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pouvoir. Les ames fieres & jalouses d'une dépendance limitée, doivent fe confoler de la dégradation où elles font réduites, par l'efpoir que leur avilissement n'eft que paffager, & que leur poftérité fera affranchie des fers qui les accablent. Rarement la tyrannie tranfmet le fruit de fes attentats à ses descendans.

L'histoire ne nous a point tranf- Premier Rol mis le nom du Monarque qui ré-de Siam. gnoit en 1550, quoiqu'elle en ait confacré les principales actions. Ce fut fous fon régne que le royaume de Siam fut devafté par l'irruption de plufieurs nations voifines, qui porterent le fer & la flamme dans les villes & les campagnes. Trente mille victimes innocentes furent facrifiées à la brutalité de leur vengeance; & cet effain de combattans fembloit plutôt vouloir dévorer les moiffons & détruire les cités, que les conquérir & les gouverner.

Le Roi de Siam alarmé de leurs progrès, fe réveilla au bruit des

Ses expédi

rieres.

gémiffemens de fon peuple. Il leva une armée nombreuse. Tous ceux

qui étoient en âge de porter les armes, furent formés de fe ranger fous le drapeau; & ceux qui auroient la lâcheté de fe difpenfer de combattre pour la patrie, furent menacés d'être punis par la peine du feu. Les étrangers furent affervis à cette loi. Il y avoit alors dans ce royaume cent trente Portugais, dont cent vingt furent obligés de prendre les armes. Le Monarque fe crut invincible, quand il vit fous fes ordres cette poignée d'Européens qu'il regardoit comme autant de héros.

L'armée forte de quatre cens mille tions guer- hommes, parmi lefquels on comptoit foixante & dix mille étrangers, fe mit en mouvement, ayant le Monarque à fa tête. Elle fut encore groffie fur la route par cent mille hommes, & fortifiée de quatre mille éléphans. On doit regarder ce nombre comme une impudente exagération. Il eft vrai que la fo

briété naturelle des Indiens donne la facilité de faire fubfifter les armées les plus nombreuses: mais comment les raffembler dans un pays qui manque d'habitans? Au refte j'exposerai les faits comme ils nous font tranfmis, parce que je n'ai que des raifons de probabilité pour les détruire.

L'armée fous les ordres de quatre Maréchaux de camp, dont deux étoient Turcs, & les deux autres Portugais, s'avança pour arrêter les ravages des campagnes. Dès que les deux partis furent en présence, les ennemis commencerent l'attaque avec tant de furie fur l'arriere-garde des Siamois, qu'elle auroit été détruite, fi le Roi n'eût changé fon ordre de bataille. Cette nouvelle difpofition lui rendit la fupériorité; & fecondé par les Portugais qui combattoient à fes côtés, il réunit toutes les forces, & engagea une action générale, où fes éléphans & fon artillerie porterent le défordre & la défolation dans les ba

taillons ennemis, qui profiterent de la faveur des ténebres pour fe retirer fur leurs terres, après avoir laiffé cent trente mille hommes fur la place.

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Cette victoire coûta cinquante mille hommes aux Siamois, qui, fiers de cet avantage, firent une irruption dans le royaume de Quibem, gouverné par une Reine qui avoit favorisé le paffage des ennemis. Quatre cens mille Siamois entrerent dans fes Etats. Les villes dont ils firent la conquête, furent facagées; & les habitans, toujours victimes des querelles des Rois furent paffés au fil de l'épée. La capitale auroit éprouvé la même deftinée, fi la Reine, fe dépouillant de fa fierté naturelle, n'eût fléchi fon vainqueur, en fe foumettant aux conditions qu'on daigna lui prefcrire. Cette Princeffe convaincue de fa foibleffe, confentit à payer un tribut annuel de foixante mille ducats de Portugal; & pour comble d'ignominie, fon

fils âgé de neuf ans fit hommage, en qualité de vaffal, au vainqueur, qui l'emmena à Siam, pour fervir d'ornement à fon triomphe.

Le Monarque victorieux ne jouit 11 eft empas long-temps de fa gloire: fes poifonné. jours de profpérité furent changés en jours funebres. La Reine, pendant fon abfence, s'étoit abandonnée à l'ivreffe d'un amour cri minel, & une groffeffe de quatre mois manifeftoit fon infidélité. La crainte d'être punie de fon adultere, la précipita dans un nouveau crime; & pour s'en affurer l'impunité, elle empoifonna dans une taffe de lait fon époux outragé. Ce Prince languit encore pendant cinq jours, qu'il employa à régler les affaires publiques. Les Portugais, compagnons & inftrumens de fes victoires, furent honorés de fes bienfaits. Il déclara leur nation exempte pendant trois ans de toute efpèce d'impofition, & leurs Prêtres eurent la liberté d'annoncer l'Evangile dans tout le royaume.

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