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malgré elles, que le mortel combat de Bossuet et de Fénelon pour madame de la Maisonfort.

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Il faut des procédés très-divers pour é étudier aler ce règne. Une fine interprétation est nécessaire pour lire certains mémoires. Mais, généralement, c'est par une méthode simple, forte, disons mieux, grossière, qu'on peut comprendre la matérialité du temps. Ne vous y trompez pas. Il s'agit, avant tout d'un homme, d'importance énorme, j'allais dire, unique, qui, dans les choses décisives, tranche, selon son humeur et son tempérament variable. Avec toute cette masse de documents politiques, on se tromperait à chaque instant, si l'on n'avait une boussole dans l'histoire minutieuse et datée attentivement des révolutions de la cour, mieux encore, dans le livre d'or où, mois par mois, nous pouvons étudier la santé de Louis XIV, racontée par ses médecins, MM. Vallot, d'Acquin et Fagon.

L'immutabilité de la santé du roi est une fable ridicule. Il faut en croire ces docteurs qui l'ont connu toute sa vie, et non pas Saint-Simon, qui ne l'a vu que dans ses dernières années où il était ossifié et ne changeait plus guère.

Nous sommes maintenant si cultivés, si raffinés, que nous revenons difficilement à l'intelligence de cette robuste matérialité de l'incarnation monarchique. Ce n'est plus dans notre Europe actuelle, c'est au Thibet et chez le grand Lama qu'il faut étudier cela. Du moins pénétrons-nous du journal des

médecins, livre admirable, dont le positif intrépide n'atténue pas l'adoration. Le roi, de page en page, est purgé et chanté. Imbibons-nous encore de la légende de Dangeau, si scrupuleux, si ponctuel à noter cette vie divine en tous ses accidents. Élevons-nous, si nous pouvons, aux amours extatiques de Lauzun pour son maître, lorsque disgracié il jure de ne plus se raser. Mieux encore, comprenons les dévotions de la Feuillade, qui, de sa statue, fit chapelle, voulut y mettre un luminaire. La Madone était détrônée.

Voilà nos maîtres. Eux seuls font bien comprendre le règne de Louis XIV.

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Ce qui donne une idée bien forte de l'ascendant de terreur qu'exerçait ce Dieu en Europe, c'est la multitude de faits qu'on n'ose écrire pendant longtemps, même hors de France, et qui ne se révèlent que fort tard, vers la fin du règne. Les souvenirs de la Fronde, qui l'avait fait fuir de Paris, lui rendait la presse odieuse. Il la ménagea peu. Les faiseurs de brochures furent poursuivis à mort. En 94, l'imprimeur d'un pamphlet est pendu, sans procès, sur un simple ordre du lieutenant de police, et le relieur même est pendu. Nombre de personnes, pour la même affaire, sont mises à la question et meurent à la Bastille.

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On savait que le roi avait les bras longs hors de France, et faisait enlever en pays neutres les gens qui parlaient mal ou qui agissaient contre lui. L'enlèvement de Marcilly en Suisse effraya tout le monde.

Celui du patriarche arménien Avedyk n'eut pas un moindre effet. On se contait tout bas, portes fermées, le mystère du Masque de fer. La fameuse cage de Saint-Michel, où Louis XI enferma la Balue, fut, occupée sous Louis XIV par l'auteur d'un pamphlet contre l'archevêque de Reims.

Non moins grande était la terreur à la cour et tout près du roi. J'ai dit l'anxiété où fut Madame (Hen-. riette) pour certaines choses imprudentes qui lui étaient échappées, et comment on abusa de sa peur. Cette timidité générale rend l'histoire de la cour obscure. La grande Mademoiselle, et Madame, mère du Régent, ont seules leur franc parler. Saint-Simon vient très-tard; on a tort de le citer pour les com

mencements.

Comment remplir les graves lacunes que les mémoires nous laissent? Nullement avec les romanciers, anecdotiens, les Bussy, les Varillas. Nullement avec ̧ les pamphlétaires; le peu qu'ils ont de vrai est mêlé. de beaucoup de faux. Il faut patiemment recueillir, rapprocher les lueurs sérieuses que l'histoire littéraire et les correspondances politiques donnent sur l'histoire intérieure de la cour. Il faut surtout dater les, moindres faits par mois, par jour, autant qu'on peut. Le seul rapport de date peut aider à trouver le rapport de causalité. Ce qui précède dans le temps n'est pas toujours une cause, mais à coup sûr ce n'est pas un effet. Voilà déjà une connaissance négative, qui toutefois ouvre souvent un jour inattendu.

Ce qui domine, au reste, toute méthode, toute critique, ce qui me semble le point de vue supérieur et essentiel, c'est ce que j'ai dit tout à l'heure pour un des aspects de ce temps, et qui est vrai pour tous; c'est qu'à l'exception de la machine bureaucratique, qui est sa création propré, il achève et finit beaucoup de choses, mais n'en commence aucune.

Louis XIV enterre un monde. Comme son palais de Versailles, il regarde le couchant. Après un court moment d'espoir (1661-1666), les cinquante ans qui suivent ont l'effet général du grand parc tristement doré en octobre et novembre à, la tombée des feuilles. Les vrais génies d'alors, même en naissant, ne sont pas jeunes, et, quoi qu'ils fassent, ils souffrent de l'impuissance générale. La tristesse est partout, dans les monuments, dans les caractères; âpre dans Pascal, dans Colbert, suave en madame Henriette, en la Fontaine, Racine et Fénelon. La sécurité triomphale qu'affiche Bossuet n'empêche pas le siècle de sentir qu'il a usé ses forces dans des questions surannées. Tous ont affirmé fort et ferme, mais un peu plus qu'ils ne croyaient. Ils ont tâché de croire, et y sont parvenus, à la rigueur, non sans fatigue. Cet attribut divin (commun au seizième siècle), à pas un n'est resté La Joie! La joie, le rire des Dieux, comme on l'entendit à la Renaissance, celui des héros, des grands inventeurs, qui voyaient commencer monde, on ne l'entend plus depuis Galilée. Le plus fort du temps, son puissant comique, Molière, meurt de mélancolie.

Le siècle qui va suivre Louis XIV ne sera ni protestant ni catholique. Les deux esprits en lutte au dixseptième, ayant fait leur suprême effort, dès lors produiront peu dans la sphère religieuse.

Rome, dès 1607, sur le conseil de saint François de Sales, défendit la spéculation, la discussion, se réfugia dans le silence. Le réformateur Saint-Cyran, sincère et vrai prophète, prédit que sa réforme ne servirait de rien. Le génie catholique suivit sa voie infime dans la Direction (casuistique ou quiétiste), voie sinueuse, obscure, mais illuminée à la fin par le duel de Bossuet et de Fénelon.

Le génie protestant, théologico-politique, à travers les hommes et les révolutions, eut sa transformation dans Milton, Sidney, Jurieu, Locke et la constitution de 1688. Heureux événement pour toute religion. Car la liberté politique qui garde les autres libertés, celle surtout de l'âme religieuse, permet seule à cette âme de chercher librement son Dieu.

Donc, ainsi qu'un fruit mûr, rejetant une à une ses enveloppes, finit par dévoiler son noyau intérieur, ce siècle, vers la fin, révèle le fond mystérieux que les deux grands partis couvaient. L'un aboutit à la dispute sur la direction mystique, la minorité éternelle de l'âme et la mort de la volonté. Et l'autre, se posant en face, donne l'appel à la volonté, le dogme du contrat social et la déclaration des droits.

Cet appel à la volonté, nos protestants le firent en

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