Images de page
PDF
ePub

sur le chemin de fer de Kayes au Niger, partira, le 20 décembre, pour le Sénégaj avec sept sous-officiers, sept caporaux et sapeurs. Il va étudier l'avant-projet d'une voie ferrée allant de Tiouaouane, une des stations du chemin de fer de Saint-Louis à Dakar, à Fatik, point important du Siné, à 80 kilomètres au S.-E. de Dakar.

Le Dr Crozat, qui avait fait partie de la mission de délimitation du capitaine Binger, après avoir, de 1889 à 1891, refait le voyage de celui-ci de Sikasso au Mossi et entretenu avec les Nabas de Ouagadougou les relations amicales commencées par Binger, est mort à Tengréla, un des principaux villages des États de Tiéba, dont il avait été l'hôte pendant deux ans.

CHRONIQUE DE L'ESCLAVAGE

Le Comité anti-esclavagiste italien a communiqué à M. le général Jacmart, président de la société anti-esclavagiste de Bruxelles, la protestation suivante contre les agissements des autorités ottomanes. Rome, 1er novembre 1892.

Monsieur et cher confrère.

Nous avons l'honneur de vous envoyer la présente lettre pour réclamer toute votre attention sur l'importance des faits que nous allons vous exposer et qui constituent une grave et continuelle violation des résolutions de la Conférence anti-esclavagiste de Bruxelles. Et, puisque c'est un des buts de notre Oeuvre de veiller à l'observation des lois anti-esclavagistes et de mettre en garde l'opinion publique, ainsi que les gouvernements, contre tous ceux qui portent atteinte aux conventions stipulées contre la traite des nègres, nous avons la ferme confiance qu'en vous adressant cette circulaire, nous n'aurons pas eu en vain recours aux sentiments de fraternité qui nous lient.

Tous les rapports que nous recevons depuis un an de nos agents nous informent que continuellement partent de la Tripolitaine des navires ayant à bord des esclaves. Mais ce qui est encore plus grave, c'est que, même les bateaux des messageries ottomanes se prêtent à cet infâme trafic, tellement qu'on peut affirmer que presque pas un de ces bateaux ne quitte la Tripolitaine sans avoir chargé des esclaves.

Djalo et Audjila sont pour ainsi dire le centre de cet abominable commerce dans la Tripolitaine. C'est là que les habitants instruisent les nègres, leur enseignent un peu d'arabe et le Coran, excitent leur fanatisme musulman et leur haine contre les chrétiens, et après quelques années, les vendent aux négociants de la côte. Le gouverneur de Djalo n'étant pas sous l'influence européenne et ayant le pouvoir de défendre le

commerce des esclaves, après en avoir choisi pour son usage et pour en faire cadeau à ses amis de la Tripolitaine et de Constantinople, en permet la vente, à condition qu'on paie deux thalaris par tête, sous peine de confiscation de la marchandise. Les choses une fois arrangées, les marchands d'esclaves sont quittes. Ils viennent à la côte et ils traitent avec les officiers des navires ottomans qui acceptent d'embarquer les pauvres nègres, à condition qu'ils soient amenés à bord, ce qui se fait pendant la nuit et un peu avant le départ du bateau. Ils sont alors transportés au lieu de destination.

Or, pour cacher cette contrebande et de peur que les autorités consulaires des ports que le navire doit toucher n'en soient prévenues, pour rendre inutile toute vérification de l'équipage et des passagers qui pourraient être faites en vertu de l'article 66 de l'Acte de la Conférence de Bruxelles, on ne manque pas de munir les nègres de lettres d'affranchissement; les employés turcs donnent celles-ci aux marchands pour un vil intérêt. Maintes fois nos agents des ports intermédiaires ont vérifié la chose et se sont assurés que des esclaves étaient à bord des bateaux turcs; mais leurs protestations ont été inefficaces en présence des lettres d'affranchissement établies par l'article 63, pour la protection des esclaves libérés, lettres dont la malice des marchands a fait un moyen légitime pour légaliser la contrebande.

Une dernière preuve de la façon dont les autorités ottomanes de Bengazi livrent les lettres d'affranchissement, nous l'avons dans le fait suivant. Le 6 septembre, le bateau turc Negid abordait dans le port de Canée. Notre agent y avait découvert trois femmes esclaves embarquées à Bengazi, et dont une cachée dans la cabine du commandant du bord. La police ottomane se refusait à les délivrer à cause des lettres d'affranchissement dont elles étaient munies. En vain, il y avait conduit le chef même de la police; le commandant protestait contre les affirmations de notre agent. Celui-ci néanmoins, par un acte d'énergic, a saisi et amené les trois femmes au consulat d'Angleterre, où elles ont déclaré qu'elles n'étaient point libres et qu'elles désiraient absolument être renvoyées dans leur pays. Grâce à notre agent on a été contraint de les laisser à Canée d'où on les a fait retourner dans leur patrie à nos frais.

Voilà, Monsieur le Président, comment, malgré les dispositions de la Conférence de Bruxelles et les ordres de S. M. le Sultan, des milliers de malheureux esclaves partent de la Tripolitaine pour l'Orient, et grâce à la connivence des autorités ottomanes, passent impunément sous les yeux es autorités européennes.

En appelant votre attention sur un tel état de choses, nous vous prions de bien vouloir vous unir à nous pour tâcher de le faire cesser. A cet effet, nous vous proposons d'agir de la manière que vous croirez la meilleure auprès de votre gouvernement pour l'intéresser vivement à déterminer S. M. le Sultan:

1° à donner des ordres sévères et péremptoires à ses officiers de la Tripolitaine, surtout de Bengazi et de Derna, afin de punir les marchands d'esclaves et de prévenir les caravanes qui partent pour l'intérieur du pays de ne pas introduire des esclaves à leur retour;

2o de faire défense aux navires turcs d'embarquer des esclaves, s'en tenant pour l'embarcation de noirs scrupuleusement à l'art. 36 de l'Acte de la Conférence de Bruxelles; de punir sévèrement les coupables;

3o de vouloir concéder que les lettres d'affranchissement ne soient délivrées qu'avec la légalisation de quelque consulat européen. ·

Nous regrettons que le bureau international maritime de Zanzibar ne soit pas encore constitué selon les dispositions de l'art. 74 de la Conférence de Bruxelles; mais nous espérons cependant que les démarches simultanées faites dans leur pays respectif par toutes les sociétés antiesclavagistes aboutiront à une scrupuleuse surveillance sur les ports de la Tripolitaine et y feront cesser, ou au moins, diminuer le trafic des esclaves; car il a été constaté que là où les autorités ottomanes observent les lois anti-esclavagistes et les ordres du Sultan, comme par exemple à Tripoli, la traite a presque disparu.

En demandant votre concours pour l'action ci-dessus indiquée, nous n'entendons pas exclure tout autre moyen que votre Conseil trouverait opportun d'employer pour obtenir le résultat que nous désirons; nous vous saurons toujours gré de nous éclairer de vos sages avis.

Le Conseiller-Secrétaire,

A. Simonetti.

Le Président général, Prince Camille Rospigliosi.

Le Conseil de la Société de Bruxelles a décidé de transmettre cette lettre au baron Lambermont, président de la Conférence de Bruxelles, et actuellement président du Bureau spécial constitué à Bruxelles en vertu de l'art. 82 de l'Acte de la Conférence anti-esclavagiste.

D'autre part, la Correspondance Politique a publié la communication suivante de Constantinople:

Le gouvernement turc vient de faire parvenir aux autorités supérieures de toutes les provinces de l'empire l'Acte général de la Conférence anti-esclavagiste de Bruxelles ainsi que les instructions relatives à sa

mise à exécution. En même temps, et afin de prouver qu'elle prend au sérieux l'adhésion qu'elle a donnée aux stipulations du dit Acte, la Sublime Porte a établi à Constantinople et dans d'autres localités des asiles destinés à recevoir les anciens esclaves dépourvus de moyens d'existence et a rendu une ordonnance relative à la présence sous les drapeaux des esclaves astreints à l'obligation du service militaire.

Le gouverneur général de Mozambique a, en conséquence de l'article 8 de l'Acte général de la Conférence de Bruxelles, pris un arrêté réglementant l'importation des armes et des munitions dans l'Afrique orientale portugaise. Les armes perfectionnées ne peuvent être introduites qu'avec une autorisation de l'administration; chaque personne ne peut introduire plus d'une arme, à moins d'avoir à protéger une habitation en un lieu où la police n'ait aucune force. Ces armes seront estampillées dans les magasins de l'État. Avec chaque fusil on pourra introduire 250 cartouches; personne ne pourra, dans la même année, obtenir l'autorisation d'introduire plus de 500 cartouches pour une seule arme. Dans les districts soumis à l'autorité immédiate de l'État, personne ne peut posséder un fusil autre qu'un fusil à pierre sans l'autorisation de l'administration. La vente des armes et de la poudre est soumise à l'autorisation des administrateurs de district. L'introduction et la vente d'armes et de munitions peuvent être interdites absolument par des motifs d'ordre public. Dès 1887, des dispositions plus rigoureuses encore avaient été prises contre leur introduction dans la province d'Angola: un propriétaire ne peut y obtenir l'autorisation d'introduire un nombre d'armes perfectionnées supérieures au quart du nombre de ses travailleurs et employés: il ne peut être introduit plus de 100 cartouches par arme.

En même temps que Matadi devenait tête de ligne du chemin de fer du Congo et voyait s'élever tous les édifices qui annoncent la civilisation hôtel-de-ville, bureau de poste, églises, prison, etc., le trafic des spiritueux s'y développait sur une grande échelle. Partout où vous allez, dit le Rev. Harvey, de Banza Manteca, vous voyez les indigènes acheter, vendre, boire le malavou mampoutou, gin de traite. En route, mes porteurs ne parlait presque que de cela; on voyait que s'ils se procuraient des étoffes c'était pour les échanger contre des spiritueux. Que quelqu'un leur en signale les mauvais effets, ils en conviendront, mais ils n'en boiront pas moins. Comment arrive-t-il qu'il y ait tant de facilité à se procurer des liqueurs? N'avait-on pas imposé sur les spiritueux de fortes taxes il y a peu de temps? Oui, sans doute,

et l'effet en fut de restreindre beaucoup ce trafic. Mais le gouvernement a réduit ces taxes dans une telle mesure qu'une maison de commerce qui s'était transportée ailleurs est revenue et fait des affaires considérables; toutes les autres maisons font des gains énormes aux dépens des pauvres indigènes. Le missionnaire susmentionné déclare que les résultats pratiques de la Conférence de Bruxelles, en ce qui concerne le trafic des spiritueux, est à peu près nul. Aussi n'est-il pas difficile de prévoir ce qui arrivera, si le mal n'est pas enrayé; une nouvelle génération verra ces natifs si débauchés et si dégradés qu'il ne sera plus possible de les relever, et ces Congolais qui offraient de si brillantes espérances, seront ruinés pour toujours.

Le Mouvement anti-esclavagiste du 30 novembre a publié la lettre suivante du Capitaine Jacques, datée d'Albertville (Tanganyika), 1er juin 1892.

« Dans une de mes lettres précédentes, je vous demande des renforts, des fusils, des munitions, des canons surtout... Si je demande des armes c'est que j'ai le pressentiment que la contrée où nous vivons ne tardera pas à être le théâtre d'actions sérieuses, et qu'il ne faudrait pas que nous nous trouvions désarmés au milieu de la tourmente. Les Anglais ont à venger la mort de plusieurs de leurs compatriotes lâchement assassinés pendant une palabre pacifique sur la natte même du Conseil, endroit. pourtant respecté partout, méme chez les peuples les plus barbares. Mais rien n'est sacré pour les sectateurs de l'Islam, pour lesquels le meurtre d'un « chien de chrétien » est un titre de gloire. Nos voisins du Sud commencent à comprendre le danger qu'il y a à donner des armes aux chasseurs d'hommes et vont entreprendre contre eux une action énergique. Avec leurs contingents des Indes et leur artillerie, il ne peut y avoir de doute sur le résultat de la lutte, le malheur c'est que c'est précisément notre territoire qui deviendra le théâtre d'action des vaincus, qui seront en force pour tout oser. En même temps ceux qui, jusqu'à présent ont opéré dans nos parages, nous en veulent mortellement des préjudices que nous leur avons causés; ils sont furieux de voir le vide se faire autour d'eux et les populations qui leur étaient soumises venir se grouper autour de nous. Nous sommes une entrave sérieuse à leurs opérations, et ils réuniront leurs forces pour nous faire disparaître. Notre réputation commence à s'étendre et l'on vient de trois, quatre et cinq journées de l'intérieur demander notre appui. Les pauvres sauvages de l'Ou-Goma, qui ont pourtant mon drapeau, sont en train de se débattre, avec l'énergie du désespoir, contre les infâmes chasseurs qui viennent de s'en prendre à

« PrécédentContinuer »