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manderoit d'être ennobli par l'idée de l'enfer Païen ; il eft vrai que Pluton, Proferpine, Rhadamante, Tisiphone, font des noms plus agréables que Belzébut & Aftarot; nous rions du mot de diable, nous refpe&tons celui de Furie. Voilà ce que c'eft que d'avoir le mérite de l'antiquité ; il n'y a pas jufqu'à l'enfer qui n'y gagne

CHAPITRE VII I.

DON ALONZO D'ERCILLA.

SUR la fin du féiziéme fiécle, l'Espagne produi

fit un Poëme Epique, célèbre par quelques beautés particuliéres qui y brillent, auffi- bien que par la fingularité du sujet ; mais encore plus remarquable par le caractére de l'Auteur.

Don Alonzo d'Ercilla y Cuniga, Gentilhomme de la Chambre de l'Empereur Maximilien, fut élevé dans la maison de Philippe II. & combattit fous fes ordres à la Bataille de Saint Quentin, où les Français furent défaits.

Après un tel fuccès, Philippe moins jaloux d'augmenter fa gloire au-dehors, que d'établir fes affaires au-dedans, retourna en Espagne. Le jeune Alonzo, entraîné par une infatiable avidité du vrai favoir, c'est-à-dire, de connaître les hommes, & de voir le monde, voïagea par toute la France, parcourut l'Italie & l'Allemagne, & féjourna longtems en Angleterre. Tandis qu'il étoit à Londres, il entendit dire que quelques Provinces du Pérou & du Chily avoient pris les armes contre les Efpagnols, leurs Conquérans & leurs Tyrans. Je dirai en paffant que cette tentative des Africains pour reBouvrer leur liberté, eft traitée de rebellion par les

Auteurs Espagnols. La paffion qu'il avoit pour la gloire & le défir de voir & d'entreprendre des chofes fingulières, l'entraînerent dans ces païs du nouveau monde. Il alla au Chily à la tête de quelques Troupes, & il y refta pendant tout le tems de la guerre.

Sur les frontiéres du Chily, du côté du Sud, eft une petite contrée montagneufe, nommée Araucama, habitée par une race d'hommes, plus robuftes & plus féroces que tous les autres peuples de P'Amérique. Ils combattirent pour la défense de leur liberté, avec plus de courage & plus longsems que les autres Américains, & ils furent les derniers que les Espagnols foumirent.

Alonzo foutint contre eux une pénible & longue guerre. Il courut des dangers extrêmes ; il vit & fit les actions les plus étonnantes, dont la feule récompenfe fut l'honneur de conquérir des rochers, & de réduire quelques contrées incultes fous l'obéiffance du Roi d'Espagne.

Pendant le cours de cette guerre, Alonzo conqut le déffein d'immortalifer fes ennemis en s'immortalifant lui-même. Il fut en même-tems le Conquérant & le Poëte: il emploïa les intervalles de loifir que la guerre lui laiffoit à en chanter les événemens; & faute de papier, il écrivit la premiére partie de fon Poëme fur de petits morceaux de cuir, qu'il eut enfuite bien de la peine à arranger. Le Poëme s'appelle Araucana, du nom de la contrée,

If commence par une description géographique du Chily, & par la peinture des mœurs & des coutumes des habitans. Ce commencement, qui feroit infupportable dans tout autre Poëme, eft ici ně-ceffaire, & ne déplaît pas dans un sujet où la Scène eft par-de-là l'autre Tropique, & où les Héros font des Sauvages, qui nous auroient été toujours inconnus, s'il ne les avoit pas conquis & célèbrés.

Le fujet qui étoit neuf, a fait naître des pensées neuves. J'en présenterai une au lecteur pour échantillon, comme une étincelle du beau feu qui animoit quelquefois l'Auteur.

Les Araucaniens, dit-il, furent bien étonnés de voir des créatures pareilles à des hommes, portant du feu dans leurs mains & montés fur des Monftres qui combattoient fous eux. Ils les prirent d'abord pour des Dieux defcendus du Ciel, armés du tonnerre, & fuivis de la deftruction; & alors il fe fou mirent, quoiqu'avec peine. Mais dans la fuite, s'é-tant familiarifés avec leurs Conquérans, its connurent leurs paffions & leurs vices, & jugérent que c'étoient des hommes. Alors honteux d'avoir fuccombé fous des mortels femblables à eux, ils jurérent de laver leur erreur dans le fang de ceux qui l'avoient produite, & d'exercer fur eux une vergeance exemplaire, terrible & mémorable.

Il eft à propos de faire connaître ici un endroit du deuxième Chant, dont le fujet reffemble beaucoup au commencement de l'lliade, & qui ayant été

traité d'une maniére différenté, mérite d'être mis fous les yeux des lecteurs, qui jugent fans partíalité. La premiére action de l'Araucana, eft une querelle qui naît entre les Chefs des Barbares, comme dans Homére, entre Achille & Agamemnon. La difpute n'arrive pas au fujet d'une captive, il s'agit du commandement de l'armée. Chacun de ces Généraux Sauvages vante fon mérite & ses exploits ; enfin la difpute s'échauffe tellement, qu'ils font prêts d'en venir aux mains. Alors un des Caciques, nommé Colocolo, auffi vieux que Neftor, mais moins favorablement prévenu en fa faveur que les Héros Grees, fait la harangue fuivante.

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Caciques, illuftres défenfeurs de la Patrie, le défir ambitieux de commander n'eft point ce qui m'engage à vous parler. Je ne me plains pas que Vous difputiez avec tant de chaleur un honneur qui peut-être feroit dû à ma vieilleffe & qui orneroit mon déclin. C'eft ma tendreffe pour vous; c'eft l'amour que je dois à ma Patrie, qui me follicite à vous demander attention pour ma faible voix. Hélas! comment pouvons-nous avoir affez bonne opinion de nous-mêmes, pour prétendre à quelque grandeur, & pour ambitionner des titres faftueux, nous qui avons été les malheureux fu,, jets & les efclaves des Efpagnols? Votre colé,, re, Caciques, votre fureur ne devroient-elles ́,, pas s'exercer plûtôt contre nos Tyrans ? Pourquoi tournez-vous contre vous-mêmes ces armes qui ,, pourroient exterminer vos ennemis, & venger

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