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ples. Mais l'excès du malhear fit encore mieux connoître cette grande ame, et développa toute son énergie et ses vertus. Douée d'une élévation d'esprit et d'une prévoyance qui eussent peut-être empêché la France de tomber dans l'abime, Mae Elisabeth cependant se renferma dans un rôle plus modeste et non moins courageux. Elle se voua à partager les malheurs d'une famille qu'elle ne pouvoit sauver, et à consoler un Prince entraîné à sa perte par une fatalité déplorable. Elle eût pu sortir de France, et tout autre qu'elle l'eût fait avec d'autant plus d'empressement qu'elle ne se dissimuloit pas le but affreux des ennemis du trône; mais elle ne voulut point quitter un frère que l'infortune lui rendoit encore plus cher. Son noble dévouement eut le prix qu'elle avoit probablement entrevu. Elle l'expia par deux ans de prison, d'abandon, de privations, de chagrins, et par une mort qui lui auroit sans doute paru moins amère, si elle n'eût pas laissé après elle un jeune Prince et une Princesse, à qui elle eût été si nécessaire. Quel courage elle montra dans la position la plus douloureuse où pût se trouver la fille de tant de rois! Quelle résignation, quel calme, quelles attentions pour sa famille, quelle piété, quelle douceur! Ce n'étoit plas pour elle-même qu'elle vivoit, elle n'étoit occu→ pée qu'à encourager, qu'à consoler, qu'a distraire les compagnes de sa prison; et on nous a révélé récemment des traits admirables de patience, d'égalité d'ame, de religion de la généreuse Princesse, à qui ses bourreaux même ne purent faire un reproche, et dont l'innocence défia la plus noire

calomnie.

Telle est l'auguste et intéressante victime dont M. l'abbé de Villefort a entrepris de retracer l'éloge. Cet ecclésiastique, qui a publié tour à tour l'Oraison funèbre de Louis XVI et celle de la Reine, complète en quelque sorte son travail par ce dernier écrit, qui nous paroît tout-à-fait digne des précédens. On en jugera par ce passage que nous allons rapporter, et qui termine l'exorde :

«En appelant vos regards sur le passé, vos méditations sur l'avevenir, à travers d'affligrans détails, je viens cependant, Messieurs, vous offrir un modèle de toutes les vertus, celui de l'innocence expiFant sous le glaive révolutionnaire. Mort inutile au succès du crime! dernière victime condamnée par les persécuteurs de cette auguste faLille de nos Rois, qui fut toujours chère au cœur des fidèles François ! Puisqu'il m'étoit réservé de traiter un aussi pénible sujet, puisse

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le tableau qui sera mis sous vos yeux exciter le repentir des coupables, consoler les ames pures, forcer à l'admiration ces cœurs froids et insensibles, qui, en tolérant le triomphe du crime, osoient à peine donner des regrets aux malheurs de la vertu !

» Pour garantir désormais les peuples des fléaux qui précèdent et accompagnent les révolutions, il faut les mettre en garde contre la séduction du crime et ses fatales conséquences. C'est d'une main ferme et hardie qu'il faudroit tracer le tableau des forfaits de ces époques désastreuses. C'est de l'expérience du passé que s'instruiront les générations futures.

>> Avant d'envisager cette auguste Princesse, placée au milieu des scènes d'horreurs où l'ame effrayée la contemple avec admiration, la fixe, la suit comme la victime des plus cruels outrages; qui, de la première marche du trône, est entraînée dans une prison; qui paroît plutôt devant ses accusateurs que ses juges, je dois vous l'offrir dans ses premières années.

» Je vous l'ai dit, Messieurs; ce n'est point ici une vie brillante, c'est une vie toujours occupée, toujours vertueuse, qui vous prouvera que la religion est le véritable lien de la vie, le seul nécessaire dans les Etats et dans toutes les positions, parce qu'elle associe dans l'éternité tous les hommes aux mêmes récompenses, comme également elle les associe sur la terre à la pratique de toutes les vertus.

>> Je diviserai en deux parties l'Eloge funèbre que j'ai à tracer : dans la première, vous verrez, au milieu de la cour, une Princesse pieuse et bienfaisante, toujours tendrement attachée à sa famille, qu'elle console dans ses malheurs, avant et pendant sa captivité. La seconde vous offrira cette grandeur d'ame, cette fermeté, cette résignation dans les souffrances, cette religion qui la soutient dans l'adversité, qui enfin, nous fait vénérer en elle une héroïne chrétienne vous verrez, Messieurs, qu'elle vécut comme une sainte, e mourut en martyresne

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Nous ne ferons pas mention d'un morceau de ce même exorde qui offre le portrait d'un ambitieux que nous avons trop connu. Quel que soit le mérite de ce passage, qui sera peut-être plus remarqué par quelques lecteurs, nous avouons qu'il nous paroît un hors d'œuvre, et qu'il n'a point de port avec le sujet. L'usurpateur ne jouoit encore aucun rôle quand Mme. Elisabeth succomba, et ces deux noms ne sont liés par aucun point de contact.

rap

En annonçant cette production, qui se recommande par son objet aux amis de la religion et du trône, nous nous contenterons d'ajouter qu'elle est d'un sujet fidèle, qui, avant de rendre hommage à la mémoire de ses maîtres, et de peindre leurs vertus, leur avoit plus d'une fois, pendant la révolution, et aux époques les plus fâcheuses, prodigué ses services avec un zèle aussi actif que désintéressé.

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Samedi 24 mai 1817.)

(N°. 291.)

Des Colonies et de la Révolution actuelle de l'Amérique; par M. de Pradt.

SECOND ARTICLE.

Ce que M. de Pradt paroît le plus jaloux de persuader à scs lecteurs, c'est la hauteur de ses vues, et son habileté à prévoir les événemens. Il répète fré quemment dans cet ouvrage, et dans les autres publiés par lui depuis deux ou trois ans, qu'il avoit prophétisé, il y a long-temps, l'état actuel des colonies. Depuis son premier ouvrage sur cette matière, en 1800, les faits, dit-il, sont venus, pour ainsi dire, se ranger sous la ligne des principes que nous avions énoncés. Ainsi il se vante d'avoir deviné dès-lors l'indépendance complète de Saint-Domingue, la perpétuité des insurrections parmi les nègres, la conquête de toutes les colonies par l'Angleterre, la supériorité de sa marine, etc. Quoi! vous aviez prévu tout cela! Quel effort de perspicacité! Avoir vu, en 1800, que la marine angloise l'emporteroit sur toutes les autres, quand celle de la France étoit anéantie ou bloquée, et que celle des autres Etats étoit nulle; quel tact prodigieux! Avoir vu qu'en conséquence l'Angleterre s'empareroit, quand elle le voudroit, des colonies; quelle étonnante habileté! Avoir vu que Saint-Domingue, où les blancs avoient été massacrés, et qui depuis plusieurs années n'obéissoit plus à la France, se déclaTome XII. L'Ami de la Religion et du Ror,

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reroit indépendant; quelle merveilleuse prévoyance!. Ne faut-il pas être prophète pour pénétrer ainsi dans l'avenir, et pour annoncer des choses si peu vraisemblables? Le rare bonheur avec lequel M. de Pradt a deviné, il y a plus de quinze ans, ce qui se passe aujourd'hui, ne doit-il pas nous effrayer sur l'accomplissement des prophéties qu'il fait encore dans son dernier ouvrage? Il annonce les plus grands malheurs si on ne suit pas ses conseils. Tout gouvernement qui voudra entraver le siècle dans sa marche, arrêter les progrès des lumières, contrarier l'indépendance, essuyera des calamités sans nombre, tandis que les Etats plus dociles verront s'ouvrir pour eux les destinées les plus riantes. Ainsi voilà le monde averti, et chacun ne pourra s'en prendre qu'à soi, s'il lui arrive malheur. Je suis persuadé que M. de Pradt aura toujours rencontré juste, et que dans quinze ans, s'il vit, il se trouvera qu'il aura prédit tout ce qui existera alors.

L'auteur, les yeux toujours fixés sur l'Amérique, dit que les trois cents ans qui ont suivi sa découverte ont plus fait pour le bien-être du monde, que tous les siècles qui les avoient précédés. J'avoue que je ne vois pas bien en quoi le bien-être du monde a été si grand dans ces trois siècles, et en quoi l'Amérique y a contribué. C'est pendant ces trois cents ans qu'ont été commises ces immanités que l'auteur reproche aux Espagnols; c'est la découverte de l'Amérique qui a donné lieu au trafic des nègres, et à un 'esclavage contre lequel M. de Pradt tonne avec beaucoup de force. C'est depuis ces trois cents ans que nous avons eu, et la réforme, et les guerres longues et sanglantes qu'elle a excitées en Allemagne, en France et en Angleterre, sans parler de tant d'autres guerres dans

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les deux mondes. C'est depuis ces trois cents ans que nous avons eu, et la révolution françoise, si féconde en désastres, et les massacres de Saint-Domingue, et tant de fléaux dont le tableau feroit gémir l'humanité. Voir là du bien-être, c'est avoir grand besoin de se créer des images consolantes. Ailleurs, et dans le même esprit, M. de Pradt assure que quand l'émancipation de l'Amérique aura eu lieu, alors, pour la première fois, on saura ce que peut et ce que vaut le monde. Quoi! on ne le sait donc pas encore, et il faut encore se réfugier dans un avenir incertain et éloigné pour connoître la valeur et les forces de ce monde, qui n'a eu jusqu'ici, nous dit-on, qu'une direction contrainte et obligée! Quand les faiseurs de systêmes se lasseront-ils de nous promettre le bonheur à des époques reculées, et de se jouer de la génération présente en lui présentant en perspective la félicité des générations à venir? Croit-on que nous serons toujours dupes de ce charlatanisme et de ces illu sions dont les moteurs de la révolution nous bercerent constamment pendant vingt-cinq années?

Au milieu de toutes ces sollicitudes da régulateur des colonies, il n'oublie point le clergé, comme nous l'avons dit. Il est vrai que le clergé auroit sans doute autant aimé que l'auteur ne se fût pas occupé de ses intérêts; car M. de Pradt, qui a fort à cœur de prouver qu'il n'a point d'esprit de corps, traite ses con frères à peu près comme il traite l'Espagne, et il peut se flatter que son livre ne décèle en aucune manière son état. En Amérique comme partout, dit-il, le clergé s'est montré très-opposé à la liberté; ce mot de liberté a la propriété de le pénétrer d'effroi. Le clergé soutient de toutes ses forces l'empire de l'Espagne. Assurément

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