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COMPARÉE

L'UNIFICATION DU DROIT
RELATIF A LA LETTRE DE CHANGE.

CONFÉRENCES DE LA HAYE DE 1910 ET DE 1912 (1),

PAR

M. T.-M.-C. ASSER,

Président des Conférences.

La lettre de change, voyageuse et cosmopolite de sa nature, a été depuis son origine régie par un grand nombre de lois et de coutumes différentes, en vigueur dans les différents pays qu'elle avait à parcourir. Souvent aussi, du temps où l'autonomie des villes comprenait le droit civil et commercial (comme dans l'ancienne république des Pays-Bas), le changement des lois et des coutumes applicables avait lieu sans que la lettre de change passat la frontière du pays.

Lorsque l'Allemagne était encore divisée en un grand nombre d'États et que le désir de créer une unité plus réelle que celle qui résultait des rapports établis par la Confédération germanique et par

(1) Voir, dans cette Revue (année 1909, p. 87 et suiv.), le texte du Questionnaire préparé par les soins du gouvernement des Pays-Bas en vue de la Conférence destinée à préparer un projet de loi uniforme sur la lettre de change et dont ce gouvernement avait pris l'initiative. La réunion de la Conférence était alors prévue pour le mois de septembre de cette même année. - Voir aussi (Revue, année 1911, p. 308 et suiv.) le texte du Questionnaire préparé dans les mêmes conditions en vue de l'élaboration d'un projet de loi uniforme sur le chèque.

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le Zollverein - se fit vivement sentir, ce fut sous l'influence de ce désir que le mouvement en faveur de l'uniformité des lois nationales et en premier lieu de la loi sur la lettre de change fit de grands progrès. Pour être complet, il faut ajouter que ce ne furent pas seulement les inconvénients résultant de la diversité des lois sur la lettre de change qui contribuèrent au succès de ce mouvenient. Les idées nouvelles développées par d'éminents jurisconsultes concernant la nature de la lettre de change et par rapport au système à adopter dans l'intérêt du crédit commercial furent accueillies favorablement par le monde des affaires, et la Conference de Leipzig, dans laquelle la haute finance était représentée à côté des jurisconsultes, adopta, en 1847, le projet de l'ordonnance générale de la lettre de change (Allgemeine Wechselordnung) qui, destinée à être présentée à la sanction des nombreux États allemands, reposa entièrement sur le nouveau système juridique.

L'exemple donné par les États allemands, qui adoptèrent avec enthousiasme le projet de la Conférence de Leipzig, en ne profitant que d'une manière fort modeste de la faculté d'y introduire des modifications, ne resta pas sans influence en dehors de l'Allemagne.

Lorsqu'en 1863 l'Association internationale pour le progrès des sciences sociales, fondée en 1862, tint sa seconde session (à Gand), un jeune Hollandais lut un mémoire, tendant à appeler l'attention sur l'utilité d'une loi uniforme sur la lettre de change pour un grand nombre d'États :

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Ce qu'on a fait pour l'Allemagne, c'est ainsi qu'il s'exprimait à la fin de son discours, - pourquoi ne pourrait-on le faire pour l'Europe entière? Je vois parfaitement les obstacles qu'on aura à surmonter. Il ne s'agit pas seulement de questions de détail, de formalités, de coutumes commerciales. C'est un système qu'il faut, c'est une base solide qu'on doit adopter pour y fonder la nouvelle législation uniforme.

Or, quand on compare entre elles les législations qui existent et qu'on consulte les principaux auteurs, on se trouve en présence de plusieurs théories fort différentes. Nous ne sommes - pas venus à ce congrès pour examiner ces divers systèmes. Nous ne déciderons point entre le contrat de change de Pothier, adopté par le Code français, et le système, d'après lequel chaque signa

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taire d'une lettre de change contracte envers le porteur une obligation formelle, indépendante de toute convention en dehors - de la lettre, une sorte de litterarum obligatio. C'est ce système qui a prévalu dans la Commission de rédaction du Code - allemand (').

Le temps n'est pas encore venu de discuter dans cette enceinte les bases sur lesquelles on désirerait fonder la législation uni- forme. Les questions qui doivent nous occuper d'abord sont de savoir si une telle législation serait utile et si elle est réalisable. Je ne crains pas de donner une réponse affirmative à ces deux questions.

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En troisième lieu, on devrait examiner de quelle manière on pourrait, avec le plus de chance de succès, travailler à la réalisation de l'idée que je viens de développer. Si vous me permettez de dire mon opinion à cet égard, j'ajouterai qu'il me semble nécessaire que les jurisconsultes des principaux pays commerçants se tendent la main pour entreprendre ensemble la rédaction d'un projet de loi uniforme. Qu'on ne néglige pas de - consulter les négociants eux-mêmes et qu'on ne s'adresse aux gouvernements qu'après avoir acquis pour l'œuvre ainsi préparée la sympathie et l'assentiment du commerce (*).·

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Depuis lors, des congrès de jurisconsultes, des réunions de commerçants, des associations nationales et internationales, comptant dans leur sein des représentants, tant du barreau et de la magistrature que du commerce et de l'industrie, se sont occupés de la question. Ils l'ont fait avec plus de talent, plus d'autorité et en s'appuyant sur une bien plus longue expérience que celle de l'auteur du mémoire de 1863. Le gouvernement belge a pris l'initiative de deux congrès (tenus en 1885 à Anvers, en 1888 à Bruxelles), qui ont longuement discuté la même matière et préparé le projet d'une loi uniforme. Déjà l'Institut de droit international avait également arrêté un tel projet. L'Association de droit international (International Law Association) suivit son exemple. Des réunions composées de délégués des chambres de commerce de différents pays

(1) Il n'est pas fait mention ici du système anglais.

(2) Annales de l'Association internationale pour le progrès des sciences sociales. Deuxième session. Congrès de Gand, p. 203-209 (séance du 19 septembre 1863).

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appuyèrent par leurs résolutions et leurs vorux l'idée de l'unifica

tion.

En 1907, la corporation importante, appelée Die Aeltesten der Kaufmannschaft (les Doyens des Commerçants) de Berlin, convaincue de l'utilité de la réforme dont il s'agit, résolut de charger un jurisconsulte fort distingué, dont les grands mérites notamment par rapport au développement du droit international sont bien connus, M. le D' Félix Meyer, de Berlin, de la composition d'un ouvrage de législation comparée embrassant toutes les lois qui actuellement régissent la lettre de change et de le faire suivre d'un projet de législation uniforme avec exposé des motifs. M. Meyer s'est acquitté de cette tàche d'une façon vraiment magistrale (1). Je ne veux pas manquer de répéter ici l'hommage rendu dans mon discours d'ouverture de la Conférence de 1910 à M. le D' Meyer et à la corporation des Doyens des Commerçants ».

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Enfin, en 1909, le gouvernement de l'empire allemand, auquel s'associa celui d'Italie, jugea que l'idée d'unification était mùre pour être réalisée et ils prièrent le gouvernement des Pays-Bas de vouloir bien offrir l'hospitalité de la Haye à une Conférence officielle, qui serait chargée de préparer une loi uniforme relative à la lettre de change. On y ajouta le chèque, dont l'emploi comme instrument de crédit international s'était surtout développé dans ces derniers temps et qui venait d'être réglé dans plusieurs pays par des lois spéciales.

Le gouvernement des Pays-Bas, adoptant volontiers la proposition de l'Allemagne et de l'Italie, se chargea de convoquer la Conférence proposée, qui se réunit à la Haye le 23 juin 1910.

Par un jeu du hasard, le jeune Hollandais, qui avait en 1863 lu le mémoire cité ci-haut, fut appelé à présider la Conférence (seulement il n'était plus jeune!).

Au congrès de Gand, on n'avait prévu qu'une loi uniforme pour l'Europe. A la Conférence de la Haye de 1910, parmi les trente-cinq États représentés, se trouvaient les États-Unis d'Amérique, l'Argentine, le Brésil, le Chili, la Chine, le Costa-Rica, le Haïti, le Japon. le Mexique, le Nicaragua, le Paraguay, le Salvador, le Siam et l'Uruguay!

(1) Das Weltwechselrecht, 1909. I. Die geltenden Wechselrechte in vergleichender Darstellung; II. Der Entwurf eines einheitliches Wechselrechts, nebst Begründung.

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