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tume, & de cet inftin&, qu'on nomme goût; voilà fur quoi il y a mille opinions & point de régles gé nérales.

Mais, me direz-vous, n'y a-t-il point des beau tés de goût qui plaisent également à toutes les Nations?

Il y en a fans doute en très-grand nombre. De puis le tems de la renaissance des Lettres qu'on a pris les Anciens pour modéles, Homére, Démofthene, Virgile, Cicéron, ont en quelque maniére réuni fous leurs loix tous les Peuples de l'Europe & fait de tant de Nations différentes une feule République de Lettres; mais au milieu de cet accord général, les Coutumes de chaque Peuple introdui fent dans chaque Pais un goût particulier.

Vous fentez dans les meilleurs Ecrivains moder nes, le caractére de leur Païs à travers l'imitation de l'antique; leurs fleurs & leurs fruits font échauf fés & meuris par le même Soleil, mais ils reçoivent du terrain qui les nourrit, des goûts, des couleurs, & des formes différentes.

Vous reconnaîtrez un Italien, un Français, un Anglais, un Efpagnol, à fon ftile, comme aux traits de fon vifage, à fa prononciation, à fes maniéres.

La douceur & la molleffe de la langue Italienne s'eft infinuée dans le génie des Auteurs Italiens. La pompe des paroles, les métaphores, un ftile majeftueux, font, ce me femble, généralement parlant, le caractére des Ecrivains Espagnols. La for

ce, l'énergie, la hardiesse, sont plus particuliéres aux Anglais, ils font fur-tout amoureux des allégories & des comparaifons. Les Français ont pour eux la clarté, l'exactitude, l'élégance; ils hazardent peu, ils n'ont ni la force Anglaise qui leur paraîtroit une force gigantefque & monftrueufe, ni la douceur Italienne, qui leur femble dégénérer en une molleffe efféminée.

De toutes ces différences naiffent ce dégoût & ce mépris que les Nations ont les

tres.

unes pour

les au

Pour regarder dans tous les jours cette différence qui fe trouve entre les goûts des Peuples voisins, confidérons maintenant leur ftile.

On approuve avec raifon en Italie ces Vers de la troifiéme ftance du premier Chant de la JéruSalem.

Cofi all'egro fanciul porgiamo afperfi

Di foavi licor gli orli del vafo :

Succhi amari ingannato intanto ei beve ;
E dall' inganno fuo vita riceve.

Cette comparaifon du charme des Fables qui enveloppent des leçons utiles, avec une medecine amére donnée à un enfant dans un vafe bordé de miel, ne feroit pas foufferte dans un Poëme Epique Français. Nous lifons avec plaifir dans Montagne, qu'il faut emmieller la viande falubre à l'enfant ; mais gette image qui nous plaît dans fon ftile familier,

ne nous paraîtrait pas digne de la majefté de l'Epopée.

Voici un autre endroit univerfellement approu vé, & qui mérite de l'être. C'est dans le Chant feiziéme de la Jérufalem, lorsqu'Armide commence à foupçonner la fuite de fon Amant.

Volea gridar: dove, o crudel, me fola
Lafci? ma il varco al fuon chiufe il dolore:
Si, che tornò la flebile parola

Più amara indietro a rimbombar fu'l core.

Ces quatre Vers Italiens font très-touchans & très-naturels; mais fi on les traduit exactement, ce fera un galimatias en Français.

„Elle vouloit crier; cruel, pourquoi me laisses» tu feule? mais la douleur ferma le chemin à fa

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voix, & ces paroles douloureufes reculérent avec » plus d'amertume, & retentirent fur fon cœur.

Apportons un autre exemple, tiré d'un des plus fublimes endroits du Poëme fingulier de Milton, dont j'ai déja parlé ; c'eft au premier Livre, dans la defcription de Satan & des Enfers.

Round he throws his baleful eyes
That witness' d huge affliction and dismay,
Mix'd with obdurate pride, and stedfaft hate
At once, as far as angels Ken, he views
The difmal fituation waft and wild:
A dungeon horrible, on all fides round

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As one great furnace, flam'd, yet from thofe flames No light, but rather a darknejf visible,

Serv'd only to difcover fights of woe;

Regions of forrow! doleful fhades! where peace
And reft can never dwell! hope never comes
That comes to all, &c.

,, Il proméne de tous côtés fes triftes yeux; , dans lesquels étoient peints le défespoir & l'hor,,reur, avec l'orgueil & l'irréconciliable haine. Il voit d'un coup d'œil auffi loin que les regards des Chérubins peuvent percer, ce féjour épouvantable, ces déferts défolés, ce dongeon immenfe, ,, enflâmé comme une fournaife énorme. Mais de ,, ces flames il ne fortoit point de lumiéres, ce font des ténèbres vifibles, qui fervent feulement à découvrir des spectacles de défolation, des régions de douleur, dont jamais n'approchent le repos ni la ,, paix, où l'on ne connait point l'espérance, con»nue par-tout ailleurs «<

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Antonio de Solis, dans fon excellente Hiftoire de la Conquête du Méxique, après avoir dit que l'endroit où Montézume confultoit fes Dieux, étoit une large voute foûterraine, où de petits foupiraux laiffoient à peine entrer la lumiére, ajoûte, o permittiam folamente lo que bastava porque se viesse la ofcuridad, où laiffoient entrer feulement autant de jour qu'il en falloit pour voir l'obfcurité.

Ces ténébres vifibles de Milton ne font point condamnés en Angleterre, & les Espagnols ne re

prennent point cette même pensée dans Solis. Il est très-certain que les Français ne fouffriroient point de pareilles libertés. Ce n'est pas affez que l'on puiffe excufer la licence de fes expreffions, l'exactitude Française n'admet rien qui ait befoin d'excufe.

Qu'il me foit permis, pour ne laiffer aucun doute fur cette matiére, de joindre un nouvel exemple à tous ceux que j'ai rapportés. Je le prendrai dans l'éloquence de la Chaire.

Qu'un homme, comme le Pere Bourdaloué prêche devant une Affemblée de la Communion Anglicane, & qu'animant par un gefte noble un Difcours patétique, il s'écrie:,, Oui, Chrétiens, ,, vous étiez bien difpofés ; mais le fang de cette ,, Veuve que vous avez abandonnée; mais le fang de ce Pauvre que vous avez laiffé opprimer; mais ,, le fang de ces miférables dont vous n'avez pas ,, pris en main la caufe, ce fang retombera fur "vous, & vos bonnes difpofitions ne ferviront qu'à rendre fa voix plus forte, pour demander à Dieu vengeance de votre infidélité. Ah! mes chers Auditeurs, &c."

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Ces paroles patétiques prononcées avec force, & accompagnées de grands geftes, feront rire un Auditoire Anglais. Car autant qu'ils aiment fur le Théâtre les expreffions empoulées, & les mouvemens forcés de l'éloquence, autant ils goûtent dans la Chaire une fimplicité fans ornement. Un Sermon en France est une longue Déclamation fcrupu

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