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que tout le bien qu'on faisoit étoit en pure 1815. perte. Les membres de la légion d'honneur et les officiers réformés ne surent point de gré aux chambres ni au roi de la justice tardive qu'on leur rendoit.

Il y eut séance royale le 17 mars. Le roi, entouré des princes de sa famille, des grands officiers de la couronne, des ministres, des pairs de France, prononça dans la chambre des députés le discours suivant :}

" Messieurs,

« Dans ce moment de crise, où l'ennemi public a pénétré dans une portion de notre royaume, je viens au milieu de vous resserrer encore les liens qui, vous unissant avec moi, font la force de l'état. Je viens, en m'adressant à vous, exposer à toute la France mes sentiments et mes

vœux.

« J'ai revu ma patrie: je l'ai réconciliée avec toutes les puissances étrangères, qui seront, n'en doutez pas, fidéles aux traités qui nous ont rendus à la paix. J'ai travaillé au bonheur de nos peuples; j'ai recueilli, je recueille tous les jours les marques les plus touchantes de son amour : pourrois-je, à soixante ans, mieux terminer ma carrière qu'en mourant pour sa défense?

« Je ne crains donc rien pour moi; mais

Séance royale.

Discours

du roi.

1815.

je crains pour la France: celui qui vient allumer parmi nous les torches de la guerre civile, y apporte aussi le fléau de la guerre étrangère il vient remettre notre patrie sous son joug de fer, il vient enfin détruire cette charte constitutionnelle que je vous ai donnée, cette charte, mon. plus beau titre aux yeux de la postérité; cette charte que tous les François chérissent et que je jure ici de maintenir.

« Rallions-nous donc autour d'elle; qu'elle soit notre étendard sacré. Les descendants de Henri IV s'y rangeront les premiers, ils seront suivis de tous les bons François. Enfin, messieurs, que le concours des deux chambres donne à l'autorité toute la force qui lui est nécessaire ; et cette guerre, vraiment nationale, prouvera, par son heureuse issue, ce que peut un grand peuple uni par l'amour de son roi et de la loi fondamentale de l'état. »

Ce discours, prononcé sans préparation et de premier mouvement, électrisa toute l'assemblée, qui, debout et les mains étendues vers le trône, cria unanimement : Vive le roi, nous mourrons pour le roi!

L'assemblée, ayant repris sa place et du calme, un mouvement que fit Monsieur vers le roi commanda le plus profond si

lence.

Monsieur, après avoir fait un salut profond à sa majesté, dit :

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de MONSIEUR

« Je sais que je m'écarte des régles or- Discours dinaires en parlant devant votre majeste; mais je la supplie de m'excuser et de permettre que j'exprime ici en mon nom et au nom de toute ma famille, combien nous partageons du fond du cœur les sentiments et les principes qui animent votre majesté. »

Le prince, se retournant alors vers l'assemblée, ajouta :

« Nous jurons sur l'honneur de vivre et de mourir fidéles à notre roi et à la charte constitutionnelle, qui assure le bonheur des François. »

Pendant que l'assemblée tout entière répondoit à ce serment du cœur par de nouvelles acclamations, le roi, profondément attendri, serroit Monsieur dans ses bras. Qui auroit pu résister à un tel spectacle? Tous les cœurs étoient profondément émus; tous les yeux étoient pleins de larmes hélas! toute la France n'étoit pas moins envahie.

:

La ville de Sens, où l'on avoit cru par quelques dispositions militaires pouvoir retarder la marche de Buonaparte, lui avoit ouvert ses portes. L'ennemi marchoit sur Fontainebleau, et les troupes de Paris restoient indifférentes, ou ne lais

1815.

Journée du

19 mars.

soient apercevoir que le desir d'abandonner leurs drapeaux.

Que ceux qui ne croient pas aux pressentiments nous expliquent pourquoi le 19 mars 1815 (c'étoit un dimanche) fut pour les bons habitants de Paris une des plus tristes journées de la révolution.

Ils ne connoissoient pas encore leur état de situation, et déja ils en éprouvoient toute l'horreur. Ils ne savoient pas que l'ennemi étoit aussi près d'eux, ils ne croyoient pas à la possibilité de son arrivée, et déja une profonde consternation pénétroit tous les cœurs, et se manifestoit sur tous les visages.

La journée étoit pluvieuse, et les rues étoient pleines de monde. L'inquiétude générale ne permettoit à personne de rester chez soi. On étoit avide de nouvelles, et on craignoit d'en apprendre. On demandoit des faits, on ne répondoit que par des conjectures. Chacun faisoit les siennes. On croyoit tout, on ne croyoit rien. Il n'y a pas de situation plus pénible qu'une telle perplexité. On s'arrange avec un mal connu. Mais tous les rêves de l'imagination grossissent, et accompagnent un malheur problématique. Ainsi se passa la matinée du 19.

A midi nous apprîmes que Buonaparte étoit arrivé à Fontainebleau; qu'il n'y avoit pas entre cette ville et Paris un ré

giment qui osât ou qui voulût l'arrêter; et que le roi n'avoit plus qu'un parti à prendre, celui de quitter promptement sa capitale et de sortir du royaume. Alors tous les voiles furent déchirés, et nous pûmes apercevoir toute l'étendue de nos

maux.

1815.

du roi.

Le roi sortit des Tuileries dans la nuit Départ du 19 au 20, et prit la route de Lille. Une heure après, sa maison militaire le suivit, sous les ordres de MONSIEUR et de monseigneur le duc de Berry (1).

La proclamation suivante, insérée dans le Moniteur du 20, nous instruisit de son départ et de ses motifs.

K

LOUIS, par la grace de Dieu, etc.

« La divine Providence, qui nous a rappelé au trône de nos pères, permet aujourd'hui que ce trône soit ébranlé par la défection d'une partie de la force armée qui avoit juré de le défendre: nous pourrions profiter des dispositions fidèles et patriotiques de l'immense majorité des habitants de Paris pour en disputer l'entrée aux rebelles, mais nous frémissons des malheurs de tout genre qu'un combat

(1) Le duc d'Angoulême étoit à Bordeaux, et le duc de Bourbon dans la Vendée, tous les deux chargés par sa majesté de prémunir les peuples de l'ouest et du midi contre les séductions de Buonaparte ou de les armer contre ses émissaires.

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