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ces forces soient suffisantes? quoique pourtant, au moyen de leur réunion, je ne voie pas ce qui resterait en dehors. Croyez-vous qu'il sulfise que ces forces se présentent ou se prononcent? Non, Messieurs, on nous demande encore que nous persévérions avec énergie et patience.

Energie! C'est nous demander toute la force dont nous serons susceptibles.

Patience! Et on ne nous dit pas pendant combien de temps l'interprétation de ce mot appartiendra au ministère? (Sensation.)

Et vous pensez que cet état est si tranquillisant! et vous vous en félicitez, vous, ministres qui l'avez fait? C'est juste, je le conçois. Ainsi donc vous trouvez admirable, après 3 ans de révolution, que la France, mal assise à l'extérieur, se voie encore, à l'intérieur, agitée par des factions qui ébranlent l'ordre social.

M. le ministre du commerce a écrit une histoire, je présume qu'il la sait; M. le ministre, dis-je, se rappelle sans doute que nous avons passé par plus d'une révolution. La France a fait là-dessus une cruelle, une longue expérience.

Il est une révolution qui a de l'analogie avec la nôtre celle de l'an Vill; avec des différences pourtant. En l'an VIII, nous n'avions pas la paix; nous avions une population décimée par la guerre civile et par la guerre étrangère, le désordre dans l'Administration et dans les finances, et sur plusieurs points du pays des brandons mal éteints ou brûlants encore de guerre civile. En 1830, au contraire, la France riche, populeuse, unanime, était animée du même esprit, du même enthousiasme, voulant défendre le roi qu'elle avait créé. Si l'Europe nous avait attaqués alors, vous auriez vu notre attitude.

En l'an VIII, je le répète, l'etat des choses était très différent eh bien! voulez-vous me dire, au bout de 3 ans, en l'an XI, à quel point en était la France? Voulez-vous, vous historien, nous raconter cette différence? Parlait-on alors, dans les discours législatifs, des désordres de l'intérieur et des tentatives des factions? Exigeait-on alors, pour réprimer les factieux, le concours de toutes les forces publiques? Non, non; il y avait calme, tranquillité, sécurité, la propriété n'était point alarmée, et la France était plus florissante et plus riche qu'elle ne le fut jamais.

M. Fulchiron. Alors il n'y avait pas la liberté de la presse!

M. Mauguin. Vous n'aviez pas la liberté de la presse, c'est donc de cela que vous vous plaignez à présent?

M. Fulchiron. Je ne m'en plains pas, mais nous avions moins d'embarras.

M. Mauguin. Ah! vous regardez la presse comme un embarras.

M. Fulchiron. Du tout! du tout! (Bruits divers... Interruption.) Je n'ai pas dit cela!

M. Mauguin. Alors je ne sais pas le sens de vos paroles.

M. le Président. Voilà le danger des interruptions; j'ai recommandé le calme, il n'y a que ce moyen pour tout entendre. (Le calme se rétablit.)

M. Mauguin. Je compare, et je vous dis : Voilà les résultats, ils parlent. Que nous cherchions théoriquenient ce qu'il faut pour gouverner un Etat, s'il faut de la modération, de la force, de la sagesse, de l'énergie, de la patience,

nous pourrions nous tromper; vous aurez une opinion et nous en aurons une autre, mais sur les faits nous serons tous d'accord. Eh bien! je compare les deux époques, et c'est à la honte de votre système. (Mouvement.)

Alors nous étions puissants, glorieux, riches; nous avions ce que nous pouvions désirer. Aujourd'hui nous n'avons que des espérances, et je me plains précisément de ce que nous n'avons que des espérances. Quant à la tranquillité, est-ce à vous que nous la devons? Un peuple ne peut pas rester 3 ans de suite dans la rue. La fatigue le gagne bientôt : chacun rentre chez soi, il ne reste plus sur la place publique que quelques esprits ardents qui veulent aller en avant; mais comme tout le monde les blâme, le découragement et la lassitude les gagnent à leur tour, et la tranquillité se rétablit.

Mais cette tranquillité, donnez-en l'honneur au hasard, à la fortune. C'était votre système qui avait tout troublé vous avez tort de vous louer de votre système. Oubliez-vous donc les nombreuses victimes qu'il a faites? Quoi! Lyon, la seconde ville du royaume, arrachée à sa paix, à sa prospérité; Grenoble, cette autre ville, obligée d'expulser sa garnison; et quels souvenirs affreux dans Paris, sous les yeux des autorités, la guerre civile organisée! Demandez à quels points du territoire il est échappé d'avoir du sang répandu, des troubles déplorables! Voilà votre système. (Dénégations aux centres.) Oui! si ce n'est pas vous qui l'avez produit, c'est avec son escorte que vous vous présentez.

Vous n'avez qu'une défense, c'est de soutenir que la France ne peut pas être gouvernée. Ne dites pas cela, vous luí feriez injure, et pour vous excuser vous accuseriez la patrie.

Est-il donc vrai que la France soit peuplée d'hommes si révoltés contre les lois, qu'à toute époque il faille auprès de chaque citoyen un gendarme pour le retenir? En l'an VIII, le parti républicain a été obligé de subir le joug de la loí, parce que la loi ne se trouvait pas dans des mains de colère, car c'est là qu'est la faiblesse des lois.

Il faut une répression toujours égale, toujours soutenue, et ne passant pas de l'indulgence à la sévérité. C'est de la faiblesse et de l'inhabileté qu'une répression pareille; voilà comment on fait, comment on suscite les révolutions.

On parle de majorité et l'on nous a dit qu'en plusieurs circonstances elle avait appuyé le ministère. Oui, la majorité des boules. Mais elle n'est qu'une des conditions du gouvernement représentatif il faut encore, comme M. le ministre de l'instruction publique l'a dit avec raison, il faut qu'il y ait entre le ministère et la Chambre une pensée fondamentale. Remarquez qu'il ne s'agit pas ici des accessoires du gouvernement, de la machine, de ses rouages. Tout le monde est d'accord. Toutes les fois qu'on viendra à cette tribune parler de désordres, il n'y aura qu'une voix, qu'il n'y a qu'une chose à faire soutenir l'ordre, la propriété; c'est l'a, b, c de la politique. Il est impossible de s'occuper de politique sans savoir qu'il faut protection au domicile du citoyen, et qu'il ne faut pas que tous les jours l'émeute coure dans les rues.

Ce n'est pas là-dessus que nous sommes en désaccord. Réprimez les émeutes, maintenez l'ordre; nous ne demandons pas mieux.

Il y a autre chose, il y a un principe, une direction cachée que j'appellerai l'âme du gouvernement. Cette âme, je l'ai dit hier, c'est la Res

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tauration et l'aristocratie nobiliaire. (Interruption.) Vous voulez l'aristocratie nobiliaire; et nous, sans vouloir persécuter les classes riches, les classes aristocratiques, nous voulons au contraire leur donner toute la protection de la loi; nous demandons que la haute propriété, que l'aristocratie ne soit pas organisée par la loi, que les lois soient au profit de tous. Nous ne distinguons ni pauvres, ni riches. Voilà notre principe; le vôtre est un principe exceptionnel, c'est, je le répète, l'aristocratie nobiliaire.

M. le ministre du commerce a senti c'était que là que devait porter la discussion et M. le ministre de l'instruction publique l'avait également senti hier; mais il a eu bien soin de n'y pas répondre.

M le ministre du commerce nous a dit: Singulier système aristocratique! il a rappelé qu'il était homme de lettres, livré à des occupations laborieuses, roturières, et que cependant le système était venu le prendre dans son cabinet pour l'appeler au pouvoir.

Est-ce que par hasard M. le ministre peut nous donner ce fait comme une preuve que le système est étranger à l'aristocratie nobiliaire? Mais il doit savoir que l'aristocratie nobiliaire, dans les temps de crise, ne s'établit jamais que par les plébéiens. Regardez sous la Restauration, les ministres ont été presque tous plébéiens. Allez plus loin, consultez l'histoire, partout vous trouverez le même fait. Pourquoi? parce que le plébéien venant avec sa naissance, ses antécédents à l'aide de l'aristocratie, a l'avantage de n'inspirer aucune crainte.

Ne serait-ce pas, pour ce motif, indépendamment des talents, de sa facilité d'élocution, que M. le ministre du commerce aurait été appelé de très bonne heure au pouvoir ?

Quant à moi je lui rends cette justice, que même sous la Restauration il était partisan de l'aristocratie; alors il défendait la pairie héréditaire comme le premier anneau de la chaine; partout il allait lui chercher des partisans. Il a apporté son opinion au conseil, cela est juste; il reste lui-même, mais je crois que c'est son opinion qui l'a porté au conseil. On a pris les trois ministres doctrinaires précisément dans les rangs de la minorité de la Chambre, parmi ceux qui, sur la question aristocratique, se sont prononcés en faveur de l'aristocratie. (Mouvement dans l'Assemblée.)

Ensuite remarquez qu'en homme de lettres fort habile, il a mis dans le monde, pour faire fortune, un principe devenu fameux. Je me le suis approce principe; je l'ai défendu, je l'ai developpé. Quand j'adopte, moi, un principe j'y suis fidèle, je ne l'abandonne pas. Cela vient de ce que je réfléchis avant d'adopter. Cependant, si j'avais tort, je m'empresserais de le reconnaitre. Ce principe est exprimé par ces mots: Le roi règne, et ne gouverne pas. On a dit depuis que l'on s'en était fait une arme pour la comédie des quinze années. Quant à moi, je n'ai jamais joué la comédie. J'ai soutenu ce principe, je l'ai regardé comme résumant d'une manière heureuse les doctrines de l'opposition; je l'ai considéré aussi comme la base de l'inviolabilité royale: je l'ai regardé comme la pierre angulaire de l'édifice constitutionnel. J'y tiens, moi, j'y tiendrai toujours. M. le ministre dira-t-il qu'il en est de même? (M. le ministre fait un mouvement de tête.)

Je ne sais si le signe que vient de faire M. le ministre est une approbation. Sans pénétrer dans les secrets d'Etat, nous pourrions trouver des

circonstances où on s'est bien accommodé du principe contraire.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Citez, Monsieur.

M. Mauguin, M. le ministre de l'instruction publique nous a dit hier qu'il avait donné son vote à un magistrat pour qui le ministère a témoigné de vives sympathies. Tout récemment ce magistrat avait profité d'une occasion toute judiciaire pour proclamer le système opposé au nôtre le roi règne et gouverne. Je ne sache pas que ce fait lui ait rien enlevé de la faveur ministérielle. De plus, dans certaines circonstances extérieures, n'avons-nous pas entendu à cette tribune des paroles qui semblaient ne pas attribuer au ministère l'action gouvernementale tout entière?

M. le ministre du commerce, arrivant dans cette Chambre tout bouillant de ses opinions de l'opposition des quinze ans, même de celles de son livre, en parlant sur le fonds commun des émigrés, a lancé sur l'émigration et sur le côté droit de l'Assemblée d'alors des expressions tellement dures, que, quant à nous, nous les avons désapprouvées.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Veuillez, Monsieur, citer ces expressions.

M. Mauguin. Je ne les ai pas ici, mais j'ai une mémoire sùre. Recourez à cette discussion. Vous avez, Monsieur le ministre, justifié toutes les confiscations.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. C'est une erreur, je n'ai pas justifié les confiscations.

M. Mauguin. Je vous demande pardon; vous dites qu'elles étaient justes, et la sévérité de vos expressions excita non seulement dans la droite de l'Assemblée, mais dans la partie où je siégeais, un murmure improbateur; car si nous Voulons que, pour quelque temps encore, ce qu'on appelle les légitimistes soient exclus des fonctions publiques, nous ne voulons pas contre eux des persécutions: nous pensons au contraire que dès qu'ils auront oublié leurs affections antinationales, ce seront pour nous des frères que nous appelons au partage des bienfaits de la société. (Très bien! très bien !)

Mais arrivant au ministère, désirant y arriver, vous vous rappelez ce que ce ministre disait sur les pensions des Vendéens. Leur crime était celui du hasard; il tenait à ce qu'on soit né plutôt dans un château que dans une chaumière, expressions, pour le dire en passant, qu'il a empruntées au Mémorial de Sainte-Hél ne. Une marque d'indignation l'avertit qu'il était allé trop loin; et M. le garde des sceaux fut obligé de venir à la tribune démentir son prédécesseur.

Ce n'est là, je le sais, qu'une variante fort légère. (Mouvement.) J'en citerais d'autres, non pas aujourd'hui; je ne veux pas abuser de votre patience: nos discussions commencent: dans le cours de la session, nous aurons d'autres occasions.

En attendant, je ne puis que féliciter le ministre sur la haute opinion qu'il a de lui-même; nous la partageons tous. Il s'est présenté comme avant, dans son Ouvrage sur la Révolution, donné une leçon à son siècle. Le ministre avait alors 23 ans. A 23 ans. c'est chose brillante et hardie. Il a été plus loin, il a donné aussi une leçon à l'Assemblée constituante, à ces hommes

géants dont les nains de nos jours seraient bien heureux d'approcher. M. le ministre étend au reste ses leçons à beaucoup de monde. Toutes les fois qu'il change d'opinion, il se donne sans doute une leçon à lui-même, car il est évident qu'il reconnait alors qu'il a eu tort la veille. Puisque donc M. le ministre donne des leçons à tout le monde, qu'il continue à s'en donner à lui-même; quant à nous, nous les acceptons et nous tâcherons d'en profiter.

Je suis fâché que M. le ministre m'ait mis dans

l'obligation de Je suivre sur ce terrain de dis cussion personnelle.

Jamais je n'ai porté à cette tribune des questions personnelles. Je puis attaquer un orateur, lui opposer une opinion; mais suivre un orateur comme je viens de le faire, cela ne m'est pas encore arrivé, et j'espère n'être plus réduit à cette nécessité.

Messieurs, rentrons dans les choses, laissons de côté les ministres et les orateurs de l'opposition. Tout cela s'efface devant un intérêt qui domine tout. Qu'est-ce en effet qu'un orateur de l'opposition? Qu'est-ce qu'un ininistre, par rapport à la France? Pour vous, Messieurs, il ne s'agit que de la France.

Je vous ai dit que le ministère n'avait point ici la majorité. Sans doute, je sais que cela n'empêchera pas l'adresse ne soit votée; mais je parle de la majorité relativement au vote de lois importantes. Il s'agit donc de savoir si, pour ces lois, vous êtes en harmonie avec les sentiments de la Chambre; et je soutiens que cette harmonie n'existe pas, à moins qu'on ne voie la majorité dans 100 membres avec lesquels le ministère est en harmonie, et qui prétendent avoir la suprématie des lumières. (Mouvements divers.)

Je parle de la question générale, et je dis que vous ne répondez pas au sentiment général de l'Assemblée. Je ne dis pas que l'Assemblée agira en vertu de ces sentiments; et voici pourquoi : elle est encore influencée par de fausses terreurs, peut-être aussi par le système extérieur. Sous le rapport de la nécessité de la paix, vous êtes d'accord avec elle; mais sur le système intérieur, vous ne l'êtes pas. Cela est si bien vrai, que dans les grandes délibérations vous n'avez pas eu la majorité. J'ai déjà rappelé la délibération la plus marquante, celle qui a eu lieu sur la pairie héréditaire, délibération dans laquelle cette Chambre a poursuivi les catégories avec tant de patience. Qu'avez-vous fait? Je rappellerai une autre circonstance. La Chambre a anéanti la noblesse, non pas de fait, mais par un article du Code pénal, contre ceux qui prendraient à tort des titres privilégiés: qu'avez-vous fait dans cette délibération? La Chambre a voulu anéantir les circonscriptions ecclésiastiques de la Restauration : qu'avez-vous fait?

Il y a encore d'autres votes qui m'échappent. Mais je puis dire que toutes les fois qu'il a été question d'un côté du principe d'égalité, de l'autre du principe d'aristocratie, il y a eu, je le reconnais, 80 à 100 membres pour l'aristocratie, et tout le reste contre.

Qu'on le remarque bien, on devine un gouvernement à sa tendance, à ses pensées principales. Eh bien! une fois que vous avez adopté le principe de l'aristocratie, vous devez chercher à l'implanter dans le pays; c'est votre condition. Bien plus, je vais même plus loin: vous manqueriez à votre condition si vous ne cherchiez pas à l'implanter dans le pays.

Qu'arrive-t-il? les lois sortent d'ici avec le principe qui a présidé à leur rédaction; mais dans l'application, elles deviennent tout à fait aristocratiques. De là des restrictions, de là des mécontentements. Le ministère d'abord a besoin de cacher son principe, mais ensuite il le fait triompher par la violence. Aussi que remarquet-on dans sa tendance générale? Il tend à s'éloigner des lois. Ne s'en est-il pas éloigné quand il a établi l'état de siège? Je vous le demande, Messieurs, la Chambre a-t-elle eu le courage de reconnaître que l'état de siège était constitutionnel? Si le ministère qui a mis l'état de siège était venu courber sa tête devant la Chambre, je n'aurais rien à dire, il aurait été dans la légalité; mais ne pas demander de bill d'indemnité dans un cas comme celui-là, c'est une inconstitutionnalité, et voilà en quoi il s'est rendu coupable.

Quand il s'est agi de cette princesse arrêtée à Blaye, réclamée par la justice, vous avez eu tort, dans votre système, de la laisser poursuivre; mais une fois les poursuites commencées, vous ne pouviez plus les arrêter. Qu'avez-vous fait contre les arrêts de la justice, la chose la plus respectable au monde? Une femme a été détenue arbitrairement, et arbitrairement relâchée. Avez-vous respecté la loi? ne vous en êtes-vous pas plutôt éloignés? n'avez-vous pas montré une tendance à vous défier de la population? Qu'est-ce en effet que cette proposition de l'état de siège déposée à la Chambre des pairs, si ce n'est une défiance perpétuelle contre la nation? Vous vouliez abandonner nos lois au caprice d'un commandant militaire; et pendant que vous assiégiez la législation dans son sein même, vous vous efforciez d'assiéger la capitale par des forts détachés. Il y a dans ces deux faits la preuve positive que vous êtes en défiance contre la population.

Il y a même plus. Vous êtes en défiance contre la presse. Je ne dis pas que la répression ne soit quelquefois nécessaire; mais si, par hasard, il s'élève de vos bancs des voix qui se plaignent des écarts de la presse et des embarras qu'elle suscite, nous ne devons jamais oublier que nous vivons et que nous devons vivre dans un régime de liberté, pour le faux comme pour le vrai, pour le mal comme pour le bien, pour un langage inconvenant et grossier, comme pour un langage mesuré. C'est M. le ministre de l'instruction publique qui parle ainsi.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique. Je n'ai pas dit cela!

M. Mauguin. Voyez le Moniteur!

Ainsi la presse, il faut l'avoir violente, grossière, quand je voudrais qu'elle eût toujours un langage vrai et modéré,

Je ne nie pas qu'il n'y ait des abus. Le jury est là pour les punir. J'ai eu souvent occasion d'élever la voix pour me plaindre de ce que le jury était remplacé par des magistrats. Le jury, c'est la société; il se compose des éléments d'ordre, de liberté et de pouvoir.

Je répéterai avec M. le ministre des affaires étrangères: Il n'y a que les gouvernements qui ont mauvaise intention qui se défient du jugement par le jury, et qui en appellent trop souvent aux tribunaux.

Ici jene me borne pas à louer le courage; le courage, il y en a partout: est-ce que vous louez le courage d'un soldat à l'armée? il le doit à sa patrie. Est-ce que vous louez le courage dans

un général? non, vous lui demandez la prévoyance et la sagesse. Il en est de même du courage civil; et en honorant le courage du magistrat qui brave l'opinion publique, je désire qu'il ait de la sagesse et de la prudence, et qu'il n'élève pas contre lui sans cesse le jugement et les réclamations du pays.

Une question qu'on n'a point abordée, c'est celle de savoir ce qu'on veut faire de cette organisation constitutionnelle dont je vous ai parlé. Je vous ai lu les passages d'un ancien discours de M. le ministre de l'instruction publique. Remarquez qu'il disait en 1833: Nous avons encore à ressaisir les conditions de l'ordre social; il ne parlait pas de les saisir, mais de les ressaisir, de les reprendre, parce qu'apparemment on les avait peu de temps auparavant, qu'on venait de les perdre, et qu'il fallait les retrouver. Ensuite il disait: « Notre œuvre est de reconstituer, de compléter le gouvernement constitutionnel avec le concours du clergé. » La Restauration en aurait-elle dit davantage? Rappelez-vous ensuite tous les passages que j'ai cités : c'est le système de la Restauration. Votre adresse ne veut pas le moindre contact avec la Restauration c'est pour cela que je me rattache à l'adresse, parce qu'elle est la condamnation du système du ministère.

"

L'année dernière, la Chambre elle-même a élevé des plaintes. Elle disait dans son adresse: «En persévérant avec fermeté dans les voies de la modération et de la justice, et en n'appelant aux fonctions publiques que des hommes entièrement dévoués à la Révolution, les dépositaires du pouvoir inspireront toujours plus de confiance. >>

Ainsi, dès lors vous recommandiez d'appeler aux fonctions publiques, des hommes dévoués à la Révolution. Pourquoi ? Parce que c'était un besoin social, un besoin auquel la France demandait qu'on satisfit. L'a-t-on satisfait depuis; a-t-on changé de principes? Non, sans doute.

Eh bien! je reprends la proposition par laquelle j'ai fini hier mon discours, et je dis que je ne me plaindrais point de votre tendance aristocratique si la société était autrement organisée.

L'aristocratie, je n'ai contre elle aucune haine; je sais ce qu'elle a fait de bien; je sais que dans beaucoup de pays elle est le principe du gouvernement; mais chez nous toute tentative de l'établir aboutirait à une révolution nouvelle; c'est ainsi que l'Empire est tombé.

Vous accusez toujours l'opposition. Eh bien! sa voix prophétique a toujours été justifiée par les événements. Quand l'Empire commença à porter atteinte aux institutions, en supprimant le Tribunat, en rappelant à lui l'inégalité politique; une voix sortie des entrailles de la terre, car elle ne pouvait se faire jour par la presse, une voix sortie alors comme des entrailles de la terre et sur tous les points de la France, a crié à l'Empire: Tu tomberas! et il est tombé non seulement devant les armées étrangères, mais devant les mécontentements de l'opinion publique.

Quand la Restauration, promettant d'abord la liberté, a dès la première année rappelé les privilèges sur tous les points de la France, la même voix s'éleva, et dit: Tu tomberas! et elle est tombée.

Quand l'homme qui était rentré au 20 mars a succombé après les désastres de Waterloo, la Restauration est restée encore une fois; un instant elle a caché son système d'aristocratie.

Bientôt elle l'a repris à découvert, sous ces ministres doctrinaires, ces hommes à bascule qui ont fatigué la France de leurs conspirations factices, et la même voix a dit en s'adressant au pouvoir: Tu tomberas! et il est tombé.

Je ne vous dirai pas, quant à moi, une parole aussi funeste. Je m'adresse au ministère et non pas au pouvoir, mais je dis au ministère : En jetant les yeux en arrière, regardez votre jugement; je ne dis pas que votre système tombera; je dis que déjà deux fois il est tombé. (Bravos sur les bancs de l'opposition.)

M. le Président. M. le ministre du commerce a la parole.

De toutes parts: A lundi!

M. le Président. La Chambre entendra lundi M. Berryer et M. Gauthier de Rumilly, elle peut entendre aujourd'hui M. le ministre.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Je ne veux pas, Messieurs, rentrer dans une nouvelle discussion. Je crois, seulement devoir répondre quelques paroles à ce que vient de vous dire l'honorable membre. M. Mauguin s'est plaint de ce qu'il a appelé ma spirituelle légèreté. Lui-même a peut-être suivi un exemple qu'il blåmait, car il s'est permis des personnalités dont je pourrais me plaindre. Je ne lui ai pas reproché, moi, d'avoir varié. Je ne lui ai pas dit qu'à une certaine époque, M. Perrier l'avait accusé d'aller chez une femme pour conspirer. (Mouvement.)

M. Mauguin. Que veut dire cela?

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Je sais parfaitement qu'on se permet envers les ministres ce qu'on ne se permet pas envers tout le monde. Je ne m'en plains pas. Je dirai seulement que je défie qui que ce soit de prouver que j'aie jamais varié.

Quant à mon opinion sur la guerre, j'ai dit (et c'est à cette tribune que je l'ai dit), j'ai dit que j'avais cru que, dans les premiers temps, le gouvernement serait entraîné à la guerre. Lorsque je l'ai dit, l'ordre était loin de régner en France, le pays était continuellement travaillé par des émeutes. C'est alors que j'ai dit que, dans toute l'Europe, il serait difficile de trouver des dispositions pacifiques à notre égard. En effet, à cette époque, il était permis de craindre que l'ordre ne fut troublé, non seulement par les factions, mais encore par la guerre.

J'ai dit alors que si le système de modération ne prévalait pas dans notre malheureuse patrie, elle serait infailliblement entraînée à la guerre. Mais lorsque j'ai entendu des hommes energiques dire à la Révolution qu'elle devait se modérer, quand j'ai vu une majorité se former pour appuyer le système de modération, j'ai dit alors que la paix était possible, et c'est ce que l'événement a depuis vérifié.

Qu'y a-t-il maintenant? que se passe-t-il sous nos yeux? Sans doute, l'ordre n'est pas encore partout complètement établi, il y a encore quelques jeunes gens qu'on trompe, quelques ouvriers qu'on veut égarer et jeter dans les factions. Le discours de la Couronne l'a dit. Mais à côté de ce désordre partiel, il signale le calme qui chaque jour va croissant et chaque jour apporte de nouveaux gages de paix et de tranquillité.

Sans doute, il en est de même pour l'industrie. Il est certain qu'elle a éprouvé des vicissitudes; il est certain qu'elle ne marche pas cet hiver

comme elle marchait cet été. Mais demandez aux industriels qui sont nombreux dans cette Chambre et qui sont bons juges en cette matière, demandez-leur s'ils conçoivent des inquiétudes, s'ils conçoivent des craintes pour l'année prochaine. Voilà des réponses positives à vos paroles, car rappelez-le vous bien: Vous avez dit que l'industrie ne prospèrerait jamais avec notre système de paix armée.

Vous avez demandé la guerre, ou plutôt personne n'a eu le courage de la demander ouvertement...

M. Mauguin. Je vous demande pardon, je l'ai demandée pour la Belgique.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Personne n'a eu le courage de venir ici demander la guerre, pas plus qu'on n'ose demander une autre forme de gouvernement; mais on a demandé tout ce qui pouvait la rendre inévitable, on l'a annoncée, on l'a prédite.

Vous croyez nous mettre en contradiction avec nous-mêmes, parce que nous avons dit que la paix était consolidée, et parce qu'on était obligé de vous demander des fonds pour trois ou quatre cent mille hommes. Messieurs, quand on veut se mêler aux questions de ce monde, quand on veut avoir voix au chapitre, il ne faut pas avoir seulement 200,000 hommes sur pied; il faut proportionner les moyens à la grandeur du but, et vous-mêmes vous en avez proposé de gigantesques. Qu'avons-nous fait, tout en travaillant pour la paix, nous avons voulu être prêts à faire la guerre; vous savez l'ancienne maxime : «Si vous voulez la paix, préparez la guerre! »

A côté de ces dépenses, de ces 100 millions qu'on a demandés au pays, mettez ce qu'aurait coûté la guerre elle-même. Il vous en a coùté 300 millions; c'est beaucoup sans doute; mais une révolution ne se fait pas gratuitement; elle exige de grands efforts, un grand dévouement de la part d'un pays. Vous me demandez si je sais l'histoire, et moi je vous demande, à vous qui la savez, quelle est la campagne qui a coùté moins d'un milliard...

M. Mauguin. Qui vous parle de la guerre? Je déclare que je ne la veux pas... D'ailleurs les affaires étrangères ne sont pas encore en discussion; attendez qu'on y soit. (Bruit aux extrémités.)

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Laissez-moi la liberté de la tribune! (Bruit et réclamations.)

M. le Président. Ce n'est plus de la discussion, c'est de l'altercation; cela ne convient au talent d'aucun orateur.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Nous disons qu'il n'y a pas de contradiction entre le langage de la Couronne, celui que nous tenons, et les demandes du budget de la guerre pour des situations difficiles, il fallait de grands préparatifs. Il y a une autre dépense que la depense d'argent, c'est celle du sang français: le sang français, et c'est quelque chose, Messieurs, n'a pas coule pour la Revolution de Juillet.

En résumé, vous nous avez annoncé un désordre croissant, et il y a calme croissant: vous nous avez annoncé dépérissement de l'industrie, et il y a accroissement de l'industrie. Voilà ce qui reste évident pour tout le monde.

Vous avez parlé de l'an VIII: personne n'a eu

la folie de comparer les choses de ces temps-ci aux grandeurs de l'an VIII; mais à côté de ces grandeurs, savez-vous ce qu'il y avait, Messieurs? Il y avait le despotisme. Certes, nous ne le regrettons pas le despotisme calme vite, mais ce n'est pas pour longtemps; c'est un moyen de violence, et il conduit à Moscou et à Waterloo. (Vifs applaudissements des centres..... Sensation.) La liberté, c'est un moyen de ménagement, de modération qui parvient au bien avec le temps et grâce à l'énergie de ceux qui savent souffrir les calomnies, qui savent persévérer dans la ligne de conduite qu'ils ont adoptée malgré les dégoûts et les injustices qu'on leur prodigue.

Aujourd'hui, vous ne voyez pas des batailles de Marengo; mais vous ne voyez pas non plus les faits dont l'histoire de cette époque est ensanglantée vous ne voyez pas 200 patriotes enlevés dans Paris sur une liste du ministère de la police et déportés dans les déserts; vous ne voyez pas un prince enlevé en pays étranger et fusillé dans un fossé. (Sensation.) Voilà ce que vous ne voyez pas et ce dont nous sommes fiers. (Applaudissements aux centres.)

Nous essayons ce qui n'a jamais été essayé, ce qui ne pouvait même pas l'être avec votre système la liberté franche, sincère, la liberté pour lout le monde. Nous avons gouverné avec la liberté de la presse et sans loi d'exception : quand vous nous avez proposé les lois d'exception, nous les avons repoussées.

Nous ne nous enorgueillissons pas de ce résultat. Savez-vous de quoi nous sommes fiers? Nous sommes fiers d'appartenir à notre temps, de participer à sa raison, de nous être associés à son bon sens; nous sommes fiers de ne nous être pas faits les parodistes d'une autre époque, de n'avoir pas été révolutionnaires. Nous avons compris notre époque et voilà notre gloire; et cette gloire, elle est celle de la majorité qui nous a appuyés et qui nous appuiera encore. Au centre: Oui! oui! Très bien!

(La séance est levée à six heures.)

Ordre du jour du lundi 6 janvier.

Séance publique à une heure précise. Suite de la discussion du projet d'adresse au roi.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. DUPIN.

Séance du lundi 6 janvier 1834.

La séance est ouverte à une heure et un quart. Le procès-verbal de la séance du 4 janvier est lu et adopté.

Il est fait hommage à la Chambre d'un ouvrage intitulé: Mémorial des Chambres, session 1830, offert par l'auteur, M. Emile Renard, avocat aux conseils du roi et à la Cour de cassation.

(La Chambre en ordonne la mention au procèsverbal et le dépôt en sa bibliothèque.)

M. le Président. Je viens de recevoir la lettre suivante :

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