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négocier pour la liquidation de ses dettes et pour l'évacuation de son territoire déjà opérée pour un cinquième, il s'occupait de renouveler ses capitulations avec la Suisse, et de refaire un concordat avec le saint siége.

L'alliance des cantons helvétiques avait fourni, pendant près de trois siècles, de bons et fidèles soldats à l'armée française ; elle avait servi à la France d'un boulevard longtemps inexpugnable, sur un frontière qu'on n'aurait pu fortifier qu'à grands frais. La politique conseillait sans doute le renouvellement de cette alliance; mais des deux principaux partis qui divisent la France, l'un ne voulait voir dans les Suisses que des soldats dévoués à la cause monarchique, et destinés à venger les victimes du 10 août; l'autre, que des soldats mercenaires armés pour le despotisme contre l'intérêt et l'honneur national; et ces idées, qui les rendaient chers ou odieux, prévalaient dans les meilleurs esprits sur le grand intérêt politique, que de sages ménagemens pouvaient accorder avec de justes préventions. Quoi qu'il en soit, les capitulations militaires avaient été arrêtées avec les vingt-deux cantons, à des conditions plus favorables que les précédentes, pour douze mille trois cent soixantedix-huit hommes, par des actes signés les 13 mars et 1er juin 1816; mais l'ancienne alliance n'a point été renouvelée.

La négociation d'un nouveau concordat ou du rétablissement de l'ancien était encore, dans la disposition des esprits, plus délicate et plus difficile à ménager. Elle avait répandu, dans une classe nombreuse les plus vives alarmes : c'était M. le comte de Blacas d'Aulps qu'on en savait chargé. Le concordat de 1801, que Buonaparte avait cru si utile à ses intérêts, altéré dès son origine par ses lois organiques, suspendu depuis par des violations et des difficultés nouvelles, et qu'on pouvait enfin regarder comme anéanti par la rupture des deux parties contractantes, ne paraissant pas, à plus forte raison, être obligatoire pour le souverain qui n'y avait point pris part, il était peut-être naturel qu'il lui préférât l'ouvrage de ses aïeux, en l'appropriant aux besoins, aux intérêts, aux vœux actuels de la nation. Mais, d'un côté, cette négociation semblait remettre en litige des questions

décidées par la charte, et faire craindre de nouveaux empiétemens de l'autorité pontificale sur les libertés de l'Église gallicane; de l'autre on voulait y trouver un appui pour la morale et la monarchie; et, dans ce conflit de sentimens, l'opinion publique paraissait dominée par des craintes et des inquiétudes moins soigneuses de se cacher que les espérances.`

On a vu avec quelle sollicitude le gouvernement britannique pressait l'exécution des traités ou conventions pour l'abolition de la traite des noirs. Partout l'intérêt particulier luttait avec sa volonté. Ses plaintes réitérées auprès du cabinet des Tuileries avaient provoqué des ordonnances rigoureuses, fortifiées dans la session suivante du secours d'une loi pénale contre les particuliers infracteurs du traité.

La France était remise en possession de ses anciennes colonies, excepté de Saint-Domingue, jadis la plus riche du monde, et de l'île maintenant nommée Maurice, que sa fertilité, son beau climat, sa population toute française et sa position maritime et commerciale, rendaient si précieuse à la métropole, et si digne d'en porter le nom. Le gouvernement britannique y tenait bien moins par le besoin de la posséder que par envie de nous la ravir; mais il nous avait permis de reprendre, sur le continent de l'Inde, Chandernagor et Pondichéri, dont l'opium et le sel procurent quelques revenus, mais qui ne sont plus que deux comptoirs, dont un régiment de Cipayes peut nous chasser, au premier ordre de l'honorable compagnie.

En passant de l'examen des rapports extérieurs de la France à celui de sa situation intérieure, on y trouvait encore, deux ans après la catastrophe de 1815, l'empreinte de ses malheurs, et le triste effet de ses discordes.

Qu'on se reporte maintenant à cette époque, on s'étonnera qu'il se soit alors trouvé un ministère assez courageux pour se charger de nos destinées. Aux conditions regardées comme intolérables du traité de 1814, de la convention du 20 novembre 1815, et de l'occupation étrangère, se joignirent des réclamations intérieures, sans mesure. Chacun avait des droits à faire valoir, et des pertes à réparer : des prétentions sans hornes assiégèrent le trésor épuisé; et

la cupidité aigrie par le désespoir d'être satisfaite, enflammait encore des partis qui ne s'étaient pardonné ni leurs fautes, ni leurs malheurs.

Dans la crainte mieux fondée alors que toute autre d'une révolution qui perdait la France sans retour, le gouvernement du Roi, sorti du point constitutionnel où il voulait d'abord s'établir, ne put échapper aux influences des passions communes à toutes les crises politiques, où il n'est que trop ordinaire de voir l'intrigue se parer des couleurs du dévouement, et l'audace imposer silence à la modération. L'aristocratie, entrée de toutes parts dans la puissance législative, civile et militaire, marchait à découvert, par l'envahissement des places, à la reprise de ses priviléges. La vieille armée avait disparu; la nouvelle ne semblait organisée que pour faire des officiers, et dans un intérêt étranger à la cause nationale; l'administration publique était bouleversée la misère générale, aggravée par une mauvaise récolte, grossissait le nombre des mécontens dont des machinations perfides pouvaient aisément faire des séditieux. Un voile fut alors jeté sur cette charte, d'où l'on avait attendu la concorde et le repos. Des lois et des tribunaux d'exception, réclamés pour le salut de l'État, purent quelquefois servir des passions non moins ardentes que l'intérêt. Une autre terreur enfin s'élevant sur nos cités, désolant les campagnes, excitant les haines, conseillant la vengeance, épiant la pensée, punissant le murmure, préparait tout pour la guerre civile et le joug de l'étranger, quand l'ordonnancedu 5 septembre permit à la France de respirer et de se reconnaître : c'était déjà beaucoup pour son salut. Le gouvernement, replacé au milieu des intérêts de la société, aidant de toute son influence une majorité effrayée ou éloignée des dernières élections, obtint une chambre plus populaire, et pour consommer son ouvrage il eut la force de donner cette loi des élections, base et garantie du système représentatif d'une grande nation; loi qui assure aux Français l'exercice libre d'un droit dont ils ne jouissaient depuis longtemps que par le mandat d'un préfet et avec les plus étranges violations du régime électoral.

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Dès ce moment, la France changea de face; elle trouva dans son courage et dans sa bonne foi des moyens qu'on n'osait plus espérer. Le crédit reparut là où les ressources semblaient épuisées. Le numéraire dont on calculait l'écoulement progressif avec effroi, rentrait par mille voies qu'on croyait fermées sans retour. La confiance de l'étranger remplit un emprunt dont le patriotisme ne pouvait soutenir le fardeau; l'administration suffit à tous ses besoins; et il se trouva même au trésor de quoi prévenir une disette et secourir l'indigence.

Cependant on eut encore à déplorer, dans le cours de cette année, des désordres dont les partis se sont mutuellement accusés, et dont les documens connus à la fin de 1817, n'avaient pas suffisamment éclairci la cause. Tels sont surtout ceux dont Lyon fut le théâtre au mois de juin, et dont les souvenirs douloureux devaient encore long-temps après occuper le ressentiment des partis. Dans le temps, la cour prevôtale avait puru établir les preuves d'une conspiration redoutable liée à celle dont Grenoble avait précédemment vu l'éclat et la punition; tout à coup, mais trop tard pour les victimes d'un égarement coupable ou d'une trame odieuse, des rumeurs jetées dans le public, des écrits composés par des témoins oculaires, par des agens de l'autorité publique; des plaintes élevées, même à la tribune législative, sur le système de terreur qui avait désolé cette malheureuse contrée, ont donné lieu de croire que le gouvernement avait pu être trompé sur l'intensité du mal ou sur l'importance de la conspiration, et sur les dispositions d'une population malheureuse; on a craint que des suggestions artificieuses n'eussent irrité les passions qu'il fallait calmer.

Cette affaire déplorable offrait quelque analogie avec celle dont l'Angleterre était alors si occupée. Mais le gouvernement français, moins indifférent que le ministère britannique aux murmures et aux préventions de l'opinion publique, avait déjà pris des mesures. L'envoi du maréchal duc de Raguse, à Lyon, avait fait cesser les poursuites judiciaires, les supplices et la terreur. Les chefs de l'adminis

tration civile et militaire avaient été changés, et la population calmée était retournée sans crainte à ses travaux. Des arrêts jugés au moins trop rigoureux, furent dans la suite adoucis, ou annulés successivement par la clémence du souverain. Enfin, la mission du duc de Raguse avait rétabli l'ordre et le calme, mais ce résultat ne paraissait suffire ni au ressentiment des uns, ni à la justification des autres: cette querelle n'était que suspendue. L'avenir nous en révèlera les conséquences.

Le gouvernement sorti des premières difficultés d'une situation à laquelle on ne peut trouver de point de comparaison dans l'histoire, faisait dans l'administration civile et militaire des créations, des changemens, ou des réformes nécessaires: il réglait la comptabilité du trésor; il mettait les subsistances en régie; il remplaçait à l'armée les commissaires des guerres par des intendans et sous-intendans militaires : il réduisait le corps des officiers de marine, si encombré de serviteurs inutiles, à un nombre encore plus considérable que la force maritime qu'il nous est permis d'entretenir. Dans la police intérieure, il marchait toujours au milieu de divers obstacles, entre deux partis ardens à se détruire, mais en quelques points disposés à se réunir contre lui; qui ne lui tenaient compte ni des gages qu'il avait donnés à la liberté publique, ni du mal qu'il avait arrêté, ni du bien qu'il avait fait, ni de la sécurité qu'il avait rendue à tous. Chaque parti voulait l'entraîner dans sa sphère, c'est-à-dire envahir les honneurs, les places, le pouvoir. La loi des élections, qui n'était que le développement le plus étendu, mais aussi le plus rigoureux de l'article 40 de la charte, semblait devoir provoquer l'expression de l'opinion générale, élever au-dessus des passions une masse indépendante, éclairée sur ses droits, ses devoirs et ses intérêts, étrangère à toute intrigue, et moins accessible par le nombre et le caractère des individus qui la composent, aux séductions de l'autorité. La première épreuve de cette loi, faite pour fortifier l'élément démocratique de la puissance législative, n'avait point occasioné le désordre ou les embarras qu'on en redoutait; mais elle n'avait que

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