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LE LUTRIN VIVANT.

Par quoi Lucas, chamarré de plain-chant,
Ne craignait plus les insultes du vent.
Or cependant arrive la Saint-Brice,

Fête du lieu, fête du grand office :

Le maître-chantre, intendant du lutrin,
Vient au grand livre'; il cherche, mais en vain;
A feuilleter il perd et temps et peine :
Il jure, il sacre, et s'imagine enfin
Qu'un chœur de rats a mangé les antiennes;
Mais par bonheur, dans ce triste embarras,
Ses yeux distraits rencontrent mon Lucas,
Qui, de grimauds renforçant une troupe,
Sans le savoir, portait l'office en croupe;
Le chantre lit, et retrouve au niveau
Tous ses versets sur ce livre nouveau :
Sur l'heure il fait son rapport au chapitre.

On délibère; on décide soudain

Que le marmot, braqué sur le pupitre,

Y servira de livre et de lutrin.

Sur cet arrêt, on le style au service;
En quatre tours il apprend l'exercice.
Déjà d'un air intrépide et dévot
Lucas s'accroche à l'aigle du pivot :
A livre ouvert le chapier en lunettes

Vient entonner; un groupe de mazettes
Très-gravement poursuit ce chant falot
Concert grotesque et digne de Callot.

Tout allait bien jusques à l'évangile.

Ferme et plus fier qu'un sénateur romain,
Lucas, tenant sa façade immobile,

Avec succès aurait gagné la fin :

Mais, par malheur, une guêpe incivile,
Par la couture entr'ouvrant le vélin, ́
Déconcerta le sensible lutrin.

D'abord il souffre, il se fait violence,
Et, tenant bon, il enrage en silence;
Mais l'aiguillon allant toujours son train,
Pour éviter l'insecte impitoyable,

Le lutrin fuit en criant comme un diable,
Et loin de là va, partant comme un trait,
Pour se guérir retourner le feuillet.

Le fait est sûr sans peine on peut m'en croire,
De deux Gascons je tiens toute l'histoire.

C'est

pour toi seul, ami tendre et charmant, Que j'ai permis à ma muse exilée,

Loin de tes yeux tristement isolée,

De s'égayer sur cet amusement,

Fruit d'un caprice, ouvrage d'un moment :
Que loin de toi jamais il ne transpire.

Si par

hasard il vient à d'autres yeux,
Les esprits francs qui daigneront le lire,
Sans s'appliquer, follement scrupuleux,
A me trouver un crime dans mes jeux,
Honoreront peut-être d'un sourire
Ce libre essor d'un aimable délire,
Délassement d'un travail sérieux.

Pour les bigots et les froids précieux,
Peuple sans goût, gens qu'un faux zèle inspire,
De nos chansons critiques ténébreux,

Censeurs de tout, exempts de rien produire,
Sans trop d'effroi je m'attends à leur ire.
Déjà j'en vois un trio langoureux
S'ensevelir dans un réduit poudreux,
Fronder mes vers, foudroyer et proscrire
Ce badinage, en faire un monstre affreux;
Je les entends gravement s'entre-dire
D'un air capable et d'un ton doucereux :

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«Y pense-t-il? quel écrit scandaleux!

Quel temps perdu! pourquoi, s'il veut écrire,

>> Ne prend-il point des sujets plus pompeux,

» Des traits moraux, des éloges fameux?... »
Mais, dédaignant leur absurde satire,
Aimable abbé, nous ne ferons que rire
De voir ainsi ces graves ennuyeux

Perdre à gronder, à me chercher des crimes,
Bien plus de temps et de peines entre eux,
Que je n'en perds à façonner ces rimes.

Pour toi, fidèle au goût, au sentiment,
Franc des travers de leur aigre doctrine,
Tu n'iras point peser stoïquement
Au grave poids d'une raison chagrine
Les jeux légers d'une muse badine.

Non la raison, celle que tu chéris,

:

A ses côtés laisse marcher les Ris,

Et laisse au froc ces vertus trop fardées,
Qu'un plaisir fin n'a jamais déridées.
Ainsi pensait l'amusant Du Cerceau :
Sage, enjoué, vertueux sans rudesse,
Des sages faux évitant la tristesse,
Il badina sans s'écarter du beau,

Et sans jamais effrayer la sagesse ;
Ainsi les traits de son heureux pinceau

Plairont toujours; et de races en races

Vivront gravés dans les fastes des Graces; Et les censeurs, obstinés à ternir

Son art chéri, par l'ennui pédantesque

D'un français fade, ou d'un latin tudesque, Endormiront les siècles à venir.

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