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le clergé a bien tort de redouter la liberté; fexemple de la France doit le rassurer. On y a vn, pendant la révolution, les prêtres si bien traités! Proscrits, deportés, massacrés dans les prisons, frappés de mort par un décret exprès, ils auroient tort de s'alarmer des suites de l'esprit de liberté. J'ajouterai qu'il est étrange de voir un membre du clergé lui reprocher de rester attaché à l'autorité, comme s'il pouvoit igno rer là-dessus la doctrine de l'Evangile. Mais ce n'est pas tout, et M. de Pradt porte encore plus loin sa sollicitude et sa bienveillance. Si l'Espagne succombe, dit-il, les esprits républicains, ombrageux contre les soutiens de l'Espagne, comme il arrive toujoure à l'égard de ceux qui ont soutenu le parti opposé, aguerris d'ailleurs contre Rome et ses foudres, ne seront-ils pas fort disposés à prendre, à l'égard d'un culte dont les ministres leur seront long-temps suspects, des mesures dictées par la prévoyance et par l'exemple de ce qui se passe ailleurs? Lorsqu'on examine l'embarras que lè clergé catholique apporte dans toutes les affaires civiles, lorsqu'on voit l'Irlande désunie depuis des siècles de l'Angleterre par les ministres du culte prépondérant dans ce pays, quand on voit les tracasseries par lesquelles le clergé de la Belgique a débuté avec le gouvernement et salué le nouveau tróne des Pays-Bas, on peut craindre de la part de l'Amérique de fortes résolutions pour se soustraire aux mémes inconvéniens. Ceux qui ont tant sacrifié pour rejeter l'Espagne, pourroient bien faire encore des pas en avant pour rejeter Rome. Rome et l'Amérique doivent beaucoup à M. de Pradt pour son obligeante prévoyance, et son zèle religieux est toutà-fait digue d'un évêque. C'est nne espèce d'avertissement qu'il donne à tous les gouvernemens, et un

service qu'il cherche à rendre au clergé. Les prêtres sont généralement, en Europe, dans une situation si brillante qu'on ne sauroit trop apprendre à les rabaisser et à les contenir. L'embarras que le clergé catholique apporte dans toutes les affaires civiles! L'accusation est générale, et il est très-vrai que le clergé catholique a plus d'une fois, dans ces derniers temps, embarrassé les affaires civiles de l'usurpateur. M. de Pradt l'a vu, et peut-être il en a gémi; car il sait que les prêtres ne doivent se mêler que de leur état, et il déplore qu'ils s'immiscent dans la politique. Dans sa mission en Espagne, en 1808, il fut témoin de l'opiniâtreté du clergé espagnol, qui repoussoit avec ingratitude les lumières et les bienfaits qu'on lui apportoit, et qui, ne séparant point sa cause de celle de la nation, embarrassa le conquérant et son conseil. C'est un tort que le clergé espagnol aura toujours à se reprocher. Peu de temps après, le clergé catholique commit une faute à peu près semblable. Le Pape refusa d'accéder à des prétentions assurément fort douces et fort modérées; le clergé de Rome et d'Italie le seconda dans cette résistance. En France, les évêques rassemblés, à Paris, en 1811, osèrent aussi s'opposer aux vues pacifiques de B. En vain M. de Pradt essaya de les amener à plus de complaisance; en vain fit-il le voyage de Savone pour précher un peu le saint Père, Ses soins n'eurent pas de succès, et il eut la douleur de voir l'homme le plus débonnaire et le plus conciliant contrarié et embarrassé par l'entêtement du clergé. Cette conduite est sans doute déplorable, et doit exciter les gémissemens des personnes zélées pour l'honneur de l'Eglise. M. de Pradt auroit mieux fait de nous citer franche

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ment ces exemples, que de nous parler de l'Irlande et des Pays-Bas. Il se plaint que l'Irlande ait été désunie depuis des siècles de l'Angleterre par les ministres 'du culte prépondérant en ce pays. Qu'il soit donc au moins conséquent ; car l'Angleterre n'a pas plus de droit sur l'Irlande, que l'Espagne n'en a sur ses colonies; et s'il falloit admirer la révolte de celles-ci contre la métropole, il ne faudroit pas donner moins d'éloges à la longue résistance des Irlandois contre l'Angleterre. M. de Pradt ignore-t-il que les Anglois 'ont conquis l'Irlande à peu près comme les Espagnols ont conquis l'Amérique ? Trouve-t-il le joug de l'une plus doux que celui de l'autre, on ne blâme-t-il l'oppression que quand elle s'exerce sous un autre hémisphère, ou bien enfin regrette-t-il que l'Irlande n'ait pas consenti à renoncer à sa religion pour adopter celle de ses conquérans? Cela est fâcheux, il est vrai, et le clergé catholique d'Irlande est bien coupable de s'être opposé à ce changement des Irlandois, et d'avoir ainsi apporté des embarras dans les affaires civiles. Conçoit-on qu'un évêque tienne un langage si peu en harmonie avec son caractère, et qu'un ami si chaud de la liberté et de l'indépendance blâme ici ce qu'il approuve là? J'ajouterai encore une remarque sur ce sujet; c'est que c'est un contre-sens d'appeler les prêtres catholiques les ministres du culte prépondérant en Irlande. Ce sont, au contraire, les ministres et le culte protestans qui sont prépondérans en ce pays. Le clergé catholique y est privé d'honneurs, de prérogatives et de revenus.

Il me resteroit, pour apprécier dans toute son étendue le morceau que j'ai cité, à examiner ce que M. de Pradt y dit du clergé de la Belgique, qu'il ac

ense de tracasseries. Ce clergé auroit peut-être du s'attendre à être moins maltraité par un évêque qui a vécu dans le pays. Mais on dit que le prélat a toujours vu avec dédain la régularité des prêtres belges, qui ont le malheur de ne pas priser assez les idées libérales, et qui ont la simplicité de croire comme on faisoit encore au 17. siècle. Peut-être aussi que M. de Pradt devoit d'autant plus s'abstenir d'un jugement si sévère, qu'un de ses collègues est tombé dans une disgrâce qui a dû le rendre sacré aux yeux d'un écrivain généreux. Les idées libérales n'auroient pas été mal appliquées dans cette circonstance. J'aurois bien encore quelques observations à adresser, sur la même matière, à M. de Pradt. Je le prierois, par exemple, d'affecter moins de mépris pour les institutions monacales, et de laisser rebattre cet éternel sujet de déclaration aux successeurs d'Helvétius et de Raynal. Je lui demanderois pourquoi il ne veut pas croire au récit des Jésuites sur les missions du Paraguay, et pourquoi il est plus difficile que les savans et les philosophes qui ont parlé avec éloge de cette institution, qui avoit, à la vérité, quelque chose de monaeal, mais qui, à cela près, offroit un spectacle si consolant pour la religion et pour la religion et pour l'humanité.

Releverai-je des erreurs de détails? Un journaliste s'est amusé à en remplir plusieurs colonnes, et il n'a pas tout dit. M. de Pradt prétend que la population s'élève, dans le Canada, à 450,000 habitans; il n'augmente que du double. D'après des relevés officiels, le Canada ne comptoit, en 1802, que 180,000 habitans; la population, depuis quinze ans, ne s'est sûrement pas élevée beaucoup au-delà de 200,000. Il croit que les Anglois ne purent s'empa

rer de la Guadeloupe pendant la guerre de la révolution. Il se trompe. Cette ile fut prise par le général Grey, au mois d'avril 1794; il est vrai que Hugues Ja reprit bientôt après. Une des choses sur lesquelles M. de Pradt revient le plus souvent, c'est l'état relatif du Portugal et du Brésil. Il lui paroît insoule→ nable qu'une partie de l'Europe reçoive la loi du Brésil. Il avoit déjà développé cette idée dans son Congrès de Vienne, et on s'en étoit moqué. Il y revient, il y persiste, il la délaye encore, et il conclut que l'Europe se dégraderoit en souffrant cette transposition de pouvoirs. On cherche en vain le fonde→ ment d'une telle politique; je dois avouer qu'elle est au-dessus de mes foibles conceptions.

Parler du style de l'ouvrage, après avoir indiqué tant de graves erreurs, paroîtra peut-être un soin minutieux; cependant ne faut-il pas montrer que l'écrivain n'est pas meilleur que le politique? M. de Pradt cherche à faire de l'effet; mais il travaille avec une précipitation et une négligence à peine croyables. Son style est obscur, haché, pénible. On a peine à se retrouver dans ses périodes mal construites et embarrassées de qui sans fin. Quel écrivain, un peu accoutumé à manier sa langue, a pu s'exprimer ainsi : Taisez-vous, cessez vos accusations irréfléchies, et Qui ne peuvent trouver d'excuse que dans le malheur qui porte ceux qui l'éprouvent à s'en prendre à tout le monde de ce qur cause leurs souffrances; vous QUI imputez à ceux que l'on a appelés les amis des noirs, les désastres des colonies...... Ces cinq qui, placés si près les uns des autres, sont aussi clairs qu'élégans, La raison s'abaisse devant la prolongation de ce délire dommageable, qui par le fait même de ces dommages....

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