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ELOGE FUNEBRE

DES

OFFICIERS

Qui font morts dans la Guerre de 1741

UN Peuple qui fut l'exemple des Nations,

qui

leur enfeigna tous les Arts, & même celui de la Guerre, le maître des Romains, qui ont été nos maîtres, la Gréce enfin parmi ses institutions qu'on admire encore, avoit établi l'usage de confacrer par des éloges funèbres la mémoire des citoyens qui avoient répandu leur fang pour la patrie. Coutume digne d'Athènes, digne d'une nation valeureufe & humaine, digne de nous ! Pourquoi ne la fuivrionsnous pas ? Nous long-tems les heureux rivaux en tant de genres de cette nation refpe&table. Pourquoi nous renfermer dans l'ufage de ne célébrer après leur mort, que ceux qui ayant été donnés en spectacle au monde par leur élévation, ont été fatigués d'encens pendant leur vie?

1 eft jufte fans doute, il importe au genre-humain de louer les Titus, les Trajans, les Louis XII. les Henri IV. & ceux qui leur reffemblent. Mais ne rendra-t'on jamais qu'à la dignité ces devoirs fi intereffans & fi chers, quand ils font rendus à lạ

perfonne; fi vains, quand ils ne font qu'une partię néceffaire d'une pompe funèbre, quand le cœur n'eft point touché, quand la vanité feule de l'Orateur parle à la vanité des hommes, & que dans un difcours compaffé & dans une divifion forcée, on s'épuife en éloges vagues, qui paffent avec la fumée des flambeaux funéraires ?

Du moins, s'il faut célébrer toujours ceux qui ont été Grands, réveillons quelquefois la cendre de ceux qui ont été utiles. Heureux fans doute (fi la voix des vivans peut percer la nuit des tombeaux) heureux le Magiftrat immortalisé par le même organe, qui avoit fait verfer tant de pleurs. fur la mort de Marie d'Angleterre, & qui fut digne de célébrer le grand Condé. Mais fi la cendre de Michel le Tellier reçut tant d'honneurs, eft-il un bon citoyen qui ne demande aujourd'hui, les a-t'on rendus au grand Colbert, à cet homme qui fit naître tant d'abondance en ranimant tant d'industrie, qui porta fes vûes fupérieures jufqu'aux extrémités de la terre, qui rendit la France la dominatrice des mers, & à qui nous devons une grandeur & une félicité long-tems inconnue ?

O mémoire! ô noms du petit nombre d'hommes qui ont bien fervi l'Etat ! vivez éternellement : mais fur-tout ne périffez pas tout entiers, vous guerriers qui êtes morts pour nous deffendre. C'eft votre fang qui nous a valu des victoires ; c'eft fur vos corps déchirés & palpitans que vos compagnons ent marché à l'ennemi, & qu'ils ont monté à tant

de remparts ; c'est à vous que nous devons une paix glorieufe, achetée par votre perte.

Plus la guerre est un fléau épouvantable, raffemblant fous lui toutes les calamités & tous les crimes, plus grande doit être notre reconnaissance envers ces braves compatriotes qui ont péri pour nous donner cette paix heureuse, qui doit être l'unique but de la guerre, & le feul objet de l'ambition. d'un vrai Monarque.

Faibles & infenfés mortels que nous fommes, qui raisonnons tant fur nos devoirs, qui avons tant approfondi notre nature, nos malheurs & nos faibleffes, nous faifons fans ceffe retentir nos Temples de reproches & de condamnations; nous anathématifons les plus légéres irrégularités de la conduite, les plus fécrettes complaifances des cœurs ; nous tonnons contre des vices, contre des défauts, condamnables il eft vrai, mais qui troublent à peine la fociété. Cependant quelle voix chargée d'annoncer la vertu s'eft jamais élevée contre ce crime fi grand & fi univerfel; contre cette rage deftru&tive, qui change en bêtes féroces des hommes nés pour vivre en freres ; contre ces déprédations atroces; contre ces cruautés qui font de la terre un féjour de brigandage, un horrible & vafte tombeau?

Des bords du Pô, jufqu'à ceux du Danube, on bénit de tous côtés, au nom du même Dieu, ces drapeaux fous lefquels marchent des milliers de meurtriers mercenaires, à qui l'esprit de débauche, de libertinage & de rapine, ont fait quitter leurs

campagnes ; ils vont, & ils changent de Maîtres ils s'exposent à un fupplice infâme pour un léger intérêt ; le jour du combat vient, & fouvent le foldat qui s'étoit rangé n'a guéres fous les enfeignes de fa patrie, répand fans remords le fang de fes propres concitoyens ; il attend avec avidité le moment où il pourra dans le champ du carnage arracher aux mourans quelques malheureufes dépouilles qui lui font enlevées par d'autres mains. Tel eft trop fouvent le foldat: telle eft cette multitude aveugle & féroce dont on fe fert pour changer la destinée des Empires, & pour élever le monument de la gloire. Confidérés tous enfemble marchant avec ordre fous un grand Capitaine, ils forment le Spectacle le plus fier & le plus impofant qui fcit dans l'Univers. Pris chacun à part dans l'enivrement de leurs frénéfies brutales, ( fi on en excepte un petit nombre) c'eft la lie des nations.

reux,

Tel n'eft point l'Officier; idolâtre de fon honneur & de celui de fon Souverain, bravant de fang froid la mort, avec toutes les raifons d'aimer la vie, quittant gaiement les délices de la fociété pour des fatigues qui font frémir la nature, humain, génécompatiffant, tandis que la barbarie étincelle de rage partout autour de lui, né pour les douceurs de la fociété, comme pour les dangers de la guerre, auffi poli que fier, orné fouvent par la culture des lettres, & plus encore par les graces de l'efprit, à ce portrait, les Nations étrangères reconnaissent pos Officiers; elles avouent furtout, que lorfque le

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