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ne fut pas accueillie. On ne considéra pas que les pays fussent en guerre, bien qu'il y eût eu une action sanglante. Voici les seules observations que j'avais à présenter, en réponse aux questions qui ont été faites par M. Mauguin.

M. Barthe, garde des sceaux, ministre de la justice. La commission de Brest, chargée de prononcer en première instance, a pensé que la prise était valable; il y a eu non pas un conflit, mais un pourvoi devant le Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat est saisi, l'instruction n'est pas même complète. Il y a sans contredit une question politique, une question diplomatique qui domine les questions en matière de príse. Il s'agit de savoir si l'on était en paix ou en guerre. (Interruption.)

Quand l'autorité désignée par la loi est saisie, je ne conçois pas que l'on vienne porter au sein de la Chambre une délibération qui est portée ailleurs; lorsque le Conseil d'Etat aura reçu tous les documents nécessaires, lorsqu'il aura émis son avis conformément à la loi, c'est alors que le gouvernement pourra se prononcer.

M. Eschasseriaux. MM. les ministres de la marine et de la justice ne nous ont donné d'autre raison, pour satisfaire au juste empressement que la Chambre doit ressentir pour une solution sur l'objet qui vous occupe, si ce n'est que l'affaire était en ce moment pendante devant le Conseil d'État.

Je crains, Messieurs, que dans cette circonstance le ministère ne nous ait pas laissé entrevoir le fond de sa pensée.

Quant à la question de savoir s'il y a eu déclaration de guerre, je crois qu'il n'est plus temps de l'interpréter, le gouvernement l'a déjà résolue, et c'est le Moniteur à la main que je vais vous l'apprendre; je laisse de côté le détail affligeant des traitements odieux éprouvés par des Français, dont la lecture offenserait le sentiment national: j'arrive de suite au dénouement.

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<< Deux frégates, une corvette et un brick entrent dans les eaux de Lisbonne, demandent une satisfaction complète.

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Ainsi donc, Messieurs, la réparation à laquelle le gouvernement avait subordonné sa déclaration de guerre n'ayant pas été obtenue, il a été contraint d'employer la force matérielle; en conséquence, s'il n'y a pas eu une déclaration de guerre en forme, il y a eu du moins état de guerre véritable.

Maintenant je dis que nous avons besoin de connaître la pensée du ministère actuel sur cette question de savoir s'il la considère comme une affaire politique, ou bien comme une simple affaire de finances; quant à moi, je suis porté à croire qu'il s'agit moins ici d'un débat avec le trésor ou la marine que d'une question de poli

tique extérieure. Les délais légaux pour le jugement sont déjà expirés, les réclamants ne savent plus à qui s'adresser. Si c'est réellement une question que le Conseil d'Etat doit juger, pourquoi ces fenteurs de justice? Si c'est, au contraire une question de gouvernement, la connaissance doit en être portée devant la Chambre. Je suis sûr d'avance qu'elle ne consentira jamais à restituer les vaisseaux de la flotte capturée au gouvernement qui a indignement outragé le pavillon national.

M. le due de Broglie, ministre des affaires étrangères. Les honorables préopinants ont paru fort étonnés qu'il existât dans la pensée du gouvernement un état intermédiaire entre l'état de paix et l'état de guerre. Ils ont plaisanté sur ce sujet; ils l'ont regardé comme une innovation de la Restauration que le gouvernement actuel continue. S'il en était ainsi, je crois qu'il n'aurait jamais existé de question de prise dans le monde, car toutes ces questions se résolvent toujours en définitive à cette question suprême et dernière avait-on le droit de capturer les bâtiments? ont-ils été capturés en temps de guerre? Et comme les questions des prises sont aussi anciennes que le droit des gens; comme il existe dans tous les pays des tribunaux sous une forme quelconque, des tribunaux du droit des gens ; comme ce n'est pas la Restauration qui a inventé les questions de prises ni le gouvernement actuel, il faut que cet état intermédiaire, cet état qui n'est pas la paix et qui n'est pas la guerre, se soit présenté à toute époque et à l'égard de tous les pays. C'est effectivement ce qui est arrivé. II est impossible d'ouvrir un livre du droit des gens sans en trouver des exemples nombreux et tout aussi marquants que ceux qui ont été cités à cette tribune.

J'ai dit que la question de savoir si on était n paix ou en guerre est une question qui, quant à ses conséquences légales, est toujours examinée dans les questions de prises.

La décision de ces questions a été attribuée au gouvernement, et ce n'est pas sans motif. Pendant assez longtemps, je crois jusqu'à l'an VIII, ces questions ont été jugées par les tribunaux ordinaires. Mais il a paru impossible de se tenir à cet ordre de juridiction, parce qu'au fond de ces questions de prises, il y avait presque toujours une question d'Etat que les tribunaux ne pouvaient pas juger. Qu'est-il arrivé en l'an VIII, c'est-à-dire au moment où la France a reçu une réorganisation régulière? On a remis au gouvernement le droit de prononcer sur les questions de prises, en fixant cependant des conditions et des formes. Ces formes sont un examen préalable fait par une commission administrative, dont il y a appel, si le mot d'appel peut être employé en pareille circonstance. Cet appel est porté au Conseil d'Etat, lequel ne juge pas lui-même, mais donne son avis au gouvernement, suivant les formes qui ont été déterminées, et le gouvernement prononce. C'est ce qui est arrivé à l'occasion de la flotte qu'on a capturée à Lisbonne. Les marins ayant réclamé, leur réclamation a été portée devant une commission administrative, laquelle a rendu un jugement qui a été porté au Conseil d'Etat où il est maintenant. C'est au gouvernement, éclairé par les délibérations du Conseil d'Etat, que la décision de cette question appartient aujourd'hui.

Quant à la question en elle-même, je ne m'en

expliquerai pas, parce que ce n'est pas dans cette enceinte qu'elle doit être discutée, mais je dirai qu'il faut avoir étrangement envie d'abaisser son gouvernement, qu'il faut avoir étrangement envie d'injurier les dépositaires du pouvoir pour leur reprocher d'avoir peur du gouvernement de don Miguel. Il est évident que ce ne peut être par un pareil sentiment que nous avons été dirigés. Nous nous sommes emparé de la flotte portugaise, nous l'avons amenée dans le port de Brest, où elle est restée en partie, parce qu'elle était un gage de l'exécution de la convention faite le 14 juillet 1831.

Quant à savoir ce qui sera décidé, c'est-à-dire si les bâtiments capturés resteront au gouvernement, ou si, n'ayant pas été capturés en temps de guerre, ils devraient être restitués, c'est une question sur laquelle le gouvernement prononcera selon sa conscience et sans la moindre crainte. La question, telle qu'on propose de la décider, serait, non pas de savoir si la France a redouté le gouvernement de don Miguel, mais si elle a abusé du droit du plus fort. (Marques d'adhésion.)

M. Mauguin. M. le ministre s'est trompé, quand il a prétendu que l'opposition reprochait au gouvernement d'avoir peur même de don Miguel. Le mot de peur ne s'est trouvé ni dans la bouche de l'honorable M. Eschasseriaux, ni dans la mienne. Cette pensée, nous ne l'avons même pas eue; et M. le ministre est le seul qui ait eu cette idée. J'ai dit seulement que la politique du ministère était toujours hésitante; que les ministres ne prirent pas un parti net dans cette circonstance, comme dans beaucoup d'autres. Je crois, en effet, que le gouvernement n'a pas peur du gouvernement de don Miguel.

M. le duc de Broglie, ministre des affaires étrangères. Ni d'aucun autre.

M. Manguin. J'aime à recevoir cette assurance; mais elle n'empêche pas que votre politique reste toujours entre la paix et la guerre, sans qu'on sache trop ce qu'elle est. (Interruption.)

Je ne sais comment M. le ministre a pu employer le mot injurier. L'injure ne s'est jama is trouvée ni dans ma bouche, ni dans celle de mon honorable collègue. Nous disons notre opinion, nous en avons le droit, et nous ne reconnaissons pas à un ministre celui de venir prétendre que, lorsque les membres de la Chambre exercent un droit, ils viennent injurier les ministres.

Je suis fàché que M. le ministre, pour justifier son système, ait cité l'exemple des prises; l'exemple est malheureusement choisi. A toutes les époques, lorsqu'une prise est faite, il y a des tribunaux pour en juger. Pourquoi? parce que ces prises peuvent être faites par des corsaires, par des bâtiments qui ont des lettres de marque; qu'il peut y avoir atteinte aux droits des autres, et qu'il s'agit de savoir si le capteur a des lettres de marque, si, sous le pavillon neutre, il y avait ou n'y avait pas réellement neutralité.

En outre, comme les bruits de guerre se répandent souvent avant que la guerre ait éclaté, il y a question de savoir si, lorsque la capture a été faite, il y avait ou non guerre. Voilà pourquoi, dans tous les cas, dans tous les pays, il y a des tribunaux institués pour juger les questions de prises.

Je demande à M. le ministre dans quelle situation est un gouvernement qui fait mouvoir, non

pas des corsaires, mais les forces de l'Etat, mais la force publique destinée ou à attaquer l'ennemi ou à nous défendre.

La guerre est une chose de fait. Par cela même que vous envoyez et que vous recevez des boulets, il y a inimitié, il y a guerre; et la marine à qui vous avez donné l'ordre d'attaquer, réclame le droit de capture d'après nos lois. En vérité, si nous adoptions le système de M. le ministre, bientôt recevoir et envoyer des boulets serait regardé comme des preuves d'amitié entre puissances.

Je dis donc qu'il y a eu guerre, et dès qu'il y a eu guerre, les captures qui ont été faites appartiennent à la marine. C'est là ce qu'il faut prononcer. Que le Conseil d'Etat soit saisi légalement, d'accord; mais c'est parce qu'il recevra une impulsion politique, que vous avez le droit d'intervenir et de faire connaître votre pensée.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique. J'ai peine à comprendre l'étonnement de l'honorable préopinant; j'ai peine à le concilier avec le goût, très raisonnable qu'il professe pour le progrès de la civilisation et de la pacification générale entre les peuples; il ne devrait pas s'étonner que le gouvernement travaille à restreindre les questions qui peuvent amener la guerre, à isoler ces questions, et à ne pas entraîner une guerre générale à propos d'une question particulière qui peut se décider sans que le pays tout entier soit engagé dans la guerre. C'est là un fait nouveau qui s'est reproduit plusieurs fois depuis quelques années, et qui doit être considéré comme un véritable progrès dans les rapports. (Marques nombreuses d'adhésion.)

De quoi se plaignait-on continuellement autrefois? des guerres permanentes engagées pour des motifs, disait-on, frivoles, qui n'auraient pas dù avoir de si longues, de si terribles conséquences. On avait raison. Il y a, en effet, des questions incidentes qui peuvent être résolues même par la force, sans qu'il en résulte une guerre générale et permanente. Vous en avez sous les yeux trois grands exemples: Navarin, Anvers et Lisbonne. Ce sont là des questions particulières qui ont été décidées par la force et qui n'ont pas amené une guerré générale et permanente.

C'est là, je le répète, un véritable progrès dans les rapports des peoples; c'est une nouvelle face du droit des gens, qui aura des conséquences très heureuses pour la civilisation tout entière.

Je ne puis comprendre non plus que l'hono rable préopinant n'ait pas vu que toute question de prise implique nécessairement la question de savoir s'il y avait eu guerre. Il ne s'agit pas seulement, en effet, de prises faites par des corsaires, ou de violation des droits des neutres; il s'agit aussi souvent de prises faites par des bâtiments de l'Etat. Or, dans tous ces cas, tout dépend de la solution de cette question : Y a-t-il eu réellement guerre entre les deux Etats?

M. Mauguin s'est aussi étonné que l'on ait fait mouvoir les forces publiques, la marine royale et conclut qu'il y a eu guerre. Mais, Messieurs, on fait mouvoir les forces publiques pour obtenir des réparations. On se présente avec les vaisseaux du roi devant le port de Lisbonne, et on demande une réparation solennelle; cette réparation n'est pas à l'instant même donnée; les vaisseaux du roi forcent

l'entrée du Tage, obtiennent la réparation, et l'honneur du pays est vengé sans qu'il y ait guerre générale, sans que le pays se trouve compromis dans une longue lutte.'

Je m'étonne, Messieurs, que des amis de leur pays, des amis de la civilisation et de la paix viennent se plaindre de ces faits nouveaux, de ces nouveaux procédés entre les Etats, si honorables et si avantageux pour les peuples et pour la civilisation. Il faut, au contraire, s'en applaudir et les encourager. (Adhésion marquée.)

M. Mauguin. Je m'occupe de l'intérêt des capteurs, de l'intérêt de la marine. La marine s'est battue, pour elle il y a eu guerre momentanée; cette guerre doit, à son égard, avoir tous ses effets.

M. Barthe, garde des sceaux, ministre de la justice. L'honorable M. Mauguin a dit que, quoique une question fût soumise au Conseil d'Etat qui doit délibérer avant que le gouvernement prenne un parti, la Chambre devait intervenir. Je ne saurais, Messieurs, admettre une telle doctrine.

Lorsque les lois, en matière de prises, ont déterminé les formes d'après lesquelles on statuera sur leur solidité, il est évident que toute intervention d'un corps de l'Etat, quel qu'il soit, serait intempestive. Je dirai même que plus ce corps de l'Etat est élevé, plus il doit s'interdire de faire peser sur les délibérations dans une question qui lui est étrangère. La loi dit que la validité des prises est soumise au gouvernement qui prononce après délibération du Conseil d'Etat. Tant que le Conseil d'Etat n'a pas délibéré, avant que l'opinion du gouvernement soit connue par une ordonnance qui décidera la question, l'intervention des Chambres doit être écartée.

M. Salverte. Je ne répondrai qu'un mot au dernier ministre qui a pris la parole dans cette discussion: c'est, si je ne me trompe, qu'il est juge, principal juge, et que par conséquent son opinion doit être entendue partout ailleurs que dans cette enceinte.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique. Je n'ai point exprimé d'opinion.

M. Salverte. C'est de M. le garde des sceaux que j'ai voulu parler.

Quant à M. le ministre de l'instruction publique, il a placé la question sur un terrain tout nouveau. Il a dit C'est un grand progrès de la civilisation, c'est un grand progrès de la morale des peuples, que d'éviter les guerres générales dans des querelles particulières.

Nous sommes tous d'accord là-dessus, mais yous remarquerez que M. le ministre a pris soin de se refuter lui-même, quand il a parlé des guerres générales. Nous ne disons pas qu'il y a eu guerre générale avec le Portugal, mais qu'il y a eu guerre particulière.

Que ce soit un progrès de nous être tirés de cette ornière, où nous avait plongés la SainteAlliance, de ne pouvoir faire un pas sans que toute l'Europe nous tombat sur le corps, ou du moins que le gouvernement nous en menaçât, je me félicite de voir qu'enfin nous avons le droit de suivre nos querelles particulières, sans armer contre nous l'Europe entière.

Mais que, parce qu'une guerre générale n'a pas eu lieu, il s'ensuive qu'il n'y a pas eu de guerre particulière, je crois que M. le ministre de l'instruction publique, avec toute son habileté, ne pourra le démontrer.

Le fait est que la décision porte qu'un attentat

à la dignité nationale a été commis à Lisbonne. Nous en avons demandé réparation, et pour l'obtenir, nous avons envoyé une flotte royale, comme l'a dit M. Mauguin. Cette flotte a été attaquée la première par les coups de canon partis des vaisseaux de don Miguel elle y a répondu, car bien constamment on n'aurait pu entrer dans le Tage sans user de ses batteries. Ainsi, il y a eu combat, il y a eu guerre particulière, très courte, il est vrai, mais je ne crois pas qu'il soit venu à l'esprit de personne que ce fut un état de paix.

Je citerai un fait honorable pour la marine qui s'est passé en 93. Le roi de Naples avait aussi cru qu'il pouvait impunément insulter la France. Le contre-amiral de Latorche-Tréville fut envoyé devant Naples, qu'il bloqua; il n'eut pas même besoin de combattre; il emmena tous les bâtiments qu'il trouva dans le port. Eh bien ! ce fut une courte guerre elle eut toutes les conséquences de la guerre. Notre guerre avec le Portugal doit aussi avoir ses conséquences, c'est-à-dire, que les capteurs doivent être propriétaires, et que la caisse des invalides de la marine ne doit pas être frustrée.

Quant à la décision du Conseil d'Etat, il est bien entendu que le Conseil d'Etat décide comme tribunal. Mais toujours est-il que la question est celle-ci Y a-t-il eu guerre, ou n'y a-t-il pas eu guerre? Don Miguel avait commis un attentat; mais nous lui en avons demandé la réparation, il l'a refusée, nous l'avons obtenue par force; il y a donc eu guerre, conséquence de cette guerre; ces conséquences sont la prise des vaisseaux; ces vaisseaux appartiennent aux capteurs. Je ne pense pas qu'on puisse répondre à cet argument: mais enfin, quelle que soit la décision du Conseil d'Etat, nous prenons acte de ce qu'a dit M. le ministre des affaires étrangères, qu'aucune considération extérieure n'influera sur la décision du Conseil d'Etat, décision qui reposera uniquement sur la connaissance des faits passés, et sur la volonté que nous approuvons tous d'être justes, et parfaitement justes, même envers ceux qui ne le sont pas envers nous.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique. J'ai besoin de rectifier ce que vient de dire l'honorable préopinant. Quand j'ai parlé de guerre générale, je n'ai pas entendu parler d'une guerre générale avec l'Europe; j'ai entendu parler d'une guerre générale, c'est-à-dire portant sur toutes les questions, avec le gouvernement portugais. Une autre idée n'aurait pas pu entrer dans mon esprit.

M. de Corcelles (de sa place). Je n'ai qu'un mot à dire. (A la tribune! à la tribune!)

M. de Corcelles, à la tribune. Le ministre a dit qu'il fallait chercher à isoler les questions particulières qui tendaient à amener une guerre, soit particulière, soit générale.

Cependant, M. le ministre de l'instruction publique vient de nous expliquer sa pensée d'une manière plus positive. Eh bien! je dirai que le gouvernement devrait savoir qu'il est en présence de certaines puissances en Europe qui n'ont pas la même délicatesse: témoin la Russie, témoin l'Autriche, qui ont passé par le fer et le feu pour venger des querelles particulières. Je vois avec peine que ces paroles excitent un rire sardonique sur les lèvres MM. les ministres. (Mouvement.) Il n'est pas moins vrai que c'est là un système qui tourne à la honte et au préjudice de la France. (L'ordre du jour !)

M. Glais-Bizoin. Je demande à MM. les ministres quel sera le sort des capteurs, si dans le Conseil d'Etat se trouvent des juges selon la doctrine du ministère, et qu'ils viennent à déclerer que le fait dont il est question n'appartiendra ni à l'état de paix ni à l'état de guerre.

M. le Président. Il résulte de la très longue discussion qui a eu lieu, que la prise doit être jugée, que le juge compétent est le Conseil d'Etat. Il n'y a pas à s'occuper des suites d'un jugement qui n'est pas encore rendu. Alors comme alors. Revenons au budget des invalides. (Réclamations au centre.) Chaque année on l'a voté pour ordre.

(Le budget des invalides est adopté sans discussion.)

M. le Président Nous passons au budget du ministère du commerce et des travaux publics. Personne n'est inscrit contre.

Chapitre 1er. Traitement du ministre et personnel de l'administratien centrale, 662,000 francs. (Adopté.)

Chapitre II. Pensions et indemnités temporaires aux employés supprimés, 86,000 francs. (Adopté.) Chapitre III. Matériel et dépenses diverses des bureaux, 182,000 francs. (Adopté.)

Chapitre IV. Archives du royaume, 80,000 francs. (Adopté.)

Ponts et chaussées.

Chapitre V. Administration centrale, 200,000 fr. M. Jousselin. Dans la dernière session, j'ai en l'honneur de proposer à la Chambre quelques modifications sur l'organisation actuelle de l'administration centrale des ponts et chaussées. Ces modifications consistaient à lui donner un état plus légal, en la ramenant aux dispositions de la loi de 1791 et du décret de 1804, qui s'y rapporte. Les motifs de ma proposition étaient puisés dans le bien du service et dans le mal qui se fait aujourd'hui avec une organisation entièrement illegale. Je ne rappellerai pas les motifs que j'ai donnés dans la séance du 13 mars 1833. Mais je crois, pour appuyer ce que j'ai dit, devoir placer sous les yeux de la Chambre les fautes principales que cette administration a commises depuis 15 années. Je ne citerai que les plus graves elles vous mettront à même de juger des autres. Ces fautes n'auraient pourtant pas été commises, si l'on eût suivi les dispositions légales de l'organisation.

Je vais parler d'abord des canaux, et comme il y a dans cette Chambre plusieurs de mes honorables collègues qui ont des intérêts dans les canaux, j'attends d'eux un peu d'attention et de l'impartialité.

La première faute commise par l'administration l'a été en 1821. Après avoir annoncé en 1820 qu'elle allait donner une multitude de canaux à l'industrie, et sans consulter le conseil des ponts et chaussées, cette administration a fait en 1821, sans publicité et sans concurrence, plusieurs conditions extrêmement onéreuses. Je citerai seulement celle du canal du Rhône au Rhin, et je rappellerai à la Chambre quelques-unes des commissions de transaction. Il s'agissait d'emprunter 10 millions, et les projets n'étaient pas encore faits. Je vous demande s'il y avait urgence d'emprunter 10 millions qui devaient être dépensés en 6 ans. Il n'y avait pas de nécessité, car alors les finances de la France étaient pros

pères. Les ennemis s'étaient retirés; on avait soldé depuis 2 ans la dette de l'occupation; 18 mois après on avait fait la guerre d'Espagne, pour laquelle on avait bien su trouver 400 millions; et 3 ans après on avait dépensé 1 milliard pour l'indemnité des émigrés. Ainsi, il n'y avait pas urgence à emprunter 10 millions pour les dépenser en 6 ans.

Voici quelles étaient les conditions de la réparation. le prêt de 10 millions devait être fait en 10 ans et 3 mois; les travaux devaient être achevés dans le même temps; l'intérêt était fixé à 6 0/0 par an; et si, à cette époque, tous les travaux n'étaient pas achevés, il était convenu que la compagnie recevrait pour dédommagement une prime de 2 0/0 pour la première année de retard, et pour les années suivantes une prime de 2 0/0.

Je vous demande si, lorsqu'on accorde à une compagnie un intérêt de 6 0/0, que son remboursement doit être fait en 24 ans, si cette compagnie n'a pas tout ce qu'elle peut désirer. L'année d'après, de 1828 à 1829, les travaux n'étant pas terminés, on a payé une prime de 2 0/0; et comme les travaux ne sont pas encore finis, il' s'ensuit que cette prime se paye probablement

encore.

Au bout de 24 ans, au moyen de l'amortisse-ment qui se fait à raison de 2 0/0 par an, la compagnie devait être remboursée de toutes ses avances, et les charges de l'Etat devaient se borner là. Mais il n'en e-t pas ainsi : il existe une condition singulière; non seulement la compagnie demande un dédommagement pour chaque année de retard et pour une perte prétendue qu'elle n'a pas subie, mais elle ré lame encore 15,000 francs pour ses frais annuels d'administration. Je dois avouer que toutes ces transactions déplorables me sont venues à l'esprit en pensant à ces 15,000 francs: il me semble voir Harpagon qui, mariant ses enfants sans dot et frais, exige encore de son partner un habit pour assister aux noces. Au bout de 24 ans, cette compagnie est remboursée de son capital et des intérêts, mais jouit encore pendant 75 ans de la moitié du produit net de ce canal.

Ce produit est estimé 800,000 francs, cette compagnie recevra donc pendant 75 ans 400,000 fr. Cette annuité, appréciée à l'intérêt composé et à 5 0/0 l'an, s'élève au bout de 75 ans à plus de 300 millions. Eh bien! cette faute immense a été faite par l'Administration, sans consulter les conseils des ponts et chaussées. Si ce conseil eût été consulté, elle n'aurait pas eu lieu; car aucun membre n'aurait consenti à des transactions aussi déplorables. Vous voyez ce qu'est cette espèce d'administration: le chef y décide tout sans savoir, assez et le plus souvent sans consulter personne.

Je passe maintenant au canal de Nivernais, dont on a souvent parlé. Au moment où l'adminis ration l'a proposé en 1822, elle l'a présenté aux Chambres et à la France comme un canal de grande navigation, dont le souterrain, déjà commencé au bief de partage, avait, disait-elle, 24 pieds de largeur. Cependant il n'en etait rien, et l'Administration donnait pour motif d'achever ce misérable canal qu'on y avait dejà dépensé 5 millions, et qu'ainsi il était convenable d'achever le canal pour ne pas les perdre.

Toutefois, Messieurs, l'Administration avait reçu de si ma vais renseignements sur l'etat de ses premiers travaux, qu'au fait et au prendre, au

cune partie de ces ouvrages n'a pu servir, et qu'ainsi ces 5 millions ont été perdus.

C'est de la sorte, et par cette suite de déceptions, qu'on a été conduit à achever un canal qu'il fallait abandonner, qui coûtera plus de 30 millions, intérêts compris, et dont le produit net ne sera peut-être pas de 60 mille francs chaque année; et sur toutes ces belles choses, le conseil n'a point été consulté.

Si j'examine ensuite le canal de la Somme, je trouve que de pareilles fautes y ont été faites. Sans parler des conditions de la transaction même, qui sont très onéreuses et que j'ai rappelées à la Chambre il y a peu de jours, à propos du canal des Ardennes, je me bornerai à dire à la Chambre qu'on avait joint aux transactions de la compagnie Sartory, 2 portions de canal qui n'étaient que facultatives. Ce sont la navigation de l'Oise et de l'Aisne, de Semny en remontant vers Vouziers. Il eût été désirable que l'Etat eût exécuté directement ces deux parties de navigation, afin de se soustraire aux exigences de la transaction Sartory; mais l'Administration a fait la faute de prendre les fonds de cette compagnie pour l'une et l'autre partie du canal, et cela sans y être obligée.

Je ferai remarquer, en outre, que c'est en 1818 que l'Administration s'est occupée de continuer le canal de Bourgogne. Ce canal sera fini sous 2 ou 3 ans. Les bateaux y trouveront 5 pieds d'eau mais arrivant dans l'Yonne près de Joigny, et dans la Seine, de Montereau à Paris, ils n'y trouveront, pendant la moitié de l'année, que 2 pieds 1/2 d'eau, et il en sera de même dans la Saône de Saint-Jean-de-Losne à Lyon; de telle sorte que ce canal sera pendant longtemps encore beaucoup moins utile qu'il ne devrait l'être. Ce reproche a déjà été adressé plusieurs fois à l'Administration, et il révèle sa profonde incurie.

Toutes ces fautes ont déjà été justement révélées et critiquées en 1828 par la grande commission des ponts et chaussées formée à cette époque. Les membres les plus marquants étaient MM. Casimir Périer, Molé, Laisné, Pasquier, etc.; et l'on peut voir dans le rapport de M. Molé, du 6 octobre 1828, comment cette assemblée a jugé les opérations des canaux. Enfin, Messieurs, un de nos honorables collègues, M. Charles Dupin, a soumis à cette Chambre un rapport sur le même sujet en février 1831; et si la Chambre se le rappelle, elle verra que le jugement porté par M. Dupin n'est pas moins sévère que celui porté par M. le comte Molé, et l'un et l'autre ont fait sans doute remarquer que, sur toutes ces opérations, le conseil n'avait pas été consulté.

Laissant maintenant les canaux, je rappellerai la statistique des routes faites en 1824, sans le concours des inspecteurs généraux, ni du conseil. Son inexactitude est trop reconnue pour qu'il soit utile d'insister à ce sujet. Il en est de même de la prétendue rectification faite en 1828. Ce travail, tout à fait incohérent, a failli entraîner l'Administration à faire pour les routes un emprunt de 200 millions, somme à laquelle on avait évalué les ouvrages à y faire. Heureusement de meilleurs renseignements ont arrêté l'Administra tion dans ses devoirs.

Voici un tableau suffisant de cette Administration. J'ajouterai encore un coup de pinceau. (On rit.)

A l'occasion de la loi d'expropriation qui a passé tout récemment sous vos yeux, vous avez entendu l'Administration se plaindre de l'énormité des indemnités payées aux propriétaires

pour prix des terrains cédés, et le chiffre de 22 millions, comme excès sur les indemnités dues, a été cité plusieurs fois. Je dirai que si cette somme de 22 millions a été payée, faute en est à l'Administration, qui a tout au plus tort de s'en plaindre. En effet, l'exigence des propriétaires lui a été signalée dès 1824, et elle l'a reproduite elle-même dans le rapport qu'elle a fait à cette époque, au roi et aux Chambres. Prévenue, comme elle l'était, elle avait dès lors le rigoureux devoir de réclamer la nouvelle loi d'expropriation, comme elle l'a fait depuis peu. Vous n'avez sans doute pas oublié que, lors de la discussion de la nouvelle loi d'expropriation, quand une disposition du projet de loi était en péril, aussitôt, des bancs ministériels, se levait un orateur qui engageait la Chambre à sévir contre les propriétaires, en donnant pour considération ces 22 millions arrachés par eux à la fortune publique; et cependant le tort était à l'Administration seule, puisque c'est sa faiblesse et son incurie qui a en quelque sorte autorisé les exigences des propriétaires.

On aurait pu supposer que depuis la Révolution de 1830, l'administration des ponts et chaussées aurait cherche à se perfectionner, et à mettre moins d'arbitraire dans sa conduite. Mais il en a été autrement. L'arbitraire, au contraire, a été plus grand, et on a pris pour cela les meilleurs moyens c'est en quelque sorte d'annuler le conseil. Cela s'est fait en vertu de deux ordonnances, l'une du 19 octobre 1830, l'autre du 8 juin 1832. Par l'une et par l'autre, et surtout par la dernière, le conseil a été en quelque sorte annulé. Il a été divisé en plusieurs sections où trois inspecteurs divisionnaires, c'est-à-dire trois personnes seulement ayant vu les localités, se trouvent répartis.

Pour chaque affaire, l'inspecteur qui a fait le rapport n'est presque jamais présent. Il se trouve, soit en tournée, soit dans une commission, où son travail n'est pas examiné, de telle sorte qu'il n'y a pour le bien des décisions aucune garantie que les intérêts publics ne sont pas compromis.

Dans quelles vues cet arbitraire a-t-il été organisé? Il est difficile de le deviner; mais le résultat, on peut le dire, c'est qu'il mène évidemla corruption, et que la corruption est la fille légitime de l'arbitraire.

Il est donc nécessaire de revenir à un meilleur ordre de choses, et cela ne peut se faire qu'en supprimant la direction des ponts et chaussées, qu'en confiant chaque service à des inspecteurs généraux, dont un d'eux serait président; mais les uns et les autres ne seraient employés de la sorte que pendant un an, et ne pourraient être réélus qu'après un intervalle d'une année, afin d'éviter les commérages des bureaux et les inconvénients des administrations collectives.

C'est dans cette vue que l'année dernière j'avais proposé une réduction de 76,000 francs. Je persiste à la demander pour cette année, et je remets mon amendement sur le bureau de M. le Président.

M. de Rambuteau, rapporteur. L'amendement est-il appuyé? (Voix nombreuses. Non, non! D'au tres voix. Oui, oui!) L'amendement proposé par l'honorable M. Jousselin n'est que la répétition de celui qu'il a présenté l'année dernière; comme à cette époque, de nombreux détails ont été donnés à la Chambre pour repousser l'amende

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