au caractère simple, naturel et naïf. Je ne prétends pas que toutes les pensées doivent être tout à la fois nobles et simples, agréables et naturelles, délicates et naïves; car les différents sujets demandent des pensées de différente espèce. Je prétends seulement que quand la matière demande quelque chose de noble et de grand dans la pensée, il n'y ait rien d'enflé ni d'outré, et ainsi du reste. Comme les plus belles pensées

(1) Les pensées de Crassus sont si vraies, si nouvelles, si dépourvues de fard et de puérils ornements. (Cicéron, De oratore, 11, 45.)

sont vicieuses quand elles ne sont pas claires et nettes, le dernier dialogue sera contre l'obscurité et le galimatias. Voilà à peu près mon plan, qui est mieux rangé dans ma tête. Il suffit, monsieur, que vous le conceviez en gros, pour me dire ce que vous en pensez.

Je ne puis exécuter mon dessein sans avoir devant moi un grand nombre de pensées bonnes et mauvaises ; c'est pour cela que j'en ramasse de tous côtés des auteurs anciens et modernes, c'est-à-dire, que je lève des troupes pour combattre. Au reste, sans vous flatter, monsieur, je vous déclare que vous serez mon héros; car vos pensées ont justement le caractère de perfection que je cherche. Il faudra bien aussi que par reconnoissance vous me fassiez part de vos réflexions et que vous me donniez vos conseils. Je suis sûr qu'avec un guide comme vous je ne m'égarerai pas, et que je ferai même de nouvelles découvertes dans un pays assez inconnu.

Le mot mens ædibus addita n'est point fanfaron et est vrai dans le sens que j'y ai donné. Je voudrois que vous le fissiez écrire sous votre portrait ou ailleurs, pourvu que ces paroles fassent entendre que vous êtes l'âme de votre maison.

Vous ne me dites rien de madame de Coligny. Je vous prie d'avoir soin qu'elle ne m'oublie pas et qu'elle ait toujours un peu de bonté pour moi. On ne peut pas honorer le père et la fille plus que je fais.

1196.

Bussy au comte de Limoges.

A Bussy, ce 18 octobre 1677.

Je vous suis extrêmement obligé, monsieur, du soin que vous avez pris de me mander l'action qui s'est faite auprès de Saverne entre notre armée et celle des Al

lemands. Je remarque beaucoup de hardiesse en celle-ci; car non-seulement les ennemis commencèrent la noise l'après-dînée du 7, mais même après avoir eu du désavantage, ils revinrent le soir à la charge comme des gens qui ne se tenoient pas pour bien battus. Ce que je ne comprends pas, et que je vous prie de m'expliquer, c'est qu'à toutes les charges que les ennemis vous ont faites, vous étiez toujours plus foibles qu'eux, ayant pourtant derrière vous votre armée en bataille. Il me paroît que c'étoit un peu trop hasarder que d'attendre que le plus petit nombre battît le plus grand; car comme vous savez, Dieu est d'ordinaire pour les gros escadrons contre les petits. Mais pour revenir aux particuliers, je trouve que le jeune Villars a acquis beaucoup d'honneur en cette occasion. Je l'ai vu, une fois sur le théâtre des comédiens du faubourg Saint-Germain; je le trouvai bien fait et d'une physionomie heureuse et agréable. Je voudrois que quelque autre officier que vous de votre armée m'eût écrit cette action, car il m'auroit dit assurément de vous ce que votre modestie vous a empêché de m'en écrire.

1197.-Hocquincourt, évêque de Verdun, à Bussy.

A Paris, ce 19 octobre 1677.

Je vous avoue, monsieur, que je suis très-affligé de ne vous pas trouver ici. Paris est bien moins charmant pour moi de ce que vous n'y êtes pas. Cela ne se peut-il pas réparer? N'y viendrez-vous pas au moins ce carême? Je crois que, si vous ne le faites, je vous irai voir en Bourgogne; car je ne puis pas soutenir une si longue absence, vous aimant et vous honorant autant que je le fais.

Je ne vous écris pas pour madame de Scudéry. Je ne suis pas content d'elle et avec raison. Ce qui me touche

donc davantage de son procédé, que je vous expliquerai quand j'aurai l'honneur de vous voir, c'est qu'il y a quel que chose de plus que de l'indiscrétion. Je vous écrirai d'ici très-assidûment et je vous manderai les nouvelles.

Trouvez-bon, monsieur, que je vous demande des nouvelles de madame de Coligny et que je l'assure de mes obéissances très-respectueuses,

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Mes affaires ne s'accommodent point et ma santé se détruit. Jugez, monsieur, de l'état où je suis. J'ai envoyé votre lettre à M. de Saint-Aignan; je ne l'ai point vu depuis son retour. Madame de Montglas est assez malade. Madame de Montmorency et elle ne sont pas tout à fait mal, seulement en froideur; c'est à cause de madame d’0lonne. On dit enfin le mariage de mademoiselle de Thianges et du duc Sforce fait (1).

Je n'ai point vu le livre du P. Rapin; à son retour je l'aurai. Il y a un livre de M. Esprit (2), intitulé: De la fausseté des vertus que vous devriez voir. Il a de l'air des Maximes de M. de la Rochefoucault plus étendues. Je trouve seulement qu'il a été trop curieux de découvrir le mauvais du cœur humain. Il y en a de moins gâtés qu'il ne croit; mais enfin il est bien écrit. Avez-vous la dernière

(1) Louise-Adélaïde de Damas, fille du marquis de Thianges, mariée en 1678 à Louis-François, duc de Sforce, mort en 1685, à 67 ans. Voy. sur eux Saint-Simon, t. XXIII, p. 32 et suiv.

(2) Jacques Esprit, littérateur, académicien, né en 1611, mort en 1678, On disait de lui qu'il était bien le seigneur du fief dont il portait le nom. Voy. son historiette dans Tallemant des Réaux.

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