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berti de faire de Clément XIV un grand homme. Sans doute, un Pape qui a prononcé l'abolition des Jésuites ne peut-être que le plus grand des Papes; mais l'histoire de Ganganelli ne prête guère à un te panégyrique. En voyant ce malheureux Pontife succomber aux obsessions de toute sorte dont il était accablé, et expier par les remords un acte de faiblesse, l'âme se sent prise d'une grande compassion. On se rappelle le repentir de Libère et le martyre de Vigile. L'émotion douloureuse qu'excite cette catastrophe dans toutes les âmes impartiales a contribué certainement à dissiper les nuages dont la calomnie avait enveloppé les Jésuites. Ce coin soulevé du mystère qui cache les secrets de la Providence fait de Clément XIV le héros d'une des plus grandes tragédies qui se soient jamais jouées aux yeux des hommes. Mais passer, comme le fait M. Gioberti, de la pitié respectueuse du chrétien à l'apologie du philosophe, ce n'est pas seulement un paradoxe insoutenable; à mes yeux, c'est une impiété.

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« Personne jusqu'ici n'a marqué avec précision la physionomie « propre de cet illustre Pontife. Clément a été grand, parce que le « premier il a fait paraître au dehors, dans la succession des Papes, « une idée vraie et grande (fu il primo ad estrinsecare nella successione « Dei Papi un' idea vera e grande. Je ne suis pas bien sûr de com« prendre). C'est en cela que consiste l'originalité, qui, en révélant « un aspect nouveau des choses, est une création, et, en soulevant « l'homme au-dessus du vulgaire, lui communique le privilége que « nous appelons grandeur. Mais quelle fut en particulier la grandeur « de Clément? . . Le Siége apostolique, outre le martyr, le « saint, le docteur, l'apôtre, nous fournit la perfection du législateur «< civil, du protecteur des arts, du guerrier, du conquérant, de l'éru« dit, du littérateur; de sorte qu'il n'y a, pour ainsi dire, aucune << prérogative de l'intelligence, aucun développement de la civilisa«tion qui ne brille comme une pierre précieuse sur la couronne pon«tificale. Clément posséda un grand nombre de ces avantages..... << mais aucun ne le distingue particulièrement et ne le met au-dessus « des autres. Gerbert et Lambertini furent plus savants, Hildebrand <«<et Jules II plus audacieux, Odescalchi et Chiaramonti plus intré« pides, Segni et Peretti plus vigoureux, Parentucelli, les Médicis «<et Braschi plus magnifiques, et ainsi de suite..... En quoi donc, je « le répète, consiste la supériorité particulière de Clément XIV? Elle « consiste en ce qu'il fut le premier Pape en qui s'incarna d'une

« manière vive, claire et distincte, la conscience de la civilisation « moderne dans ses derniers progrès, particulièrement celle du siècle « dans lequel il a vécu cette conscience qui, déjà devenue laïque, « européenne, italienne, reçut de Clément le sceau de la perfection, << en se faisant avec lui romaine et pontificale. L'honneur d'initier « l'Eglise à la civilisation moderne appartient à celui qui exécuta << son mandat (l'abolition des Jésuites) et accomplit cet acte qui ren« dra son nom immortel dans l'histoire, parce qu'il a marqué, à pro"prement parler, la fin du moyen âge ecclésiastique et de ces siècles « barbares qui avaient altéré la discipline et affligé la république « chrétienne. La vie de Clément XIV suffit pour montrer en « lui le Pape philosophe : Clément fut philosophe par son génie, par « sa vie, par ses mœurs, par sa conduite; mais surtout il se moutra << tel en exterminant une secte qui est l'ennemie capitale de la spé«culation et de la pensée, et qui empêcha et empêchera toujours « l'accord de la science humaine et de la science divine. - J'aime « à unir le nom d'Hildebrand à celui de Clément XIV; car si l'un « commença la succession des Papes civilisateurs et réformateurs, « l'autre l'avait fermée, avant que surgît celui qui s'apprête à rivali« ser de vertus avec lui et à surpasser sa gloire (III, 73). »

Un homme d'une haute autorité, qui avait lu mon premier article sur le Gesuita moderno, m'écrivait, il y a quelques jours: « Citez, « citez toujours; c'est le meilleur moyen de réfuter ce mauvais « livre. » Et, en vérité, les plus éloquentes paroles pâliraient devant de telles citations. J'aurais pu les multiplier à l'infini, mais l'échantillon suffit, ce me semble. La comparaison d'Hildebrand et de Clément XIV est grotesque; celle de Ganganelli et de Pie IX est odieuse. Si je voulais à mon tour chercher dans la suite des Papes un point de comparaison avec Pie IX, je n'aurais pas besoin de m'éloigner beaucoup de Clément XIV; il me suffirait de remonter à Clément XIII. Quelques lecteurs, même parmi les catholiques, vont s'étonner, peut-être; et pourtant quelle différence peut-on raisonnablement établir entre Clément XIII revendiquant le duché de Parme et Pie IX protestant contre l'occupation de Ferrare, si ce n'est que le vénérable Rezzonico fut abreuvé d'outrages par tous les souverains de l'Europe, tandis que Pie IX défend la souveraineté du Saint-Siége aux applaudissements du monde entier ? Qui, Rezzonico est sorti de son T. XX. 10 OCT. 1847. 7° LIVR.

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magnifique tombeau, illustré par le génie et la reconnaissance de Canova; il en est sorti tout aussi saint, mais plus jeune, plus actif, plus intelligent, plus amiable; il a reparu au milieu des trônes ébranlés et abattus de ceux qui avaient cru fonder à tout jamais leur pouvoir absolu sur les ruines de la monarchie pontificale. Rezzonico ne fut pas compris; Mastaï est adoré, parce qu'en dépit des efforts tentés pour relever les barrières de l'ancien régime il n'y a plus d'intermédiaire entre les peuples et le successeur de saint Pierre.

Clément XIII était un Pape zelante, chose odieuse aux couronnes et mal comprise des nations. Pie IX est-il un zelante, ou faut-il le ranger parmi les Pontifes dont la modération a été louée au détriment du zèle des Pie V et des Sixte-Quint? Tous les zelanti n'ont pas été des Sfondrati, de même que tous les modérés n'ont pas été des Clément XIV; et souvent la disposition conciliante de quelques Pontifes n'a pas été moins glorieuse et moins utile à l'Eglise que l'ardeur de certains autres. S'il y a des batailles de Lépante à gagner, il y a aussi des Henri IV à ramener au giron de l'orthodoxie, et les larmes dont Clément VIII arrosait les basiliques de Rome, avant de se décider à prendre confiance dans les promesses du Béarnais, ont fait tout autant pour le triomphe du Catholicisme en France que les foudres de ses prédécesseurs, à l'époque où les politiques considéraient la religion du Souverain comme une chose indifférente. Le secret du charme irrésistible de Pie IX ne consisterait-il pas dans la réunion, à un égal degré, du zèle et de la modération?

Il y a trois siècles, il s'est trouvé des hommes dans l'Eglise qui ont cru que le zèle intrépide des apôtres et l'austérité des cénobites pouvaient s'allier avec la connaissance du monde et l'intelligence des conditions suivant lesquelles se développent la civilisation et la science. C'est ce double aspect que, la première, après les illusions de la Renaissance, la Société de Jésus a cherché à réaliser; le jour où une aussi grande pensée se transfigure dans la personne du souverain Pontife, ce jour doit-il être celui de la destruction de l'Ordre précurseur? Mais à qui adresserais-je une pareille question? Je n'en attendrais pas la réponse de la bouche de M. Gioberti, et je m'en rapporte à Pie IX,

Ch. LENORMANT.

DE LA SUPPRESSION

DES TOURS D'ENFANTS TROUVÉS

ET DES AUTRES MOYENS A EMPLOYER

POUR LA DIMINUTION DU NOMBRE DES EXPOSITIONS.

(Deuxième et dernier article1.)

Le précédent article a été consacré à examiner les moyens matériels, en quelque sorte, qui paraissent devoir conduire à la diminution du nombre des enfants trouvés; mais on se ferait illusion si on pensait que des mesures semblables, ou d'autres mieux combinées encore, apporteront à elles seules un notable changement dans le chiffre des expositions, et qu'en rendant les abandons plus difficiles elles rendront plus morales par là même les classes nombreuses qui déposent leurs enfants aux hospices. Les facilités matérielles qu'on offre au vice contribuent plus puissamment à le propager que les difficultés matérielles qu'on lui oppose ne parviennent à l'arrêter. Ce n'est pas par des moyens de police administrative qu'on régénère un peuple; c'est par des institutions sages, combinées avec les secours de la religion. Cet ordre d'idées nécessite quelques développements qui feront le sujet de ce second article.

Nul doute d'abord que le nombre des enfants trouvés ne dépende pour la plus grande partie de celui des naissances illégitimes. Pour restreindre le premier, il faut arriver à restreindre le second.

Au premier rang des remèdes indiqués se place évidemment la diffusion plus grande des idées religieuses. Créons, s'il est possible, dans toute la France, un peuple chrétien et chaste comme le peuple

Voir le Correspondant, t. XIX, p. 674.

breton, qui fréquente les églises au lieu des spectacles, qui prie, qui se confesse, qui communie, et bientôt les administrations publiques n'auront plus à s'effrayer du débordement des enfants trouvés. Pour y parvenir, les catholiques ne doivent reculer devant aucun des moyens en leur pouvoir: qu'ils multiplient les églises, les salles d'asiles, les écoles, partout où l'insuffisance s'en fait sentir; qu'ils ajoutent à l'aumône de leur argent l'aumône de leur temps, de leur zèle, de leur prosélytisme, et la France leur devra un bienfait de plus.

Mais ce moyen, dont le succès n'est pas douteux, est lent et indirect. Des procédés plus prompts et plus topiques doivent être mis en

œuvre.

L'un des plus efficaces, sans contredit, est l'extension de ces sociétés charitables et profondément catholiques qui, sous le patronage et l'invocation de saint François Régis, réhabilitent les unions illégitimes et aplanissent pour les pauvres encore honnêtes l'accès du mariage qui leur est souvent si difficile. Le gouvernement a fait beaucoup pour elles en dispensant des frais de timbre et d'enregistrement les actes relatifs au mariage des indigents; mais il reste encore bien à faire pour étendre sur toute la France le réseau bienfaisant de ces sociétés, et c'est à la charité privée que reviennent l'honneur et le fardeau de cette tâche.

Des hommes éminents ont soutenu, il est vrai, que le Code civil n'exige pas de formalités assez gênantes pour diminuer le nombre des mariages, et influer par conséquent sur les deux chiffres corrélatifs des enfants naturels et des enfants abandonnés. Mais cette opinion ne peut se soutenir en présence des faits; et quand même il serait exact de dire que la loi française n'a pas été parfois trop minutieuse, il suffit de l'attention la plus légère pour se convaincre que, livrés à leurs seules lumières, les pauvres, les ouvriers sont quelquefois dans l'impossibilité absolue de se marier, et que fréquemment ils éprouvent des difficultés qu'ils pourraient surmonter à force de patience, mais qui lassent leur bonne volonté peu persévérante et peu éclairée. Que se passe-t-il en effet?

Un couple se présente à la mairie et déclare vouloir se marier. Le maire, en parcourant les papiers, s'aperçoit que l'acte du décès du père de l'un des futurs manque, et il refuse de passer outre. Mais le futur ne sait pas au juste si son père est mort; il s'est adressé au maire de la

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