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bornerons à ce qui rentre dans notre plan. A vingtquatre ans, Pascal ayant eu occasion de lire des livres de piété, résolut de s'appliquer uniquement à des sujets de religion. On assure qu'à Rouen, il ramena un mécréant à la foi par ses entretiens. A trente 1 ans, il quitta entièrement le monde, étudia l'Ecriture sainte, et vécut dans les pratiques de la piété. Deux ouvrages principalement l'occupèrent à cette époque de sa vie, les Provinciales et les Pensées sur la religion.

On n'exigera pas de nous que nous fassions l'éloge des Provinciales. Assez d'autres ont vanté l'agrément de ces lettres, l'enjouement qui y règne, le sel des plaisanteries, l'art avec lequel l'auteur a triomphe de la sécheresse du sujet, et a su immoler ses adversaires sous les coups du persifflage et de la satire. Nous conviendrons de tout cela, nous éleverons l'ouvrage aussi haut qu'on le voudra sous le rapport littéraire; nous De ferons même pas mention de quelques critiques sur le style de ces fettres, critiques dont M. Raymond avoue pourtant que quelques-unes sont fondées. Nous passerons sous silence des réfutations qui ont pâli devant l'éclat de la réputation de Pascal. On ne peut se dissimuler cependant que ces lettres, si brillantes et si agréables dans les détails, ne reposent pas sur un fond bien solide, ni sur des faits bien exacts. On ne s'aperçoit que trop que Pascal vouloit surtout faire rire aux dépens de gens qu'il n'aimoit pas. On lui à reproché des citations infidèles, et des textes détournés de leur sens véritable; je connois un homme du monde, et malheureusement assez indifférent sur la religion, qui m'a avoué que tout épris qu'il étoit du piquant et des grâces des Lettres qu provincial, il avoit

toujours conçu quelques soupçons sur l'exactitude des citations, et qu'il ne pouvoit s'empêcher de se défier un pen de la sincérité d'un homme si habile à saisir le côté plaisant des objets, et si empressé à tourner ses ennemis en ridicule. Quand on a tant d'envie de divertir ses lecteurs, on n'est pas toujours sévère sur les moyens, et quand on hait si fort les gens, on est disposé à se croire permis de recourir à des malices qui peuvent les perdre. On a dit, à la vérité, pour excuser Pascal, qu'il recevoit de confiance de ses amis les extraits qu'ils lui fournissoient, et qu'il ne se donnoit pas la peine de vérifier les citations. Nous laissons à juger si une telle justification est bien solide.

Je suis étonné que M. Raymond, qui paroît aninié d'un excellent esprit, n'ait pas présenté quelqu'une de ces considérations qui ne l'auroient pas trop écarté de son plan. Je ne trouve chez lui, dans ce sens, qu'une réflexion qu'il à même reléguée dans une note. On conçoit, dit-il, que, pour apprécier tout le mérite des Provinciales, il faut nécessairement se préter à la situation de l'auteur; ce qui ne suppose aucune décision sur le fond des choses. On peut encore admettre qu'il y ait eu dans les diverses corporations quelques écrivains peu sensés, entièrement subjugués par l'esprit de leur siècle et par l'empire des circonstances, sans qu'il résulte de là aucune application générale à une société quelconque. Pascal étoit de bonne foi dans ses opinions. Je le souhaite; mais il me semble que le ton obligé d'un éloge ne s'opposoit pas à des aveux un peu plus forts de la part de l'orateur, et que, sans entrer dans les discussions théologiques, il pouvoit faire sentir que Pascal s'étoit trop livré à un parti. Comment a-t-il pu échapper à M. Raymond de dire que Bossuet au

roit voulu avoir écrit les Provinciales? Croit-il bonnement à cette assertion de Voltaire, qui prétendoit l'avoir apprise de l'abbé Bussy-Rabutín? et peut-il compter sur la véracité de cette anecdote de la part d'un homme qui se plaisoit à en imaginer de toutes les sortes? Assurément l'auteur du Discours sur l'histoire universelle, des Oraisons funèbres, et de l'Histoire des Variations, n'avoit rien à envier à Pascal. Les Provinciales d'ailleurs ne sont nullement dans la manière de Bossuet, dont le sérieux et la gravité n'auroient pu se plier à ce ton continu de plaisanteries, et à ce persifflage tantôt gai, tantôt amer.

Je souscris plus volontiers à tout ce que dit M. Raymoud des Pensées de Pascal sur la religion. Combien il est à regretter qu'un tel ouvrage n'ait pas été fini, et combien le peu que nous en avons donne une haute idée de ce qu'il eût été dans son ensemble! On rapporte qu'un jour, dans une réunion de quelques amis, il développa le plan qu'il méditoit depuis plusieurs années, et qu'il exposa dans un discours de quelques heures, le sujet, les principes, les raisonnemens et l'ordre de ses idées. On peut voir un Abrégé de celle conversation dans la Préface qui se trouve à la tête des Pensées. On lira aussi avec intérêt dans M. Raymond le tableau qu'il présente de la philosophie de Pascal. Il y consacre la troisième partie de son discours, et plusieurs notes fort intéressantes. C'est ce qui m'a paru le plus satisfaisant dans son travail. En tout, ce discours, qui a remporté le prix double d'éloquence à l'académie des jeux floraux, étoit digne de cet honneur. L'auteur est non-seulement un homme très-instruit, qui analyse très-bien les écrits de Pascal, et qui en fait sentir le mérite: c'est encore un

chrétien attaché an principes de la religion, et qui tient à honneur de les professer. Tant de gens de let tres secouent aujourd'hui le joug de la foi, qu'il faut louer la sagesse de ceux qui s'honorent de le porter. Je félicite de tout mon cœur M. Raymond de sa mamère de voir: après quoi je lui dirai franchement qu'il me paroît trop exalter Pascal sous quelques rapports; qu'il déprime trop Descartes; enfin que, dans son court exposé des contestations du jansénisme, il affecte de ne se déclarer, ni pour l'autorité, ni pour le parti qui la méconnoissoit. S'il a cru que c'étoit là de l'impartialité, il se trompe. Ce ne seroit pas être impar tial que de prétendre rester neutre entre la religion et la philosophie; ce seroit être indifférent, et M. Ray moud ne se pardonneroit sûrement pas cette dispo

sition.

Beautés de l'Histoire de Portugal, ou Abrégé de l'Histoire de ce pays; par J. R. Durdent.

Il faut bien prendre notre parti sur ce titre de Beautés, dont nous avons ailleurs montré le ridicule, mais auquel les libraires paroissent tenir, parce qu'ils le jugent propre à éveiller la curiosité C'est le plus souvent une annonce trompeuse. Cependant peut-être l'est-elle moins iei que dans d'ouvrages du même genre. M. Durdent a cherché à faire un choix, et son Abrégé présente de belles actions et de grands caractères. On ne lui reprochera pas de s'être traîné mibutieusement sur les moindres faits de l'histoire. Il ne se fait point scrupule de sauter à pieds joints sur huit ou dix siècles; et après avoir parlé de Sertorius, il

arrive immédiatement, et sans aucune transition, au milieu du 11. siècle. Cette marche est assurément for rapide. Il me semble pourtant qu'il eût été à propos de combler cet intervalle par quelque aperçu fort court des révolutions que le pays avoit essuyées. Depuis cette époque le travail de M. Durdent se suit davantage, et de grands hommes se montrent sur lá scène. Alphonse Ier,, don Pedre son frère, don Sanche er, Vasco de Gania, Cabral, Pacheco d'Almeida, Albuquerque, Jean de Castro, Ataïde, illustrèrent le nom portugais. Cette nation, eirconscrite en Europe dans des limites étroites, prit une part très-active aux découvertes des 15. et 16. siècles, et acquit des possessions très-étendues dans les trois autres parties du monde. Les exploits par lesquels elle se signala dans l'Inde furent d'autant plus éclatans que les conquérans étoient en petit nombre, et le rôle que jouoit le Portugal dans le monde étoit hors de proportion avec ses forces réelles. Mais cette époque de gloire et de prospérité dura peu. L'expédition du roi Sébastien, en Afrique, en fut le terme. Ce prince y fut tué, et le Portugal tomba, peu après au pouvoir de Philippe II. La révolution de 1640, qui lui rendit son indépendance, est encore un des beaux momens de son histoire, M. Durdent la racontée avec détail. Il donne aussi une idée des règnes suivans, et même des événemens qui forcèrent le roi actuel à se retirer au Brésil.

Cet Abrégé est donc assez complet sous quelques rapports, quoique sous d'autres il soit fort maigre. L'auteur s'y montre d'ailleurs rempli des préventions de son siècle sur l'article de la religion. Tout prodige Jui paroît une imposture; tout moine est à ses yeux

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