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CHAPITRE III

Le complot contre Madame. Morin brûlé vif. 1662-1665.

On fait communément deux parts dans le règne de Louis XIV: les belles années où, sous l'influence de Colbert, il se serait maintenu indépendant des influences du clergé, et la mauvaise époque où il céda sans réserve. Division arbitraire. Dès les premières années, sauf un moment très-court, le roi fut l'instrument des rigueurs ecclésiastiques. Ce que chaque Assemblée du clergé avait voté et demandé au roi (en retour du don gratuit) fut, dans les intervalles d'une Assemblée à l'autre, exigé de lui par représentants qu'elles avaient en permanence, lesquels suivaient la cour et ne la quittaient pas. Les ministres du roi, Colbert et le Tellier, qu'il

les

employait sans façon aux services les plus bas, dans ses affaires d'amour, n'avaient nulle action dans la haute sphère morale et religieuse. Le roi, jeune alors, dépendait peu sans doute de son confesseur ridicule, le P. Canard (Annat), connu par ses plates brochures (le Rabatjoie, l'Etrille du Pégase des Jansénistes, etc.). Mais l'assesseur d'Annat, son futur successeur, le dangereux P. Ferrier, savait bien faire peser sur le roi le poids de tous ses entourages, d'une mère dévote et malade, de la cour, de la ville, d'une cabale immense qui dominait Paris.

L'archevêché en était le centre nominal. Mais le centre réel était dans les hôtels des saintes, dans les salons dévots de mesdames d'Aiguillon, d'Albret et Richelieu (Anne Poussart), chez mesdames de Guénégaud et de Lamoignon, etc. Noblesse, robe et finances, tout s'associait dans ces bonnes œuvres. Ces dames charitables, aveuglément zélées, faisaient par charité des actes étranges, par exemple, des enlèvements d'enfants, et cela dans l'hôtel du premier président Lamoignon, qui avait la police du Parlement. Les dames d'Aiguillon et Richelieu, qui n'avaient pas de famille ou la perdirent bientôt, étaient tout entières, corps et biens, lancées de toutes leurs passions, de leur fortune immense, dans l'intrigue dévote, et ne reculaient devant rien.

Ces dames, fort imaginatives et romanesques, tout aussi bien que les mondaines, étaient menées par le roman religieux. J'appelle ainsi, non pas un narré d'aventures, mais le manége passionné, les alternatives orageuses de la direction mystique. Elles lisaient peu la Clélie, le Cyrus, les longs pèlerinages de Tendre, qui faisaient les délices des Précieuses et de l'hôtel de Rambouillet. Mais elles-mêmes faisaient de bien autres voyages dans le champ des visions allégoriques sous la direction pieuse et galante de Desmarets de Saint-Sorlin, l'excellent ami des Jésuites. Du reste, les deux mondes n'étaient pas séparés, autant qu'on pourrait croire. Aux parloirs des couvents, à Chaillot, aux Carmélites de la rue du Bouloi, les mondaines qui y donnaient des rendez-vous à leurs amants (Voir madame de la Fayette) y rencontraient aussi les saintes, négociaient et tripotaient ensemble, une oreille à la grâce, une oreille à l'amour. Les profanes attendrissements, les faiblesses de cœur, n'aidaient pas peu à préparer la sensibilité mystique, voie nouvelle où entraient alors les Jésuites, trop faibles sur le champ de la contro

verse.

Pascal venait de mourir, mais les Provinciales vivaient. Les Jésuites restaient frappés par deux choses incontestables: 1 Leur Société entière

était atteinte; chaque auteur cité par Pascal portait l'approbation de la Société. 2° Le monde voyait trop que Pascal, par pudeur, les avait épargnés, omettant le plus fort, leur servile tolérance des choses sales, leur bassesse pour les avaler, enfin les tendresses équivoques de la galanterie religieuse.

Il avait soigneusement évité cela, craignant d'ébranler la confession et l'Église même. C'est là qu'ils se réfugièrent. Ils enfoncèrent précisément au lieu qu'il leur avait laissé. Ils y trouvèrent l'illuminisme, l'anéantissement moral, la mort voluptueuse qu'on appela plus tard quiétisme. C'était un grand parti sous terre qui gouvernait beaucoup de femmes, la plupart de ces grandes dames dévotes dont j'ai parlé. L'intendant de madame de Richelieu, l'académicien Desmarets de Saint-Sorlin, était, quoique laïque, leur directeur à la mode, et des salons son influence s'étendait aux couvents. Il s'offrit aux Jésuites, mordit leurs ennemis, et devint l'ami le plus cher des pères Annat, Ferrier, donc bien en cour et à l'archevêché. Ses livres les plus excentriques parurent armés et cuirassés des plus hautes approbations.

Il n'y avait pas trente ans que le célèbre capucin, le P. Joseph, avait dénoncé à Richelieu les illuminés dont les doctrines étaient celles de

Desmarets. Le ministre controversiste aurait frappé; mais on lui dit qu'en Picardie seulement il y en avait soixante mille. Il en fut effrayé, et recula. Au fait, s'il eût puni, où se serait-il arrêté? Où commençait la culpabilité? Beaucoup rasaient l'abîme ou y avaient le pied. Tels allaient jusqu'au bout. Tels restaient à moitié chemin. Tels, adversaires de ces doctrines, en prenaient parfois le langage, s'égaraient par moments aux bosquets de l'Épouse dans les suavités ambiguës, dangereuses, du Cantique des cantiques. (V. lettres de Bossuet à la veuve Cornuau.)

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On dit et on répète que ce siècle est toute convenance, toute harmonie. Erreur. Les plus violentes dissonances y crient à chaque instant. Le roi emploie Colbert pour l'accouchement de la Vallière et pour l'allaitement du poupon. emploie le Tellier, son vieux et important ministre, pour menacer la gouvernante des filles de la reine, qui a osé griller leurs fenêtres et les garder des visites nocturnes du roi. Dans les choses religieuses, mêmes dissonances, effrontées. Desmarets contient déjà Molinos. Il. professe, sans détour, avec privilége du roi et autorisation de l'archevêque, que, si l'àme sait s'anéantir, quoi qu'elle fasse, elle ne pèche plus. «Dieu fait tout, souffre tout en nous. S'il y a

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