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peint Céfar, Pompée, Caton avec des traits f forts, il foit fi faible quand il les fait agir! Ce n'eft prefque plus qu'une gazette pleine de déclamations; il me femble que je vois un Portique hardi & immenfe qui me conduit à des ruines.

A

CHAPITRE V.

LE TRISSIN.

PRE'S que l'Empire Romain eut été détruit par les Barbares, plufieurs Langues fe formérent des débris du Latin, comme plufieurs Roïaumes s'élevérent fur les ruines de Rome. les Conquérans portérent dans tout l'Occident leur barbarie & leur ignorance. Tous les Arts périrent; & lorsqu'après huit cent ans ils commencerent à renaître, ils renâquirent Gots & Vandales. Ce qui nous reste malheureufement de l'Archite&ture & de la Sculpture de ces tems-là, eft un compofé bizarre de groffiéreté & de colifichets. Le peu qu'on écrivoit étoit dans le même goût. Les Moines confervérent la Langue Latine pour la corrompre; les Francs, les Vandales, les Lombards, mêlérent à ce Latin corrompu leur Jargon irrégulier & ftérile; enfin la Langue Italienne, comme la fille aînée de la Latine, se polit la premiére, enfuite l'Espagnole, puis la Fran çaise & l'Anglaise se perfe&ionnérent.

La Poëfie fut le premier Art qui fut cultivé avec fuccès. Dante & Pétrarque écrivirent dans un tems où l'on n'avoit pas encore un Ouvrage de Profe fupportable; chofe étrange que prefque toutes les Nations du monde aïent eu des Poëtes avant que

d'avoir aucune autre forte d'Ecrivains. Homére fleurit chez les Grecs plus d'un fiécle avant qu'il parut un Historien. Les Cantiques de Moïfe font le plus ancien Monument des Hébreux. On a trouvé des Chansons chez les Caraïbes qui ignoroient tous les Arts.

Les Barbares des Côtes de la Mer Baltique avoient leurs fameuses Rimes Runiques, dans le tems qu'ils ne favoient pas lire ; ce qui prouve, en passant, que la Poësie est plus naturelle aux hom- mes qu'on ne pense.

Quoi qu'il en foit, le Taffe étoit encore au berceau, lorfque le Triffin Auteur de la fameufe Sophonifbe, la premiére Tragédie écrite en Langue vulgaire, entreprit un Poëme Epique. Il prit pour fon fujet, l'Italie délivrée des Gots par Bélizaire, fous l'Empire de Juftinien. Son plan eft fage & régulier ; mais la Poëfie de stile y eft faible. Toutefois l'Ouvrage réuffit, & cette aurore du bon goût brilla pendant quelque tems, jufqu'à ce qu'elle fût abforbée dans le grand jour qu'apporta le Taffe.

Le Triffin étoit un homme d'un favoir très-étendu, & d'une grande capacité. Léon X. l'employa dans plus d'une affaire importante. Il fut Ambaffadeur auprès de Charles-Quint; mais enfin il facrifia fon ambition & la prétendue folidité des affaires publiques à fon goût pour les Lettres; bien différent en cela de quelques hommes célèbres, que nous avons vus quitter & même méprifer les Lettres, après avoir fait fortune par elles. Il étoit avec rai

fon

fon, charmé des beautés qui font dans Homére, & cependant fa grande faute eft de l'avoir imité; il en a tout pris, hors le génie. Il s'appuïe fur Homére, pour marcher, & tombe en voulant le fuivre. Il cueille les fleurs du Poëte Grec; mais elles fe flétriffent dans les mains de l'imitateur. Le Triffin, par exemple, a copié ce bel endroit d'Homére, où Junon, parée de la Ceinture de Vénus, dérobe à Jupiter des carefses qui n'avoient pas coutume de lui faire.

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La femme de l'Empereur Juftinien a les mêmes vûes fur fon époux, dans l'Italia Liberata. Elle ,, commence par se baigner dans fa belle chambre, elle met une chemise blanche, & après une lon„ gue énumération de tous les affiquets d'une toilette, elle va trouver l'Empereur qui eft affis fur ,, un gazon dans un petit Jardin, elle lui fait une menterie avec beaucoup d'agaceries, & enfin Jus tinien le diede un bafcio.

"

Suave, e le gettò le braccia al collo,
Et ella frette; e forridendo diffe.
Signor mio dolce, or que volete fare,
Che fe veniffe alcuno in quefto luogo,
E ci vedeffe, harei tanta vergogna,
Che più non ardirei levar la fronte :
Entriamo ne le noflre ufate ftanze,
Chiudamo gli ufci, e sopra il vostro letto
Poniamci, e fate poi quel, che mi piace.
L'Imperador rifpofe; Alma via vita,
Non dubitate de la vifta altrui,
Che qui non può venir personna umana
Tome II,

E

رو

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Senon par la mia ftanza, & io la chiusi
Come qui venni, & hò la chiave a canto s
E penfo, che ancor voi chiudefte l'ufcio,
Che vienin effo da le stanze vostre;

Perchè giamai non lo lasciaste aperto Sup sgeid
E detto questo,fubito abbracciolla;

Poi fi colcar e la minuta erbetta

La quale allegra gli fiória d'intorno, &c. la

L'Empereur lui donna un doux baifer & lui jetta les bras au cou; elle s'arrêta, & lui dit en fouriant. Mon doux Seigneur, que voulez-vous faire ? Si quelqu'un entroit ici & nous découvroit, je ferois fi honteuse, que je n'oferois plus lever les yeux. Allons dans notre appartement, fermons les por,, tes, mettons-nous fur le lit, & puis faites ce que ,, vous voudrez, L'Empereur lui répondit; ma che,, re ame, ne craignez point d'être apperçue, perfonne ne peut entrer ici que par ma chambre ; je , l'ai fermée, & j'en ai la clef dans ma poche. Je préfume que vous avez auffi fermé la porte de votre appartement qui entre dans le mien; car vous ne le laiffez jamais ouvert. Après avoir ainsi par,, lé, il l'embraffe & la jette fur l'herbe tendre, qui femble partager leurs plaisirs, & qui fe cou,, ronne de fleurs. "Ainfi ce qui eft décrit noblement dans Homére, devient auffi bas & auffi dégoûtant dans le Triffin, que les careffes d'un mari & d'une femme devant le monde.

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Le Triffin femble n'avoir copié Homére que dans le détail des descriptions : il est très-exact à peindre

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