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en une année, eft trompé par le Diable & par fa femme en un jour, & eft chaffé du Paradis Terreftre pour avoir défobéi à Dieu.

Ce Poëme cependant eft mis par les Anglais au niveau de l'Iliade, & beaucoup de perfonnes le préférent à Homére, & avec quelque apparence de raifon.

Mais, me direz-vous, le Poëme Epique ne ferat-il donc que le récit d'une Aventure malheureuse? Non, cette définition feroit aufli fauffe que l'autre. L'Edipe de Sophocle, le Cinna de Corncille, l'Athalie de Racine, le Céfar de Sakespear, le Caton d'Addiffon, la Mérope du Marquis Scopion Maffei, le Roland de Quinault, font toutes de belles Tragédies, & j'ofe dire toutes d'une nature différente. On auroit befoin en quelque forte d'une définition particuliére pour chacune d'elles.

Il faut dans tous les Arts fe donner bien de garde de ces définitions trompeufes, par lefquelles nous ofons exclure toutes les beautés qui nous font inconnues, ou que la coutume ne nous a point encore rendues familiéres; il n'en eft point des Arts, & fur-tout de ceux qui dépendent de l'imagination, comme des ouvrages de la nature : nous pouvons définr les métaux, les minéraux, les élémens, les animaux, parce que leur nature eft toujours la même; mais prefque tous les Ouvrages des hommes changent, ainfi que l'imagination qui les produit. Les Coutumes, les Langues, Le goût des Peuples les plus voisins, différent. Que

dis-je la même Nation n'est plus reconnaissable au bout de trois ou quatre fiecles. Dans les Arts, qui dépendent purement de l'imagination, il y a autant de révolutions que dans les Etats: ils changent en mille maniéres, dans le tems même qu'on cherche à les fixer.

La Mufique des anciens Grecs, autant qué nous en pouvons juger, étoit très-différente de la nôtre. Celle des Italiens d'aujourd'hui n'eft plus celle de Luigi & de Cariffimi: des airs Perfans ne plairoient pas affûrément à des oreilles Européanes; mais fans aller fi loin, un Français accoutumé à nos Opéra, ne peut s'empêcher de rire la premiére fois qu'il entend du récitatif en Italie; autaut en fait un Italien à l'Opéra de Paris, & tous deux ont également tort, ne confidérant point que le récitatif n'eft autre chofe qu'une déclamation notée, que le caractére des deux Langues eft très-différent, que ni l'accent, ni le ton ne font les mêmes, que cette différence eft fenfible dans la converfation, plus encore fur le Théatre tragique, & doit par conféquent l'être infiniment dans la Mufique. Nous fuivons à peu près les régles d'Architecture de Vitru ve; cependant les maifons bâties en Italie, par Palladio, & en France par nos Architectes, ne reffemblent pas plus à celles de Pline & de Cicéron, que nos habillemens reffemblent aux leurs.

Mais pour revenir à des exemples qui aient plus de rapport à notre fujet : Qu'étoit la Tragédie chez des Grecs? un Chœur qui demeuroit prefque toû

Jours fur le Théatre, point de divifion d'Ãães, très-peu d'action, encore moins d'intrigue. Chez les Français, c'eft pour l'ordinaire une fuite de sonverfations en cinq Actes, avec une intrigue amoureufe.

En Angleterre, la Tragédie est véritablement une action; & fi les Auteurs de ce Païs joignoient à l'activité qui anime leurs Piéces, un ftile naturel avec de la décence & de la régularité, ils l'emporteroient bien-tôt fur les Grecs & fur les Français.

Qu'on examine tous les autres Arts, il n'y en a aucun qui ne reçoive des tours particuliers du génie différent des Nations qui les cultivent.

Quelle fera donc l'idée que nous devons nous former de la Poëfie Epique?

Le mot Epique vient du Grec "Enos, qui fignifie Difcours l'ufage a attaché ce nom, particulierement à des recits en Vers d'Avantures héroïques. Comme le mot d'Oratio chez les Romains, qui d'abord fignifioit auffi Difcours, ne fervit dans la suite que pour les Difcours d'appareil, & comme le titre d'Imperator, qui appartenoit aux Généraux d'Armées, fut enfuite conféré aux feuls Souverains de Rome.

Le Poëme Epique, regardé en lui-même, eft donc un récit en Vers d'Aventures héroïques. Que l'action foit fimple, ou complexe, qu'elle s'achéve dans un mois, ou dans une année, ou qu'elle dure plus long-tems: que la Scène foit fixée dans

un feul endroit, comme dans l'Iliade, que le Héros voïage de mers en mers, comme dans l'Odiffée, qu'il soit heureux ou infortuné, furieux, comme Achille, ou pieux comme Enée : qu'il y ait un principal Perfonnage, ou plufieurs, que l'action fe paffe fur la terre ou fur la mer; fur le rivage d'Afrique, comme dans la Luziada; dans l'Amérique, comme dans l'Araucana; dans le Ciel, dans l'Enfer, hors des limites de notre monde, comme dans le Paradis de Milton, il n'importe; le Poëme fera toujours un Poëme Epique ↳ un Poëme Héroïque, à moins qu'on ne lui trouve un nouveau Litre proportionné à fon mérite.

Si vous faites scrupule, difoit le célébre Ma Addiffon, de donner le titre de Poëme Epique au Paradis perdu de Milton; appellez-le, fi vous voulez, un Poëme Divin; donnez-lui tel nom qu'il vous plaira, pourvu que vous confeffiez que c'eft un Ouvrage auffi admirable en fon genre que l'Iliade. Ne difputons jamais fur les noms, c'eft une puérilité impardonnable. Irois-je refufer le nom de Comédies aux Piéces de M. Congréve, ou à celles de Calderon, parce qu'elles ne font pas dans nos mœurs? La carriére des Arts a plus d'étendue qu'on ne penfe; un homme qui n'a lu que les Auteurs Claffiques, méprife tout ce qui eft écrit dans les Langues vivantes ; & celui qui ne fait que la Langue de fon Païs, eft comme ceux qui n'étant jamais fortis de la Cour de France, prétendent que le refte du monde eft peu de chofe, & que qui a vâ Verfailles, a tout vu,

Mais le point de la queftion & de la difficulté eft de favoir ur quoi les Nations polies fe réuniffent, & fur quoi elles différent. Un Poëme Epique doit par-tout être fondé fur le jugement, & embelli par l'imagination: ce qui appartient au bon fens, appartient également à toutes les Nations du monde. Toutes vous diront qu'une Action, une & simple, qui se développe aifément & par degrés, & qui ne coûte point une attention fatiguante, leur plaira davantage qu'un amas confus d'aventures monstrueufes.

On fouhaite généralement que cette Unité si sage foit ornée d'une variété d'Episodes, qui foient comme les membres d'un corps robufte & proportionné.

Plus l'Action fera grande, plus elle plaira à tous les hommes, dont la faiblefle eft d'être féduits par tout ce qui eft au-delà de la vie commune. I1 faudra fut-tout que cette A&ion foit intéreffante; car tous les cœurs veulent être remués, & un Poëme, parfait d'ailleurs, s'il ne touchoit point, feroit infipide en tout toms & en tout Païs, elle doit être entiére, parce qu'il n'y a point d'homme qui puiffe être fatisfait, s'il ne reçoit qu'une partie du tout qu'il s'eft promis d'avoir.

Telles font à peu près les principales régles que la nature dicte à toutes les Nations qui cultivent les Lettres; mais la machine du merveilleux, l'intervention d'un pouvoir célefte, la nature des épifodes, tout ce qui dépend de la tyrannie de la cou

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