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L'œil fixé tristement sur l'onde fugitive,
Du bateau de Daphnis attendait le retour.
Qu'il tarde, mon amant! Daphnis! s'écriait-elle;
Et la sensible Philomèle

Se taisait, attentive aux vœux de son amour.
Cruel!... mais tout-à-coup, dans ce vaste silence,
Ne crois-je pas entendre?... Ecoutons... oui, c'est lui.
Il vient... Dieux!... trompeuse espérance!
Et pourquoi, flots menteurs, irriter mon ennui?
N'est-ce donc pas assez du tourment de l'absence?
Mais si quelque autre, hélas !... Loin d'ici, noirs soupçons!
Il m'aime... Oui, maintenant il court vers le rivage.
Amour, devant ses pas entr'ouvre les buissons:
Bienfaisante Phébé, répands sur son passage
La paisible lueur de tes pâles rayons.

Oh! lorsque sur le bord je le verrai descendre,
Comme j'irai me jeter dans ses bras!

Mais, cette fois, je ne m'abuse pas;

Oui, sous la rame, au loin, j'entends l'onde se fendre.
Vagues, sur votre dos portez-le mollement.

Et vous, nymphes, témoins de ma douleur extrême,
Si jamais votre cœur sentit, un seul moment,
Combien il est cruel d'attendre ce qu'on aime!....
Mais rien ne me répond. Ah, dieux! combien de fois,
Dans mon espérance trahie...

Elle ne put finir. D'un froid mortel saisie,
Elle tombe soudain, sans couleur et sans voix.

Echos de ces roches sauvages,
Sensibles au deuil de mes chants,
Renvoyez mes tristes accens

Dans ces bois et sur ces rivages!....

Un bateau renversé flottait dans le lointain.
A travers l'épaisseur d'une nuée obscure,
Phébé, lançant à peine un rayon incertain,
Eclairait sombrement cette triste aventure.
Eglé reprit ses sens. O surprise! ô terreur!
L'écho porta dans toute la contrée
Le cri perçant de sa douleur.
Les cheveux hérissés, et la vue égarée,

Elle meurtrit son sein. De sourds et longs sanglots
Etouffent sa pénible haleine :
Mourante, elle s'ecrie à peine :

Daphnis, mon cher Daphnis ! et soudain, à ces mots,
Elle se plonge dans les flots.

Echos de ces roches sauvages,
Sensibles au deuil de mes chants,
Renvoyez mes tristes accens
Dans ces bois et sur ces rivages!...

Les nymphes veillaient sur ses jours. L'onde n'engloutit point cette tendre bergère. Le fleuve secourable, accélérant son cours, La pose aux bords fleuris d'une île solitaire.

Son berger à la nage avait gagné ces bords.
Eglé le voit, tombe pâmée;

Mais cent baisers l'ont bientôt ranimée.

Qui pourrait exprimer sa joie et ses transports?
Telle et moins tendre encore est la jeune fauvette,
Qui, s'envolant de sa prison,
Retrouve au bois son fidèle pinson.

Le malheureux! dans sa douleur muette,
Il languissait sous un épais buisson.
Elle vole vers lui. Cent caresses nouvelles
De leurs jeunes amours ont réveillé l'ardeur;
Ils unissent leurs becs, ils enlacent leurs ailes :
Ils sont heureux, et chantent leur bonheur !

Echos de ces rochers sauvages,
Oubliez le deuil de mes chants,
Et portez mes joyeux accens

Dans ces bois et sur ces rivages!....

BERQUIN,

LE RUISSEAU.

RUISSEAU, nous paraissons avoir un même sort

D'un cours précipité nous allons l'un et l'autre,
Vous à la mer, nous à la mort.

Mais, hélas ! que d'ailleurs je vois peu de rapport

Entre votre course et la nôtre !

Vous vous abandonnez sans remords, sans terreur,
A votre pente naturelle ;

Point de loi parmi vous ne la rend criminelle.
La vieillesse chez vous n'a rien qui fasse horreur:
Près de la fin de votre course

Vous êtes plus fort et plus beau

Que vous n'êtes à votre source;

Vous retrouvez toujours quelque agrément nouveau.
Si de ces paisibles bocages

La fraîcheur de vos eaux augmente les appas,
Votre bienfait ne se perd pas;

Par de délicieux ombrages

Ils embellissent vos rivages.

Sur un sable brillant, entre des prés fleuris,
Coule votre onde toujours pure :

Mille et mille poissons, dans votre sein nourris,
Ne vous attirent point de chagrins, de mépris.
Avec tant de bonheur d'où vient votre murmure?
Hélas! votre sort est si doux!

Taisez-vous, ruisseau;

c'est à nous

A nous plaindre de la nature.

De tant de passions que nourrit notre cœur,
Apprenez qu'il n'en est pas une

Qui ne traîne après soi le trouble, la douleur,
Le repentir ou l'infortune:

Elles déchirent nuit et jour

Les cœurs dont elles sont maîtresses.

Mais de ces fatales faiblesses

La plus à craindre, c'est l'amour;

Ses douceurs même sont cruelles :

Elles font cependant l'objet de tous les vœux ;
Tous les autres plaisirs ne touchent point sans elles.
Mais des plus forts liens le temps use les nœuds,
Et le cœur le plus amoureux

Devient tranquille, ou passe à des amours nouvelles.
Ruisseau, que vous êtes heureux!

Il n'est point parmi vous de ruisseaux infidèles !
Lorsque les ordres absolus

De l'Être indépendant qui gouverne le monde

Font qu'un autre ruisseau se mêle avec votre onde, Quand vous êtes unis vous ne vous quittez plus.

A ce que vous voulez jamais il ne s'oppose :

Dans votre sein il cherche à s'abîmer;

Vous et lui jusques à la mer

Vous n'êtes qu'une même chose.

De toutes sortes d'unions

Que notre vie est éloignée !

De trahisons, d'horreurs et de dissentions,
Elle est toujours accompagnée.
Qu'avez-vous mérité, ruisseau tranquille et doux,
Pour être mieux traité que nous ?

Qu'on ne me vante point ces biens imaginaires,
Ces prérogatives, ces droits

Qu'inventa notre orgueil pour masquer nos misères:
C'est lui seul qui nous dit que, par un juste choix,

Id. et Egl.

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