Images de page
PDF
ePub

DISCOURS PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. T.-M.-C. ASSER,

PAR

M. Albéric ROLIN,

Secrétaire général de l'Institut de droit international,

Professeur émérite de l'Université de Gand,

Directeur général de la Bibliothèque du Palais de la Paix à la Haye.

MESSIEURS,

Je viens, au nom de l'Institut de droit international qui va se réunir dans quelques jours à Oxford et dont j'ai l'honneur d'être le secrétaire général, adresser un adieu suprême à l'illustre défunt dont nous déplorons aujourd'hui la perte. La nouvelle de la mort de M. Asser a été pour tous ses confrères de l'Institut un coup de foudre. Ceux même qui savaient que sa précieuse existence était menacée, cherchaient à se bercer d'illusions on croit si volontiers ce que l'on désire! Mais presque tous ignoraient le mal dont il était atteint; sa prodigieuse et persistante activité intellectuelle ne leur permettait pas de le soupçonner. L'illustre défunt ne comptait dans nos rangs que des amis et des admirateurs.

M. le Ministre des affaires étrangères vous a dit, en termes éloquents et avec une émotion poignante, les services inappréciables que ce grand homme, c'est ainsi qu'il l'a qualifié et ce n'est pas trop dire, a rendus à sa patrie, à l'humanité. Qu'il me soit permis de vous dire, à mon tour, en quelques mots ce qu'il fut pour nous, ce qu'il fut pour notre compagnie.

M. Asser n'a-t-il pas été, avec feu M. Rolin-Jaequemyns dont je ne puis prononcer le nom sans réveiller en moi une douleur plus personnelle encore, avec le célèbre Bluntschli, avec Field, le législateur de New-York, avec Mancini, l'éminent homme d'État

et professeur italien, avec le savant économiste belge de Laveleye, avec Moynier, Calvo, Lorimer et d'autres illustrations du droit international, l'un des onze fondateurs de notre Institut? C'est, il y a quarante ans, que ces ouvriers de la première heure, je les vois encore, se réunirent pour la première fois à Gand et jetèrent les bases de notre association que sa collaboration puissante et active a tant contribué à rendre vivace et florissante. Dans cette pléiade d'hommes déjà célèbres il était le plus jeune; il n'avait pas 35 ans ! Mais son haut mérite, son sens juridique si fin, ses connaissances étendues, la largeur de ses conceptions lui assuraient une place parmi tous ces hommes éminents librement réunis avec un désintéressement absolu, en vue d'une œuvre commune, d'une œuvre de justice et de paix internationales. La générosité de son âme l'entraînait du reste irrésistiblement à s'y associer, à lui consacrer toutes les énergies de sa vive intelligence... Seul, hélas ! il nous était resté. Seul aussi il avait survécu des trois illustres fondateurs de la Revue du droit international, cette Revue qui fut créée en 1869 par M. Rolin-Jaequemyns, par M. Westlake et par lui, qui compte actuellement quarante-trois ans d'existence et qui, la première sans doute, a fait des questions de droit international public et privé, l'objet principal de son existence et de ses études. M. Rolin-Jaequemyns avait succombé il y a plusieurs années. M. Westlake venait de mourir à son tour. Un nouveau deuil nous était réservé. Nous devions perdre M. Asser.

Comme il avait conservé toute la vigueur de ses facultés intellectuelles, ses confrères de l'Institut caressaient l'espoir qu'il assisterait encore maintes fois à nos sessions. La mort l'a surpris en pleine activité scientifique, en plein travail, en pleine lutte pour le triomphe des idées qui lui étaient chères: faire rayonner un peu plus de justice, un peu plus de paix dans les rapports entre les nations. Il n'est aucun de nous qui n'en ait été navré.

Comment aurait-il pu en être autrement? M. Asser n'a pas été seulement, comme je l'ai dit, un des glorieux fondateurs de l'Institut. Il n'a cessé de collaborer à ses travaux. Il a assisté à nombre de nos sessions, prenant une part active à nos discussions. Il fut notre président, ici même, à la Haye, en 1896, et je me souviens encore du talent merveilleux, de la sagesse souveraine avec lesquels il exerçait ces délicates fonctions. Nul n'avait plus de

sûreté de raisonnement, plus de tact, plus de courtoisie souriante, une parole plus persuasive. Je le dis avec d'autant plus d'émotion qu'il m'avait honoré d'une amitié particulière, et Dieu sait si je la lui rendais! Avec le calme que donne au jurisconsulte accompli la conscience de sa valeur et de la solidité de son argumentation, il réfutait les objections et triomphait avec une modestie si inaltérable que la défaite de ses adversaires ne leur inspirait jamais la moindre amertume. C'était un maître dialecticien. Son Manuel de droit international privé, traduit en allemand par Cohn, traduit en français et commenté par Rivier, est un modèle de concision, de clarté et de logique,

Les services qu'il a rendus à notre compagnie sont inappréciables. Il a fait plus encore que de prendre part à de nombreuses sessions, que collaborer à leurs résultats par des projets, par des rapports d'une admirable limpidité. Il les a propagés par ses écrits et par ses actes. Comme président des conférences de droit international privé, il a réussi à faire proclamer par un ensemble imposant d'États, en matière de capacité, de mariage, de divorce, etc., un grand nombre des principes que l'Institut de droit international avait consacrés. Nul n'ignore l'énorme influence que lui avaient fait acquérir dans ces assemblées sa connaissance si profonde du droit, son sens pratique si délié et si fin.

Les travaux longs et ardus de la Conférence officielle sur la lettre de change, poursuivis sous sa présidence, lui avaient valu un dernier triomphe, et il se réjouissait vivement de ce qu'ils eussent abouti. Mais, ils l'avaient épuisé. Il était miné par une maladie implacable. Il le savait. Il savait que la mort le guettait. Il l'attendait avec la sérénité calme d'un homme qui a conscience d'avoir fait son devoir, tout son devoir et au delà, envers la science, envers sa patrie, envers l'humanité. L'Institut était sur le point de l'élire président d'honneur, il était proposé comme tel par le bureau; il eût été élu à l'unanimité. La mort n'a pas attendu que nous ayons pu lui décerner ce suprême hommage, et me voici devant cette tombe, désolé comme tous ses confrères, à la pensée que nous n'entendrons plus cette voix éloquente, que nous ne verrons plus ce visage si fin et si distingué, ces yeux dans lesquels se reflétaient si bien sa vive intelligence et sa profonde bonté, consolé seulement par cette pensée, que de pareils hommes ne meurent pas tout

entiers. L'illustre défunt ne laisse pas seulement une mémoire vénérée, il laisse des œuvres plus impérissables que l'airain; il laisse aussi les semences de progrès moral et social qu'il a généreusement répandues, et qui lèveront un jour en une riche moisson pour le bonheur de l'humanité, et c'est en lui adressant ce suprême hommage que je m'incline avec une respectueuse douleur devant son cercueil.

LA GUERRE ITALO-TURQUE ET LE DROIT DES GENS,

PAR

M. Andréa RAPISARDI-MIRABELLI,

Docteur agrégé de l'Université de Gènes (1).

QUATRIÈME PARTIE. LES HOSTILITÉS.

Je ne pourrais mieux commencer cette partie de mon étude qu'en rappelant les intéressantes discussions ouvertes par Rolin-Jaequemyns, dans cette Revue même, sur le délicat problème de la détermination du caractère illicite de certains actes d'hostilités accomplis par l'un ou par l'autre belligérant. Il est une observation d'ordre élémentaire et qui s'impose à tout esprit attentif, à savoir que les principes de la méthode historique s'appliquent à l'étude des faits contemporains non moins qu'à ceux du passé (2), car les difficultés d'être « bien informé ne sont pas moindres dans un cas que dans l'autre.

[ocr errors]

Rolin-Jaequemyns a rendu compte du critérium qui l'avait inspiré (3), quand, à la suite de la publication de ses chroniques, parues ici même sur la grande guerre franco-allemande, il fut accusé de partialité par plusieurs auteurs français. De son côté, il avait relevé précédemment, à propos de plusieurs faits, le peu d'exactitude et d'impartialité de la presse française. Lors d'une autre grande guerre, postérieure à celle-ci de peu d'années, le même auteur fut amené à dénoncer comme une honte (1) la campagne acharnée de mensonges à laquelle se livra, au sujet de l'ob

(1) Traduit de l'italien, sur manuscrit, par M. LÉON DEVOGEL, chef de division au département des affaires étrangères de Belgique. Voir Revue de droit international et de législation comparée, 1912, p. 159 et 411, et 1913, p. 85.

(2) Cfr. éventuellement SEIGNOBOS, La méthode historique appliquée aux sciences sociales. Introduction.

(3) ROLIN-JAEQUEMYNS, De la constatation des faits de la guerre, ou de la critique historique appliquée aux événements contemporains, dans cette Revue, 1872, p. 487 et suivantes.

(+) Voir dans cette Revue, 1878, p. 28.

« PrécédentContinuer »