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Astre des nuits, écoute mes accens!
O souvenir qui me poursuit encore!
Tous les bergers, dans la saison de Flore,
Se rassemblaient sur les gazons naissans.
Delphis parut; tu sais, lune brillante,
Qu'un beau duvet lui couvrait le menton,
Qu'il effaçait ta rougeur éclatante,
Lorsque tu suis la marche triomphante
Du fier lutteur couronné d'un feston.
Comme j'aimai, quand je vis le perfide!
De son regard mon esprit fut troublé :
Je frissonnai; je transis; je brûlai....
Que m'importait cette fête insipide?
Je ne sais plus les discours que je tins,
Ce que je fis, ni comment je revins.

Dans ma douleur, à quels dieux, à quels charmes,
Pour me guérir, n'avais-je point recours!
Tout était vain! le Temps suivait son cours,
Sans apporter de remède à mes larmes.
Un jour, hélas! je le revis enfin,

Cet enchanteur aussi doux qu'inhumain !
Dieux! que devins-je ? une ardeur dévorante,
A son aspect, courut par-tout mon corps:
Je soupirais; ma voix faible et mourante
Se dissipait en impuissans efforts :
Et le cruel, portant sur moi la vue,
La détourna, rougit d'un air charmant,
A son côté me plaça tout émue,

Puis me parla comme parle un amant.
Je l'écoutais; j'étais simple, ingénue;
J'aimais en lui jusqu'au son de sa voix :
Sur tous mes sens il régnait à la fois.
Il dit un mot, et je fus convaincue.
Il prit ma main tremblante de frayeur,
Et m'attira sur le bord de ma couche.
Son cœur alors battit contre mon cœur ;
Sa bouche en feu s'imprima sur ma bouche.
Qu'ajouterai-je?... il combla mon malheur :
Et maintenant j'apprends qu'il est trompeur,
Qu'il a changé, qu'un autre amour le touche !
Nise l'assure; elle est digne de foi :
Elle l'a vu, sur des portes heureuses,
Suspendre ailleurs des guirlandes nombreuses,
Et ses bouquets n'arrivent plus à moi!
O chaste lune! et vous, astres paisibles
Dont les clartés accompagnent la nuit!
Plaignez mes maux, si vous êtes sensibles,
Et ramenez l'inconstant qui me fuit.

On ne trouve point ces grands mouvemens des passions dans les Idylles de Bion et de Moschus; mais elles sont pleines d'esprit, de grâce et de délicatesse. Une des plus jolies pièces de Moschus est cette prière à l'étoile du soir :

O Vesper! étoile dorée

De la Déesse des Amours!
Flambeau de la nuit azurée !
Toi qui fais pâlir, dans ton cours,
Les feux tremblans de l'Empirée !
Ma jeune maîtresse m'attend;
Et Diane, dans sa carrière,
Ne doit se montrer qu'un instant.
Prête-moi ta douce lumière !
Je ne vais point faire un larcin,
Ni porter ma coupable main
Sur le voyageur solitaire ;

Mais j'aime, et la nature entière

Doit favoriser mon destin.

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moins gracieuse.

Un jour, dans le fond d'un bocage,
Un enfant chassait aux oiseaux :
L'Amour, volant sous le feuillage,
Se trouva pris dans les réseaux.

Ah! dit l'enfant, la belle proie!
Jamais il n'avait vu l'Amour.
Il allait, palpitant de joie,

Fondre sur lui comme un vautour.

L'Amour rompt le piége, et s'envole.
L'enfant pleurait. Un vieux berger

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Prit, en souriant, la parole;
Il connaissait ce dieu léger:

Jeune imprudent, bénis sa fuite!
Tu risquais tout à l'approcher.
Le perfide aujourd'hui t'évite;
Bientôt il viendra te chercher.

La simplicité et la naïveté sont inséparables du genre pastoral. Sans doute le style doit être plus élevé que celui des bergers; mais que l'on se figure des bergers de l'âge d'or, et que l'on écrive à-peu-près comme ils auraient parlé.

Le style de l'Idylle et de l'Eglogue est celui de la nature; il se nourrit d'images. Les bergers attachent leurs idées et leurs expressions aux circonstances qui leur sont accoutumées. Dans le langage le plus familier les habitans des campagnes expriment le retour du printemps ou l'arrivée de l'automne par la chute et le retour des feuilles. Il en est ainsi de la plupart de leurs locutions. C'est surtout dans la poésie qu'on peut les transporter avec succès. Il ne faut pas non plus, comme dit

Boileau, présenter de basses circonstances ; il ne faut prendre de la vie champêtre que son calme, sa douceur, et ceux de ses travaux qui n'ont rien de grossier.

Les modernes ont eu dans la poésie pastorale moins de succès que les anciens, soit parce

que la nature n'en avait pas mis le modèle si près d'eux, soit parce que les écrivains qui s'y sont exercés avaient moins de talent poétique; cependant Segrais (1), madame Deshoulières (2), Fontenelle (3), Berquin (4), Léonard (5) s'y sont distingués.

(1) Segrais (Jean-Regnauld), né à Caen en 1624, y mourut en 1701, de l'Académie Française.

(2) Deshoulières (Antoinette du Ligier de la Garde), naquit à Paris en 1638, et y mourut le 17 février 1694.

(3) Fontenelle (Bernard Bouvier de), né à Rouen le 11 février 1657, mort à Paris doyen de l'Académie Française, le 9 janvier 1757.

(4) Berquin, né à Bordeaux, mort à Paris le 21 décembre 1791

(5) Léonard (Nicolas-Germain), né à la Guadeloupe en 1744, mort à Nantes le 26 janvier 1793.

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