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nistration française, il a remis en vigueur les lois qui existaient sur la primogéniture avant 1797; il a rétabli les majorats, et le droit de les transférer, ainsi que les titres de noblesse, avec quelques réserves. Mais ce décret n'est point applicable à l'État de Gênes, où le souverain s'est réservé de faire des modifications assorties au génie et aux habitudes nationales d'un peuple que des concessions importantes en matière de commerce n'ont pas consolé de la perte de son indépendance.

SUISSE. Voici une barrière plus sûre que les États de Sardaigne entre l'Italie, l'Allemagne et la France. Si on ne veut pas tenir compte de Saint-Marin, et de quelques villes libres d'Allemagne, c'est la seule république qui ait survécu à une révolution qui menaçait de mettre l'Europe en républiques. Sa neutralité a été solennellement reconnue au congrés de Vienne, et même en dernier lieu par la cour de Rio-Janeiro; reconnaissance dont l'utilité n'est pas contestée, mais dont l'expérience permet de révoquer en doute l'efficacité. La constitution de cette ancienne confédération helvétique, qu'on croyait à l'abri des injures du temps, et des principes des révolutions, n'a point échappé à leur influence; elle avait été réunie en un faisceau plus serré, par l'acte de la médiation du 19 février 1803, le pacte fédéral du 8 septembre 1814, en a conservé le caractère et augmenté la force apparente. Les vingt-deux cantons ont une constitution générale, qui ne leur ôte rien de leur indépendance particulière; mais il en résulte entre eux une division de partis, une différence d'opinions dont les effets doivent être plus ou moins fâcheux, dans les crises que l'Europe peut encore éprouver; quoique le pacte fédéral ne reconnaisse point de priviléges exclusifs devant la loi, l'aristocratie domine encore dans la plupart des cantons. La Suisse continue à fournir des soldats aux gouvernemens qui lui en demandent. Sous le rapport politique la France est toujours regardée comme son alliée naturelle; mais des haines de révolution, et des rivalités d'industrie et de commerce ont relâché, et tendent peut-être à rompre un jour cette alliance.

Quoiqu'on ait tenté dans quelques cantons de rétablir la sévérité des institutions antiques, telles que le tribunal de censure de Fribourg, la simplicité des mœurs s'y est généralement altérée, et la chaleur des anciennes factions s'est envenimée par l'opposition des idées nouvelles; il est aisé de le voir dans la diète fédérale lors de la discussion des mesures importantes, à la résistance qu'elles éprouvent, aux mécontentemens particuliers qu'elles excitent. L'industrie helvétique s'est appauvrie de l'accroissement de celle de ses voisins, et des rigueurs de leur système prohibitif. Des états de statistique récens attestent la dépopulation de la Suisse et sa misère. Le peuple y est religieux, mais plusieurs cantons et surtout Genève, ouverte de tout temps à l'esprit de réforme, sont infestés par une secte venue d'Angleterre, espèce de puritains ou méthodistes affectant l'austérité des mœurs évangéliques, la simplicité primitive du christianisme, et par suite des principes peu favorables à l'organisation actuelle de la société. Le gouvernement n'était pas sans inquiétude sur leurs progrès, et il avait encore à démêler avec la cour de Rome sur le rétablissement de l'abbaye de SaintGall et sur l'institution des évêchés, des difficultés que trois ans de discussions n'avaient pas terminées.

par

ESPAGNE. En passant des Alpes au-delà des Pyrénées, on trouve un exemple éternellement mémorable de ce que peut l'amour de la patrie et l'horreur du joug étranger. L'Espagne, perfidement attaquée, avait été surprise dans le désordre et l'anarchie, par les divisions de la famille royale, la renonciation et la captivité de son roi. Sans armes, sans ressources dans ses institutions, elle se releva pourtant de l'oppression, elle soutint une lutte inégale contre une armée qui n'avait point trouvé de vainqueurs ; aidée par des alliés intéressés à son sort, elle échappa enfin au joug qui accablait le continent. On regrette qu'une nation si riche par son territoire, si admirable dans ses adversités, n'offre plus après la victoire que le spectacle de la misère et de la faiblesse : c'est à l'histoire d'en rechercher la cause.

Les cortès antiques de l'Espagne, ressuscités par un mou

a

vement national; au milieu d'une guerre sanglante, n'avaient pas tardé à étendre leurs vues et leurs projets au-delà du moment. La nécessité de la défense du pays leur avait dicté des mesures extraordinaires; ils avaient fait sortir le peuple espagnol de son caractère, de ses préjugés, et presque de ses mœurs. Dans l'orgueil de la victoire, dans le désir d'achever leur ouvrage, et sans doute aussi de garder l'autorité, habitués à penser que toute puissance émanait de celle qu'ils avaient reçue, ils concurent la pensée de refaire la constitution du pays, et d'imposer au roi des lois faites sans son consentement. Telle était leur indignation du joug auquel ils venaient d'échapper, que rejetant toute idée de concilíation avec la France, ils avaient annoncé qu'ils ne recevraient pas leur monarque, s'il ne régnait qu'en vertu d'un contrat fait avec Napoléon. Heureusement l'idée de relâcher le royal captif vint trop tard à celui-ci, et sa chute débarrassa les cortès du scandale d'avoir à délibérer davantage sur cette matière. On sait d'ailleurs, comment Ferdinand VII, arrivé à Valence en 1814, irrité des conditions qu'on prétendait lui imposer, rejeta la constitution qui mettait ses droits en question, marcha sur la capitale, ordonna la dissolution de ces cortès si redoutables, et entra dans Madrid au milieu des acclamations d'un peuple soumis.

On avait pu craindre qu'après une si longue absence de l'autorité royale, une résolution si hardie ne soulevât des milliers de citoyens qui avaient bravé toutes les misères pour échapper à l'oppression étrangère, et dont les esprits n'étaient frappés depuis long-temps que d'idées de réforme, d'indépendance et de liberté ; mais à leur soumission subite, au calme avec lequel cette population recevait chaque jour les édits d'une autorité absolue, à la promptitude avec la quelle furent réprimées la sédition de Valence, les tentatives de Porlier, de Mina, et de Lascy; à la facilité du rétablissement de l'inquisition et des jesuites, à l'indifférence que le public témoignait en apprenant chaque jour l'exil ou l'emprisonnement des plus fougueux apôtres de l'indépendance, on put croire que le monarque avait justement

apprécié sa situation, et que les idées libérales n'avaient point pénétré dans la masse du peuple et de l'armée. C'était sans doute un triomphe, mais triste, déplorable, et peutêtre dangereux. Il dut en coûter au cœur du prince de sacrifier à l'honneur de sa couronne ceux dont le courage l'avait défendue, de confondre des braves égarés avec des traîtres, et de couvrir la terre étrangère de réfugiés, dont plusieurs pleurent en vain la patrie qu'ils ont sauvée.

Au milieu de leur égarement politique, les cortès avaient fait des choses utiles. Ils avaient aboli l'inquisition, les priviléges des provinces, des ordres et des individus; ils avaient aperçu les moyens d'éteindre les intérêts et le capital d'une dette évaluée à douze milliards de réaux. Le roi, en remettant toutes les choses dans l'état où il les avait laissées, se priva lui-même de ces améliorations et de ces ressources; la dette s'accrut de toutes les restitutions que les ordres, couvens ou chapitres rétablis obtinrent sans délai. Il est vrai que, moyennant une bulle du pape, on crut pouvoir imposer au clergé séculier et régulier un subside de 30 millions de réaux; mais ou ce subside ne fut point payé, ou il ne servit qu'à satisfaire à des besoins plus pressans que la décharge de la dette. 1,500 millions de valès royaux tombèrent au quart de leur valeur nominale, et le changement du ministère qui eut lieu alors ne fit que découvrir l'étendue du mal, sans indiquer le remède. Cependant les débris de l'ancienne marine pourrissaient dans les ports, au point que le gouvernement fut obligé de demander à la Russie quelques vaisseaux pour transporter des troupes en Amérique. Marché digne d'être remarqué dans les fastes de l'histoire...! L'orgueilleux Philippe II ne prévoyait pas sans doute que ses successeurs auraient besoin d'aller acheter une flotte aux Moscovites. Cette flotte fut payée avec l'argent que l'Angleterre donnait à l'Espagne en indemnité des pertes que l'exécution du traité (23 septembre 1817), pour l'abolition de la traite des noirs, pourrait occasioner aux Espagnols. L'armée d'Espagne n'était guère en meilleur état que sa marine : elle se composait, sur le papier, de

plus de cinquante régimens d'infanterie, à trois bataillons, et de trente régimens de cavalerie, pesante ou légère, sans y comprendre l'artillerie et la maison militaire du roi. La détresse du trésor et les expéditions envoyées en Amérique y avaient fait des vides immenses. Une instruction royale parut au mois de décembre 1817, pour la recruter au moyen d'une levée de soixante-onze mille huit cents hommes à fournir en quatre ans, par des tirages annuels, à partir du 1er janvier 1818. Cette levée générale avait tous les caractères de la conscription; mais elle offrait quelques exceptions en faveur des fils uniques, enfans de veuves, et de tous ceux qui voudraient payer une somme d'environ 5000 francs. D'ailleurs elle atteignait les gentilshommes (hidalgos) qui n'auront d'autres priviléges que quelques distinctions dans l'uniforme, les tonsurés sans bénéfice, les novices des ordres religieux, les ministres, officiers, familiers et employés de l'inquisition qui ne sont pas en activité de service, en vertu d'un brevet de Sa Majesté, etc., etc. Tant de rigueurs prouvaient mieux que toute autre considération les besoins de l'État. Nous n'avons pu qu'indiquer, en passant, les embarras de l'intérieur; il faut jeter un coup d'œil sur les colonies pour achever de se faire une idée de la situation générale du royaume dont elles faisaient naguère toute la richesse.

On ne prétend pas donner ici l'histoire des révolutions qui agitent le Nouveau-Monde depuis dix ans : il serait plus aisé de débrouiller celle du moyen àge, d'éclairer le chaos des invasions des Barbares, que de démêler l'origine des troubles de l'Amérique espagnole, d'en suivre les progrès et les variations dans des pays mal connus, où le vainqueur et les vaincus occupent tour à tour le même champ de bataille, et entre des récits souvent contradictoires, toujours exagérés par l'orgueil, la haine ou l'intérêt des partis. En pareille circonstance, l'opinion de la postérité ne se forme que long-temps après l'issue de la querelle, et le plus ordinairement d'après ses résultats.

Au premier aspect de cette révolution, on est tenté de

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