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diez rester, cette détermination dégagerait vous et vos gens du service de l'Égypte, laquelle ne vous compterait plus de traitement. » Et dans la soirée du 30 avril, les explications verbales données par Stanley ne firent que développer les affirmations de la lettre susmentionnée. « Si vous préférez rester, notre mission est terminée, vous n'avez plus aucune aide à attendre du gouvernement. Mais votre devoir personnel vous oblige à suivre le commandement du Khédive. »

Stanley interprétait le firman du Khédive comme un ordre donné par le souverain au gouverneur de l'Égypte équatoriale de quitter cette province; il estimait que le Khédive se déchargeait de toute responsabilité ultérieure quant à l'administration de la province de l'Équateur, et par conséquent qu'il renonçait à toute souveraineté et à tout droit sur ce territoire qui dès lors devenait sans maître. Émin le comprit absolument dans ce sens. « Mon premier devoir, » dit-il à Stanley, « est envers l'Égypte. Moi ici, les provinces appartiennent à l'Égypte, restent siennes jusqu'à ce que je m'en aille. Quand je n'y serai plus, elles ne seront à personne. » Et Stanley n'y contredit pas. Ce n'est même que dans cette conviction qu'il put présenter à Émin les deux autres propositions qu'il tenait en réserve pour l'engager à quitter, en officier obéissant au premier ordre de son souverain, le poste où l'avait placé le Khédive.

Nos lecteurs se souviennent que la première de ces deux propositions subsidiaires provenait de S. M. Léopold, roi des Belges. « Il vous informe », dit Stanley, par mon entremise, que pour empêcher les provinces équatoriales de retomber dans la barbarie, l'État du Congo pourrait entreprendre de les gouverner, pourvu qu'elles fournissent un revenu raisonnable, et si la chose se peut faire par une dépense annuelle de 200 à 300.000 francs, S. M. vous donnerait volontiers des honoraires dignes de vous, disons 37.500 francs, le titre de gouverneur et le rang de général. Il croit que ces fonctions répondraient à vos goûts. Vous tiendriez libre la communication entre le Nil et le Congo, vous maintiendriez l'ordre et la loi dans les provinces équatoriales ».

Il est vrai que Stanley ne s'exprimait pas très respectueusement sur cette proposition du roi des Belges. « Qui donc », ajoutait-il, « serait assez don Quichotte pour convoiter ces provinces? Le roi des Belges? Rappelez-vous qu'une stipulation accompagne la proposition qui vous est faite : « Pourvu que ces provinces fournissent un revenu raisonnable ». En cette matière, vous êtes le meilleur juge, et pouvez dire si l'on peut administrer la région avec 250 ou 300,000 francs. Quelque soit le rendement actuel, augmenté de la somme susdite, il faudra instituer environ vingt

stations entre Yambouya et Nsabé où nous sommes. La distance est d'un millier de kilomètres environ; il faudra tenir sur pied 1200 soldats, de 50 à 60 officiers et un gouverneur, ensuite pourvoir à l'habillement, aux moyens de défense et aux équipes de porteurs qui seront indispensables pour relier au Congo le point extrême du territoire. Et si vous ne pouvez compter sur le roi des Belges, qui donc se chargera de vous faire vivre. et de vous entretenir d'une manière conforme à votre dignité et à vos besoins? >>

Stanley avait vu le roi des Belges avant son départ. Il savait la résolution du Khédive; il admettait que la proposition du souverain de l'État indépendant du Congo n'était point contraire au droit des gens puisque la province de l'Égypte équatoriale allait se trouver sans maître. Elle était au contraire conforme au droit international établi par la Conférence de Berlin, puisqu'elle avait pour but d'empêcher qu'un territoire annexé à la civilisation par Émin-Pacha retombât dans la barbarie. Et si Émin s'était senti libre de l'accepter, personne n'aurait eu l'idée de reprocher à S. M. le roi des Belges d'agir contrairement au droit, ni à Émin de se faire le complice d'une violation du droit. Moins que personne le Khédive aurait songé à leur faire un semblable reproche; nous supposons plutôt qu'il les eût sincèrement remerciés de conserver à la civilisation des provinces que lui-même se déclarait impuissant à faire administrer plus longtemps. Stanley en passant au Caire avait, nous n'en doutons pas, fait part au Khédive, à Nubar-Pacha, à Sir Evelin Baring, de la proposition du roi des Belges, à laquelle, nous ne sachions pas qu'aucun d'eux ait fait la moindre objection. L'ouvrage de Stanley ne porte. pas trace de la moindre opposition de leur part à la réalisation de l'offre du souverain de l'État du Congo.

Le peu d'encouragement donné par Stanley à cette proposition n'était pas de nature à décider Émin à l'accepter. Non pas que celui-ci la jugeât contraire au droit, mais parce qu'il voyait les difficultés qu'il rencontrerait dans l'accomplissement des devoirs dont il assumerait la responsabilité.

C'est alors que Stanley lui fit la dernière proposition qu'il tenait en réserve pour la fin. « Si vous êtes convaincu, » lui dit-il, « que vos gens refuseront l'offre que fait le Khédive de les rapatrier, alors, accompagnez-moi avec les soldats qui vous sont fidèles à l'angle N.-E. du Victoria Nyanza, et permettez-moi de vous y installer au nom de la British East African Company. Nous vous aiderons à construire votre fort dans une localité qui conviendra aux projets de la Compagnie, nous vous laisserons notre

bateau et tels objets qui vous seront nécessaires. Après, retournant à Zanzibar par le pays des Masaï, nous exposerons la situation devant le Comité. Nous obtiendrons sa sanction pour les faits accomplis et son aide pour vous établir définitivement en Afrique. Je dois dire que je n'ai aucune autorité pour vous faire cette dernière ouverture, mais j'ai l'entière confiance que j'obtiendrai la coopération et l'approbation cordiale de la Compagnie qui saura apprécier l'importance d'un ou deux bataillons disciplinés et les services d'un administrateur comme vous. »

Cette solution paraissait la meilleure à Émin-Pacha, vu le grand nombre de personnes à emmener et à nourrir; impossible de les ramener en Égypte. « Je n'oserais prendre, » dit-il, « la responsabilité de conduire cette foule pour la faire périr en route. Jusqu'au lac Victoria, le voyage est possible; le chemin est court relativement. Oui, c'est la dernière proposition qui est la meilleure. »

Là-dessus, Stanley l'engagea à réfléchir jusqu'à son retour de Yambouya, où il voulait aller chercher l'arrière-garde avec les munitions et les bagages qu'il y avait laissés. Mais, remarquons que cette proposition ne vise que l'angle N.-E. du Victoria-Nyanza, le Kavirondo, comme territoire où serait établi Émin, et qu'elle renferme implicitement l'abandon de la province de l'Équateur. Au départ d'Europe de Stanley, dans les entretiens qu'il avait pu avoir avec les organisateurs de son expédition, en même temps directeurs de la British East African Company, s'il avait été fait mention de la possibilité de profiter des services d'Émin, ç'avait été simplement en vue d'un territoire compris dans la sphère d'influence que s'attribuait la Compagnie en 1887. Alors, ses plans d'exploitation s'arrêtaient à l'angle N.-E. du lac, au N. du 1er degré de latitude, extrémité de la limite fixée par la Convention anglo-allemande relative aux zones d'intérêts anglais et allemands dans l'Afrique orientale. Alors, la Compagnie ne se croyait point encore le droit de disposer des pays compris entre le Kavirondo et la province de l'Égypte équatoriale, l'OuGanda et l'Ou-Nyoro. Ce ne fut que plus tard, en 1889, à l'occasion de l'émission de leur emprunt de cinquante millions de francs, que les administrateurs de la Compagnie, pour obtenir le concours de la petite épargne, firent miroiter aux yeux de leurs actionnaires que le territoire dont ils disposaient s'étendait de la côte de l'Océan Indien jusqu'à la province de l'Équateur, gouvernée par Émin-pacha.

Mais lorsque Stanley eut avec Emin l'entretien dans lequel il lui fit la proposition sus-mentionnée, la Compagnie avait des visées beaucoup plus modestes. Elle ne s'attribuait ni l'Ou-Ganda, avec lequel elle n'avait point

de traité, ni l'Ou-Nyoro, avec lequel elle n'en a jamais eu, encore moins l'Égypte équatoriale d'où Stanley s'efforçait de faire sortir le gouverneur. Y eût-il eu alors, de la part de la Compagnie, la moindre velléité de se substituer dans cette province à l'autorité du Khédive, au nom duquel Émin l'avait administrée jusque-là, une proposition semblable aurait pu fournir au gouverneur l'occasion de demander au chef de l'expédition comment la Compagnie anglaise osait se permettre de lui faire, à lui Émin, le fidèle, une proposition qui aurait eu l'air d'une invitation à trahir le souverain qu'il avait servi jusque-là. Mais non, nous l'avons dit : alors, la Compagnie n'étendait pas ses vues au-delà du Kavirondo, et la proposition du souverain de l'État du Congo n'étant pas agréée par Émin, en présence de l'abandon du Khédive, la province de l'Égypte équatoriale allait devenir sans maître.

Cela ressort encore clairement du texte de la proclamation qu'au terme de ses entretiens avec Émin, Stanley rédigea pour la faire lire par M. Mounteney Jephson aux officiers et soldats du pacha. « Je suis venu, » disait-il, sur l'ordre exprès du Khédive Tewfik, afin que vous sortiez d'ici et que vous retourniez chez vous... Il faut que vous m'accompagniez en Égypte... Vous pouvez rester ici, mais dans ce cas vous n'êtes plus les soldats du Khedive. Quelque danger qui puisse vous assaillir, il ne s'en occupera plus, vous restez à vos risques et périls... »

Nos lecteurs se rappellent la rébellion provoquée, à la suite de cette proclamation, par des officiers égyptiens disant à leurs soldats que les lettres montrées par Stanley comme venant du Khédive et de NubarPacha étaient fausses, que Stanley et Émin avait formé le complot de les saisir, eux, leurs femmes et leurs enfants et de les livrer comme esclaves aux Anglais. Ils se souviennent également de la captivité d'Émin, de sa mise en liberté, du retour de Stanley au sud du lac Albert et de l'ordre péremptoire donné par lui, le 18 janvier 1889, à tous ceux qui voudraient quitter la province de l'Équateur, de le rejoindre à Kavalli d'où devaient partir ces réchappés, escortés par les survivants de l'expédition dite de secours. «Ne regimbez pas, « écrivait-il confidentiellement à M. Jephson, << mais obéissez, prenez mes injonctions comme des ordres qu'il faut strictement exécuter. » Il fut obéi, et sur son ordre, appuyant le firman du Khedive, le territoire de l'Équateur est devenu sans maître, ou plutôt il a été abandonné aux partisans du Madhi, avec lesquels nous ne sachions pas que le gouvernement égyptien ait noué aucune négociation pouvant aboutir à une convention en vertu de laquelle l'ancienne Égypte équatoriale serait replacée sous l'autorité du Khédive. Celui-ci ayant renoncé

volontairement à ses droits, nous ne comprendrions pas qu'il prétendît les faire valoir aujourd'hui où une expédition de l'État indépendant du Congo paraît vouloir faire rentrer ces territoires dans des limites où la civilisation puisse remplacer la barbarie qui y a régné depuis quatre ans.

BIBLIOGRAPHIE1

Ch. Lallemand. VINGT JOURS A TUNIS ET EN TUNISIE (RETOUR EN FRANCE PAR BISKRA ET CONSTANTINE). Paris (May et Motteroz, Lib.-Imp. réunies), 1893, oblong, 118 p., ill., fr. 5. L'automne est venu, c'est le moment, pour ceux qui ont besoin d'une température moins basse que celle de nos climats, de chercher une contrée plus chaude, qui leur offre la possibilité de faire, même dans la mauvaise saison, des excursions bienfaisantes en même temps qu'instructives. Qu'ils prennent le volume de M. Ch. Lallemand, un des hommes qui connaissent le mieux la Tunisie, et peut-être, ou plutôt certainement, ils voudront, après avoir parcouru ce pays avec ce guide aussi aimable qu'érudit, choisir ce coin de terre pour aller y rêver à l'ombre des dattiers, sous les orangers, les palmiers, les eucalyptus ou les pins, chevaucher à cheval ou à dos de mulet parmi les cités antiques ou les villes naissantes, embaumées des parfums des roses, des jasmins et des hyacinthes. Tunis la blanche, Kairouan la sainte, Bizerte, Biskra, le Désert, Constantine, telles sont les étapes de cette excursion, d'un intérêt bien supérieur dans sa réalité aux fictions laborieusement imaginées du roman. Les gravures en noir et en couleur qui illustrent chaque page d'un texte à la fois substantiel et amusant, les renseignements pratiques et le prix de l'ouvrage qui le met à la portée de toutes les bourses, tout concourt à faire de ce volume le vade mecum du touriste tunisien.

J. Scott Keltie. THE PARTITION OF AFRICA. London (Edward Stanford), 1893, in-8°, 498 p., with Twenty-one Maps, 16 sh. Les conflits auxquels donne lieu le désir des puissances européennes d'étendre toujours davantage leurs possessions ou leurs territoires de protectorat rendaient nécessaires la rédaction d'un ouvrage comme celui qu'a fourni M. Scott Keltie, l'érudit bibliothécaire de la Société royale de géographie de Londres. Connaissant par sa position tous les travaux concernant les rapports anciens ou modernes de ces puissances avec les populations africaines, les

1 On peut se procurer à la librairie Georg & Co, à Genève et à Bâle, tous les ouvrages dont il est rendu compte dans l'Afrique explorée et civilisée.

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