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«pos que les amants passionnés de l'Italie fissent une bonne con«fession, qu'ils la renouvelassent assez fréquemment, comme par « exemple tous les mois qu'ils se procurassent un petit livre de « prières et en fissent usage matin et soir. Il serait bon aussi de re« noncer à quelques liaisons plus que sentimentales; de commencer « à observer en pratique les préceptes de l'Eglise; de se rendre à « quelque sermon les jours de fête; de faire quelque aumône; de « s'exercer à quelque œuvre de miséricorde corporelle, en visitant « un hôpital, en consolant un affligé, et ainsi de suite. Dans toutes « ces choses, qui, s'il faut en croire ces messieurs, sont des moyens « pour la rédemption de l'Italie, ils trouveraient parmi les Jésuites « des coopérateurs aussi zélés que partout ailleurs. >>

Je n'examine pas l'opportunité de l'ironie qui règne dans ce morceau; ce n'est pas là qu'est la question. Pour le fond des idées, il est irréprochable, et surtout parfaitement sacerdotal. Un prêtre avait bien le droit de remontrer aux mœurs d'une partie de l'Italie, surtout dans les classes élevées, leur mollesse et leur corruption, et de les prémunir contre ce Catholicisme en paroles, l'un des plus grands obstacles au bien qui existe à notre époque. Il y a déjà quelque temps que nous autres en France nous nous sommes appliqués à nous-mêmes cette sage réflexion, et c'était aussi l'avis des amnistiés de l'Etat romain, qui, en sortant du château Saint-Ange, coururent à Saint-Pierre-aux-Liens pour y renouveler l'usage de la communion, interrompu par eux depuis un grand nombre d'années. Si le P. Curci avait besoin d'une réponse, celle-ci était bonne, et je ne doute pas que le P. Curci lui-même ne l'ait trouvée excellente.

Mais ce n'est pas le compte de M. Gioberti. Le Jésuite qui le réfute a mis en scène le comte Balbo et les Speranze d'Italia; il a parlé, à propos de cet ouvrage, des mauvaises mœurs d'une partie de l'Italie. M. Gioberti n'aura pas de cesse qu'il n'ait prouvé que les conseils du Jésuite étaient une insulte au comte Balbo en personne. «Il est beau << de voir le mélange de ces pieuses admonestations avec les plus « horribles calomnies qu'on puisse lancer contre la fleur des hon« nêtes gens ; et comme le comte Balbo est le seul d'entre eux que le « Jésuite honore d'une mention spéciale, il est clair que le compli«ment s'adresse à lui d'une manière toute particulière. Et qu'on ne adise pas que les avertissements sont donnés en général; car étant « exprimés à propos de Balbo, sans que la moindre syllabe d'excep

«tion ou de louange indique au lecteur que ce respectable person<«<nage n'en a pas besoin, l'homélie est évidemment faite à son in<«<tention, et je suis le seul qui, comme adversaire du P. Jésuite et «< comme but de sa colère, ait une part nominative dans le sermon. Il « est donc manifeste que, selon toutes les règles du langage humain, le « Jésuite a voulu le plus honnêtement du monde insinuer le soupçon « que le comte Balbo est un de ces catholiques qui mentent à la religion, << en la professant seulement en apparence, et la déshonorent par des << scandales publics.-Je ne prendrai pas la peine, Père Curci, de dé«< fendre la réputation du patricien piémontais; elle n'en a pas be«soin. Tout Turin est témoin de sa vie exemplaire, non-seulement «< pure, mais sainte et austère, comme homme, comme père de fa<< mille et comme chrétien. L'Italie entière et le reste de l'Europe <«< connaissent la profondeur de son génie, la noblesse de son âme et « la grandeur de son patriotisme. Les amis et les admirateurs de cet <<< homme illustre ne peuvent assez s'indigner de l'incroyable insulte « que vous lui faites... Puis-je me plaindre moi-même de vos attaques « au comte quand vous imputez à Balbo de ne pas aller à l'église et « cultiver des liaisons plus que sentimentales (I, 194-97) ? »

Mais où M. Gioberti se surpasse lui-même, c'est quand il parle des événements de Lucerne. C'est à ne pas le croire : il y a un chapitre du livre de M. Gioberti qui s'appelle: Stragi gesuitiche, Massacres des Jésuites. Et quels massacres les Jésuites ont-ils donc faits? Ceux de Lucerne M. Gioberti est si fier de cette découverte historique qu'il y revient à chaque instant ; c'est, de tous les reproches dont il accable les Jésuites, celui qui tient le plus de place dans le Gesuita moderno. « Le seul fait de Lucerne est si horrible qu'il suffirait « pour justifier l'extermination, ou au moins la réforme fondamentale « de ceux qui s'en sont rendus coupables (1, 59). Déjà peut-être « plus d'un spectre des malheureux massacrés se sera montré à l'i<«<magination de ceux qui furent cause de leur mort, comme l'ombre de << l'innocent à la vue de Macbeth (I, 61). Quant à vous, Révérend Père « Curci, vous êtes un scélérat (ribaldo); scélérats sont les Pères de << Lucerne (I, 157). Vous avez excité dans la Suisse les massacres de « la guerre civile (I, 167). Vais-je en Suisse pour m'y installer dans « les villes malgré les habitants, troubler leur repos, y attiser les fu«reurs civiles et les souiller du sang des citoyens (I, 181)? Les mas« sacres de Lucerne ne sont-ils pas connus de toute l'Europe (I,

« 221)? Après les événements de Lucerne, il ne me reste pas une "grande idée de l'humanité des Pères (1, 454). Vous vous efforcez « de réhabiliter les massacres de la Suisse en les comparant avec « l'ancien Martyrologe de la Compagnie; mais vous ne pouvez igno<< rer qu'il existe quelque différence entre verser son propre sang et « répandre celui d'autrui (II, 416). Parmi les faits récents, celui de « Lucerne est le plus énorme je vous demande si c'est le sang des « Suisses que vous avez répandu, ou la courte mention que j'ai faite « de ces massacres, qui vous ôte la confiance des peuples (II, 399). « Un ordre religieux qui, récemment encore, souillait la Suisse du « sang des citoyens, est bien digne de s'allier avec un Etat chrétien « qui stipendie légalement les assassins de la Pologne (III, 520). «L'infamie des événements de Lucerne vous a déshonorés aux yeux « de l'humanité; elle a accru et rendu irrémédiable la haine qu'on « vous porte en Italie, votre séjour de prédilection; elle vous a fermé « l'entrée de la noble Toscane, et a donné le coup de grâce à votre « puissance jusque dans les murs de la ville éternelle : éternelle sans « doute, mais pas pour vous. Rome vous refuit, et vous espérez de « vivre! Rome vous laisse bannir par les pays catholiques et aide à « votre bannissement, et vous croyez qu'elle vous est favorable! Vous <<< ne vous apercevez pas que c'est là le commencement d'une sen«tence terrible? Mais que dis-je? cette sentence, c'est vous qui l'avez « écrite, qui l'avez signée de votre propre main, en trempant la « plume dans le sang des Suisses! etc., etc. (II, 412). »

On ne sait vraiment que penser d'un tel langage. Est-ce audace? est-ce crédulité? M. Gioberti n'a donc jamais connu les événements de la Suisse que par les récits de certains journaux français? Le livre où se trouvent accumulées les invectives dont nous venons de rapporter quelques échantillons est daté de Lausanne, et c'est dans cette ville que le livre a été imprimé. On nous a dit que M. Gioberti avait passé dans cette ville une grande partie de l'année qui vient de s'écouler, pour surveiller l'impression de son livre. Il ne se peut qu'il n'ait au moins rencontré quelques-uns de ces législateurs qui ont attribué le suffrage électoral aux mineurs de dix-sept ans et aux repris de justice. Il a vu destituer et proscrire tout ce que le clergé protestant renfermait dans le canton de Vaud d'hommes distingués par leur instruction et leurs vertus privées; il demeurait peut-être à peu de distance de la maison où

expirait l'un des penseurs les plus distingués et peut-être le critique le plus éminent de notre époque, M. Alexandre Vinet, victime de cette absurde et atroce persécution. Les saturnales démagogiques, les manifestations de l'at héisme, la prédication de tous les principes anti-sociaux, tout cela s'est accompli à la porte de l'imprimerie où se préparait le Gesuita moderno. Veut-on savoir maintenant ce que M. Gioberti pense des radicaux de la Suisse? « On sait qu'en Suisse << on appelle radicaux ceux qui voudraient resserrer les liens fédé«ratifs des divers cantons et donner au gouvernement une forme « plus unitaire, et que leur parti comprend les meilleurs esprits et << peut-être les citoyens les plus tendrement attachés à leur pays. Que << si parmi les radicaux il se trouve des exagérés (ce que je ne nie « pas), cela ne doit étonner personne, telle étant la condition iné<<< vitable de tous les partis politiques; mais quelles que soient ces at« teintes à la modération (immoderanze), ce n'est rien en comparai« son des atroces folies du Jésuite de Naples (le P. Curci). On sait << aussi qu'une très-petite partie seulement des radicaux a pris part « à main armée aux tumultes de Lucerne, et cependant parmi eux << on compte des hommes fort respectables...., etc. (I, 464). » Cela se conçoit encore; M. Gioberti n'a pas voulu manquer l'occasion d'un coup de chapeau à donner aux radicaux et même aux communistes de la Suisse (j'ai dû abréger la citation). Ces braves gens ont un grand mérite aux yeux de notre philosophe : c'est de ne pas parler des Jésuites avec plus de modération que lui. Cela ne nous explique pas pourtant comment M. Gioberti a pu s'y prendre pour démontrer que les Jésuites, et non les corps francs, avaient versé le sang à Lucerne. Rien n'est plus simple pourtant, il suffit de comprendre la valeur des termes de philosophie : « Quand j'ai dit, dans les Prolégomènes, que les « Jésuites, bien qu'ils n'aient pas assasiné eux-mêmes (benchè non « fossero gli uccisori), avaient été la cause de l'effusion du sang hel« vétique, il est clair que j'ai voulu dire qu'ils avaient été la cause « occasionnelle du massacre; et mon expression était exacte, parce <«< que, si vous aviez lu Aristote et le Vocabulaire de la Crusca, vous << sauriez que l'occasion est synonyme de la cause dans toutes les lan« gues, et particulièrement dans la nôtre (II, 375). » Ainsi le fantôme se dissipe à mesure qu'on le repousse. Les Jésuites étaient d'abord les auteurs mêmes du massacre; ils avaient versé le sang des Suisses; bientôt ils n'ont plus été que la cause de ces massacres; de

la cause on a passé ensuite à l'occasion, ce qui est la même chose... en italien; enfin, l'occasion finit par dégénérer en prétexte. «Que les « Jésuites n'aient été qu'un pur prétexte aux expéditions des corps « francs, je le veux bien; mais sans ce prétexte, le mouvement n'aua rait pas eu lieu (II, 381). »

Il est un point que M. Gioberti ne tient pas moins à imputer aux Jésuites que les massacres de Lucerne : c'est l'empoisonnement de Clément XIV. Ici, il est vrai, M. Gioberti marche à coup sûr, appuyé sur l'autorité de M. le comte de Saint-Priest. Son récit néanmoins n'est pas tellement concluant qu'on ne se demande encore, après l'avoir lu, quelle main peut avoir présenté le poison au souverain Pontife.

Ce n'est pas qu'au temps de Clément XIV M. Gioberti ne crût possible de trouver un Jésuite capable de se charger de ce crime: ai tempi di Clemente, questo gran Papa, potera trovare fra di voi un uomo capace di propinargli il veleno (II, 154); mais, pour peu qu'on regarde de près les circonstances de la maladie et de la mort de Clément XIV, on ne voit pas trop comment un Jésuite, et quel Jésuite, aurait pu se glisser auprès de lui. Un Jésuite! Il ne s'agit pas d'un Jésuite. « En « imputant aux Jésuites ce crime, je n'entends pas tant parler des « Pères que de leurs clients (III, 137). » C'est qu'en effet, quand M. Gioberti est embarrassé de trouver le Jésuite coupable, il a toujours à sa disposition au moins un jésuitant. Je ne sais si notre philosophe a trouvé ce mot dans le Vocabulaire de la Crusca. Moi je l'offre au Dictionnaire de l'Académie; car il est vraiment bien trouvé. « Mais ceux« ci, après tout, n'étaient pas Jésuites. Ils étaient jésuitants, et, « par conséquent, des vôtres. Ma costoro al postutto non eran Ge« suiti. Erano gesuitanti, e però dei vostri... (III, 123). »

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On voit que M. Gioberti, malgré son dédain pour la littérature française, a profité de nos bons auteurs.

Mais laissons là le texte des accusations. Ce livre est triste, dangereux par l'effet qu'il peut produire. Au fond, il n'a rien de sérieux. Je n'insisterai plus que sur un dernier point. Il convenait à M. Gio

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