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Quant aux résultats, on ne peut les comparer à ceux des Conférences de Berlin et de Bruxelles; toutefois ils ne sont pas à mépriser.

Les Américains de couleur, leurs amis blancs du nord et du sud, les amis des missions de différentes églises en Afrique et les hommes du monde ne s'intéressant qu'aux matières purement séculières, qui jusqu'ici avaient travaillé isolément et ne se connaissaient guère, se sont rapprochés, ont fait connaissance et ont découvert que l'Afrique est un terrain commun où leurs intérêts si variés se rencontrent.

Espérons que ces relations s'affermiront de plus en plus et qu'une espèce de fédération tacite permettra à ces différents groupes de s'entr'aider et de contribuer plus puissamment au progrès africain.

La voix du Congrès, comprenant les auteurs européens de mémoires. les Américains blancs et nègres ainsi que les indigènes d'Afrique, s'éleva unanime contre la conquête militaire des Européens, contre la traite et l'esclavage, mais surtout contre l'introduction et la vente des spiritueux.

L'Amérique répudie toute idée d'ingérence dans les affaires politiques de l'Afrique, mais la sympathie du public américain est tout entière avec les indigènes. En éducation et en richesse, les nègres d'Amérique font des progrès notables, leur influence s'accroît et le jour n'est pas éloigné où ils seront à même de prendre une part digne de leur nombre et de leurs ressources à la régénération des peuplades africaines par l'Évangile.

PROTESTATIONS ANGLAISES CONTRE LES PROCÉDÉS DE LA SOUTH AFRICA COMPANY DANS LE MA-TÉBÉLÉLAND

Les voix, peu nombreuses d'abord, des Anglais protestant contre les procédés des agents de la South Africa Company à l'égard des Ma-Tébélé et de leur roi Lo-Bengula, se sont multipliées pendant le mois qui vient de s'écouler. Dans le Parlement, il y a eu des réclamations au sujet des blessés laissés gisants sur le champ de bataille, les blancs restant auprès de leurs pièces de canon, et les Ma-Shona n'osant pas s'avancer au delà de la ligne de protection des blancs; au sujet de la chasse faite à Lo-Bengula, que les officier anglais, MM. Forbes et Wilson, poursuivent comme des sportsmens qui voudraient, avec leur meute, forcer une bête fauve dans sa fuite et se livrer ensuite avec leurs gens à la curée; au sujet des terres que s'adjugent les vainqueurs à la suite des promesses qui leur ont été faites par la Compagnie pour acheter leur concours dans cette campagne; au sujet des attributions législatives et administra

tives conférées au major Forbes; au sujet de la quantité de bestiaux enlevés aux Ma-Tébélé etc. On ne s'en est pas tenu là; sous la présidence du Rev. John Brown, de Bedford, le Comité de l'Union congrégationaliste de l'Angleterre et du pays de Galles, a adopté à l'unanimité la résolution suivante: « Le Comité a vu avec une angoisse mêlée d'indignation les procédés de la South Africa Company dans ses rapports avec les MaTébélé; il insiste sur l'impérieux devoir qui incombe aux Anglais de donner l'exemple de la justice et de l'humanité dans leurs relations avec les tribus moins civilisées; et il supplie le gouvernement d'opérer un règlement des affaires qui réserve les droits légitimes des Ma-Tébélé, et épargne à la nation britannique la honte d'avoir cédé à des aventuriers égoïstes, indifférents aux intérêts d'une nation plus faible ». De son côté, l'Aborigines Protection Society a envoyé à lord Ripon une délégation nombreuse à laquelle se sont joints des membres du Parlement et de la Société des Missions de Londres. Le chef de la députation, M. Alexandre M. Arthur, a exprimé la crainte « que les agents de la South Africa Company n'aient trop méprisé la vie des Ma-Tébélé et commis une iniquité qui mérite la censure la plus sévère. Il est urgent que le gouvernement intervienne pour que les indigènes soient traités avec humanité, justice et pitié ».M. F. Harrison a ajouté « que si un corps organisé de sujets anglais a pris part à cette guerre sans y être appelé par le gouvernement de la Reine, ceux qui l'on fait n'ont été que des flibustiers, des maraudeurs et des pirates, qui n'ont combattu que pour leur compte et dans leur seul intérêt. Rien dans la Charte de la South Africa Company ne leur en donnait le droit. »>

Lord Ripon a répondu à la députation qu'il sympathisait pleinement avec les sentiments qui animaient ses membres envers les indigènes. Il s'est néanmoins retranché derrière les difficultés que rencontre un gouvernement dans ses rapports avec des races non civilisées. Ce n'est pas l'administration actuelle qui a octroyé la Charte à la South Africa Company; le gouvernement a dû tenir compte des circonstances créées par ce privilège. Il n'a pas pu non plus faire abstraction de l'opinion régnante dans l'Afrique australe. Lord Ripon n'a pas voulu donner tort à M. Cecil Rhodes ni à Sir Henri Loch au sujet de la guerre faite aux Ma-Tébélé, ni exposer le plan du gouvernement quant au règlement du sort du pays. conquis; ce sera au Parlement qu'il le présentera. Mais il ne se hâtera pas de le faire, la question étant compliquée et nécessitant une consultation avec les autorités du sud de l'Afrique. Toutefois, il n'estime pas « que le Ma-Tébéléland doive devenir une colonie de la Couronne, ni qu'il doive

être soumis à un régime comme celui du Be-Chuanaland. Quoi qu'il en soit il sera sous le contrôle du gouvernement, et ce sera celui-ci qui en aura la responsabilité. L'autorité y sera exercée en vue du bien être et de la prospérité des Ma-Tébélé. » Nos lecteurs comprendront que le représentant du gouvernement a voulu donner à entendre qu'il a à compter avec M. Cecil Rhodes et avec les puissants directeurs de la Compagnie qui a fait la conquête du pays. Quant aux promesses du contrôle du gouvernement sur les agissements de celle-ci, l'expérience que les Ma-Tébélé viennent de faire ne leur garantit pas que les procédés des capitaines anglais devenus propriétaires de leur sol et administrateurs de leur pays deviennent plus justes ni plus humains qu'ils ne l'ont été envers les MaShona et à l'égard de Lo-Bengula. Les travailleurs Ma-Shona qui, pour l'exploitation des mines, recevaient, comme salaire d'un mois entier, une couverture de la valeur de 3 shillings, peuvent dire déjà s'ils ont à se louer beaucoup de l'équité et de l'humanité de leurs nouveaux maîtres. D'autres auront à faire paître les nombreux bestiaux enlevés à Lo-Bengula par les vainqueurs, qui ne les ont certes pas pris pour en faire cadeau aux Ma-Shona, mais se serviront de ceux-ci comme valets. Ces colons ne sont pas de ceux qui servent les autres, mais de ceux qui estiment que les autres ne sont en ce monde que pour les servir.

La Ligue internationale pour l'arbitrage a aussi tenu un meeting pour protester contres les actes de piraterie des agents de la South Africa Company et de ses mercenaires dans le Ma-Tébéléland, et faire appel au gouvernement de S. M. en vue d'empêcher une plus longue effusion de sang, l'extermination des indigènes, leur capture comme butin, et la spoliation de leurs terres, soit par la Compagnie soit par les francs-tireurs à son service. A ceux qui couvrent les actes de la Compagnie du nom « d'Expansion de l'empire britannique, » et se moquent des hommes qu'ils appellent petits Anglais, M. Wilfrid Lawson, membre du parlement, a répondu : « Nous sommes pour une Angleterre honnête, juste et humaine. » M. Vesey Knox, membre du parlement également, a expliqué pourquoi les procédés de la South Africa Company n'ont pas été flétris par un plus grand nombre de membres de la Chambre des Communes: c'est, a-t-il dit, un fait connu « que beaucoup d'entre eux ont des actions de la Compagnie. »

Qu'en sera-t-il de toutes ces protestations? Nous n'attendons pas du gouvernement anglais qu'il dégage sa responsabilité de cette guerre. Il tiendra la conquête comme bonne parce qu'elle contribue à l'expansion de l'empire britannique, et comme M. Donald Mackenzie dans le Stan

dard, il absoudra la Compagnie ainsi que toutes celles qui, à l'instar de la Compagnie des Indes, ont ajouté à l'étendue du territoire colonial anglais, même par les procédés les plus condamnables. Comme l'écrit à la Gazette de Lausanne un correspondant établi depuis plusieurs années dans l'Afrique australe: « Au prix de quelques sacrifices en hommes et en argent (que le gouvernement anglais lui remboursera d'ailleurs sans aucun doute), la Compagnie deviendra propriétaire absolue de tout le Ma-Tébéléland et de tout le Ma-Shonaland; elle n'aura plus aucune agression à redouter. Les colons cultiveront leurs terres sans danger, les mineurs exploiteront leur or, les actionnaires toucheront leurs dividendes, l'influence de l'Angleterre sera plus que jamais dominante au Sud de l'Afrique. Si, pour atteindre ce but, il a fallu déposséder violemment quelques milliers de noirs, mitrailler et massacrer des troupes de sauvages, ce sont là de simples incidents de politique coloniale! On criera un peu à Exeter Hall, on écrira quelques articles de journaux; puis on n'y pensera plus. On ne verra plus que le succès obtenu, on oubliera les. moyens qui l'ont amené. Le noir doit céder la place au blanc, c'est l'axiome fondamental de toute la politique coloniale anglaise. Bien naïfs sont ceux qui ne le comprennent pas et qui veulent appliquer aux indigènes du Sud de l'Afrique les maximes modernes du droit des gens! Il est vrai qu'il en est encore quelques-uns, même ici, qui estiment que la justice et le droit doivent être les mêmes pour tous, et que pour être noir ou brun on n'en est pas moins homme. On ne les écoute guère. »

Nous ne pouvons terminer cet exposé des protestations anglaises sans citer quelques extraits que le Times a donnés d'une lettre privée écrite par M. Knight Bruce, l'évêque anglican au service de la Society for the Propagation of the Gospel dans le Ma-Shonaland, qui a accompagné la colonne britannique de Fort-Salisbury à Gouboulououayo. « Horrible, horrible!» écrit le Times, « tel est le résumé des impressions de l'évêque sur cette guerre », et faisant allusion au scandaleux sermon de son collègue de Derry, qui avait recommandé l'extermination des Ma-Tébélé, il ajoute « Certains prêcheurs qui s'efforcent à Londres de conseiller le massacre des indigènes feraient bien de venir regarder ici comment les choses se passent, avant de donner leur opinion sur la prétendue opportunité de telle ou telle guerre africaine. » Sir Ed. Grey et M. Sidney Buxton oseraient-ils encore, en présence du témoignage de l'évêque Knight Bruce, soutenir devant le Parlement que les Ma-Tébélé sont traités avec justice et humanité par les vainqueurs de Gouboulououayo? Quant aux ducs d'Abercorn et de Fife, qui président les assemblées des

actionnaires de la South Africa Company, on comprend qu'ils n'aient que des couronnes à tresser à M. Cecil Rhodes qui fait exploiter leurs mines par des travailleurs noirs à un prix si minime, et à MM. Jameson, Forbes, Wilson dont les canons Maxim détruisent si facilement l'organisation militaire des Ma-Tébélé, et leur permettent de prendre, au profit de la Compagnie, les immenses pâturages des indigènes avec leurs troupeaux et les gisements miniers enfouis sous le sol. Les actions de ces Messieurs montent à la Bourse, il ne leur en faut pas davantage pour leur faire entonner les louanges des agents de la Compagnie. Nous n'en persistons pas moins à croire qu'avant peu l'histoire impartiale aura tout autre chose que des éloges à décerner à leur Auri sacra fames, que flétrissait déjà le poète païen il y a plus de dix-huit siècles.

BIBLIOGRAPHIE 1

Richard Kiepert. DEUTSCHER KOLONIAL-ATLAS für den amtlichen Gebrauch in den Schutzgebieten. Berlin (Geographische Verlagshandlung Dietrich Reimer, Inhaber Hoefer & Vohsen), 1893, fr. 24. Si l'Allemagne n'est entrée que récemment dans la voie des entreprises coloniales, elle a largement racheté le temps, puisqu'en dix ans elle a acquis, dans le continent africain seulement, les vastes territoires de l'Afrique orientale équatoriale, de l'Océan indien au Tanganyika; ceux de l'Afrique méridionale occidentale, entre la colonie du Cap et l'Angola, de l'Atlantique au Zambèze; et dans le golfe de Guinée, le Togoland et le pays de Cameroun avec son hinterland, dont les limites orientales ne sont pas encore connues, ni reconnues par tous les voisins intéressés. A mesure que l'administration établissait ses représentants dans ces nouveaux territoires, elle avait soin de les faire accompagner d'explorateurs habiles à étudier le pays, à en dresser la carte, et une fois en possession de tous les documents nécessaires, elle s'adressait aux cartographes et aux rédacteurs les plus compétents pour préparer un Atlas qui pût être consulté facilement par les fonctionnaires officiels, dans les territoires de protectorat allemand.

La partie cartographique en a été confiée au célèbre Richard Kiepert, dont les travaux antérieurs garantissaient qu'il ferait de l'Atlas une œuvre d'art, aussi bien au point de vue du dessin des cartes qu'à celui de

1 On peut se procurer à la librairie Georg & Co, à Genève et à Bâle, tous les ouvrages dont il est rendu compte dans l'Afrique explorée et civilisée.

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