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Discussion du projet de loi relatif à la répression des abus de la presse.

Dès qu'on parle de la liberté de la presse, toutes les nations civilisées doivent prêter l'oreille. Il s'agit de leur cause. La découverte de l'imprimerie a uni des hommes que la différence des climats, des conditions, et même du langage, avait pour toujours séparés. Elle a fait de l'Europe une famille, où quelques intérêts particuliers peuvent exciter des querelles, mais où le plus grand intérêt doit entretenir une intelligence, jusqu'à nos jours mal aperçue; elle a préparé et consommé l'abolition de la servitude; elle a rendu presque impossible la durée d'une tyrannie quelconque; elle a élevé au-dessus des peuples, des grands et des rois, un tribunal devant lequel pâlissent les coupables de tous les rangs.

Mais si cette belle invention est la source de mille sortes de biens, elle enfante à son tour mille maux; si elle procure les plus nobles jouissances, elle cause les plus amères douleurs; si elle exalte les passions généreuses, elle excite les passions viles et féroces; elle peut perfectionner les institutions et corrompre les mœurs; elle répand des flots de lumière, et soulève des tourbillons d'erreurs ; en un mot, elle nous représente la nature de l'homine telle que Pascal nous la peint, dans son néant et dans sa vie, dans sa grandeur ou dans sa turpitude.

De là viennent les jugemens divers qu'on en porte tour à tour. L'un ne veut Ꭹ voir que des bienfaits, l'autre n'est frappé que de ses abus. Le fort veut la faire servir à sa domination, le faible l'invoque pour son affranchissement, et dans ses plus belles productions, elle n'est trop souvent que l'organe ou l'instrument des plus misérables passions.

Sous un régime où les institutions sont établies pour la société, la presse peut être soumise à des lois qui favorisent le bien qu'elle fait, et qui préviennent ou punissent, le mal qu'elle peut entraîner. Mais plus ces lois se multiplient, plus les droits sont incertains. L'arbitraire cherche dans l'une l'appui qui lui manque dans l'autre, et

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des interprétations judiciaires ne manquent jamais de venir en foule épaissir le chaos de la législation... Nous en étions à ce point. La loi de 1814 n'avait rempli qu'imparfaitement les lacunes du code pénal, où le pouvoir s'était ménagé tant de ressources. Celle de 1816 n'avait guère adouci les rigueurs de 1815, et la critique la plus amère de cet ordre de choses, est qu'au milieu de tant de lois, on n'en croyait pas avoir, lorsqu'un nouveau projet fut présenté à la chambre des députés, le 17 novembre 1817.

Ce projet établissait l'échelle de la responsabilité qui, d'après les anciennes lois, pouvait atteindre solidairement l'auteur, l'imprimeur, le libraire, et tout autre distributeur d'un ouvrage, de manière à restreindre la poursuite à la personne et à l'ouvrage de l'auteur, hors le cas de la provocation directe (art. 1 à 6). Il précisait le cas de saisie et de poursuite; mais il considérait comme publication, soit la distribution de tout ou partie de l'écrit, soit le dépôt fait en exécution de la loi du 21 octobre 1814 (art. 7 et 8 ). En cas de simple délit et de poursuite en police correctionnelle, il offrait à l'auteur les moyens de se mettre à l'abri de la peine qu'il pouvait encourir, s'il consentait à la saisie de son ouvrage (art. 10), lors même qu'il était traduit devant une cour d'assises. Selon le projet on permettait encore de séparer l'auteur de son ouvrage par la position des questions (art. 16 et 17). On accordait à toute personne qui se prétendrait lésée dans un écrit, d'en rendre plainte devant le procureur du roi ou juge d'instruction, soit du lieu de son domicile, soit du lieu de la résidence du prévenu ou de l'un d'eux (art. 22); mais la poursuite d'office par le ministère public ne pouvait avoir lieu que devant les tribunaux, soit du lieu de la résidence du prévenu, soit du lieu de la déclaration et du dépôt de l'ouvrage, ou à défaut de déclaration et de dépôt, aux lieux de l'impression ou de la distribution (art 27). L'action publique pour abus de la liberté de la presse était prescrite après un an révolu, à compter du jour du dépôt (art. 25). Les lois antérieures contraires à la présente étaient abrogées. Enfin le dernier article (27), qui fut ensuite l'objet d'une loi séparée, portait que les journaux et autres ouvrages périodiques qui traitent de matières et nouvelles politiques,

ne pourraient, jusqu'au 1er janvier 1821, paraître qu'avec l'autorisation du Roi.

En soumettant ce projet à la discussion de la chambre, le garde des sceaux (M. Pasquier), après des considérations générales sur la liberté de la presse, reconnue par l'article 8 de la charte, et qu'il se plaît aussi à regarder comme une des plus sûres garanties de la constitution de l'État, fait observer que la loi nouvelle, rédigée en vue d'en assurer les bienfaits, doit apporter d'importantes améliorations au régime actuel de la presse. Il en parcourt successivement les dispositions après en avoir développé le système et les avantages, comme offrant toutes les garanties que la presse pouvait justement réclamer. S. Excell. expose qu'il est indispensable de maintenir la surveillance qui s'exerce en ce moment sur les journaux et autres écrits périodiques; et il en trouve la nécessité dans la nature de ces publications, soumises à des précautions particulières, les pays même où la presse est le plus libre, -« dans la situation du royaume, dans des circonstances améliorées, sans doute, mais encore graves dans un pays à peine sorti d'une longue tourmente politique, chez un peuple qui a successivement interrogé toutes ses lois, qui a vu condamner successivement presque toute sa législation ancienne, et qui n'a pu encore concevoir pour la nouvelle cette sorte de vénération que le temps seul amène au secours des institutions humaines, et qui en fait souvent la principale force. »><

(6 décembre.) Le rapport fait par M. Faget de Baure, au nom de la commission chargée d'examiner ce projet de loi, y apportait des modifications essentielles. Relativement à la saisie des ouvrages, la commission ne pouvait considérer le dépôt d'un livre comme une publication; mais elle pensait que le gouvernement, averti par le dépôt de l'existence d'un écrit dangereux à la société, aurait le moyen de le déférer aux tribunaux, attendu que « l'inconvénient du retard que pourrait éprouver la publication d'un ecrit mal à propos dénoncé, qui, en définitive, serait jugé irréprochable, ne pouvait se comparer au malheur de laisser nécessairement se répandre les ouvrages qu'une condamnation tardive, et par conséquent inutile, ne pourrait pas enlever à la circulation. >>

D'ailleurs, quand même la deuxième partie de l'article 8 devrait avoir son effet, la commission regarde l'article 10, qui a pour objet d'exempter de toute poursuite l'auteur qui renonçait à publier son ouvrage, « comme une capitulation inconvenante entre les accusateurs et les accusés, peu séante à la dignité de l'homme de lettres, et surtout au pouvoir judiciaire, qui n'admet point de partage.

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Sur les autres points, la commission était de l'avis du gouvernement. Sa majorité n'avait point partagé l'opinion de quelques-uns de ses membres, sur l'utilité de l'établissement du jury, et même d'un jury spécial, pour juger les délits de la presse; mais en se rendant aux motifs qui faisaient désirer la continuation de la surveillance exercée sur les journaux, elle a cru qu'on pouvait en borner le terme à la fin de la session de 1818.

( 11 décembre.) M. le baron Martin de Gray, inscrit le premier contre le projet de loi, après avoir établi les principes sur lesquels repose le droit de la liberté de la presse, rappelle les différentes lois qui, jusqu'à ce jour, en ont d'année en année suspendu l'exercice, tout en faisant espérer qu'elle nous serait rendue l'année suivante. « Cependant, dit-il, une cruelle expérience a bientôt démenti cette spécieuse théorie et tant de séduisantes promesses; on a vu des agens du ministère public, organe de la loi, étaler cette doctrine :

«

Qu'on peut interpréter les phrases isolées d'un écrivain, et le condamner sur les interprétations, quand il proteste contre le sens qu'on veut donner à ces phrases isolées ;

"

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Qu'attaquer les actes du ministère, c'est attaquer le Roi;

Qu'on peut combiner les lois antérieures avec les lois actuelles de la presse;

pas

« Qu'un écrivain accusé d'une opinion politique peut être puni pour n'avoir fait le désaveu de cette opinion, et qu'en défendant cette opinion, il commet un nouveau délit ; que l'imprimeur, qui a rempli toutes les formalités prescrites, peut néanmoins, et lorsque l'auteur répond de l'ouvrage, être condamné ;

« Et l'on a vu des tribunaux confirmer cette jurisprudence digne

des inquisitions de Madrid et de Goa, la confirmer par leurs jugemens; et l'on a vu le ministère public abreuver les accusés d'outrage; et l'on a vu tous les imprimeurs de la capitale refuser d'imprimer la défense d'un accusé! »

Venant à l'examen de la loi, l'orateur la trouve formée d'élémens hétérogènes, mêlée de tout ce que la loi du 21 octobre 1814, la loi sur les cris séditieux, le code pénal et le décret de Buonaparte (février 1810), ont de plus vexatoire et de plus gênant sur la police de la presse. « Dans ses dispositions elle met l'imprimerie, la librairie, la propriété la plus sacrée, à la discrétion de la police; elle fournit au ministère public une méthode infaillible de retenir un ouvrage dans un cercle perpétuel de saisies; et ce système, actuellement contraire à la charte, serait plus nuisible que la censure même au droit des auteurs et aux progrès de l'esprit humain. Les amendemens que la commission a proposés à cet égard ne sont que de vains palliatifs, vicieux en ce qu'ils n'offrent qu'une nouvelle application d'un système de police et de saisie antérieure à la publication. »

L'honorable orateur examinant la troisième partie de la loi, sur laquelle la commission ne propose aucun amendement, s'exprime.

en ces termes :

« Les abus de la presse sont classés en délits et en crimes : les délits sont jugés par les tribunaux de police correctionnelle; les crimes par les cours d'assises;

« La poursuite de délits de ce genre peut avoir tout autrement d'influence sur la liberté de la presse, que celle de ses abus considérés comme crimes. Les crimes sont rares, et il n'y a presque point d'écrits qui fourniraient à l'autorité le moyen de les poursuivre sous ce rapport....

« La nature des délits de la presse est essentiellement différente de celle des autres délits. Cette différence exige dans le jugement. une autre garantie....

« Les autres délits sont d'un intérêt, pour ainsi dire, individuel et local. Ceux de la presse intéressent presque toujours l'ordre social entier. Il s'agit de la liberté de penser, de laquelle dépendent toutes,

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