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Y rendre le salut à l'habitant champêtre ;
Y causer doucement avec ce bon curé,

Qui, très-chrétien, très-peu lettré,
N'aspirant point du tout à l'être,
Saintement occupé de ses devoirs touchans,
Pour prix de ses vertus, n'a jamais su peut-être
Qu'on fit de méchans vers, et qu'il fût des méchans!
Au hameau, cher deLeyre, heureux qui, loin du monde,
Entre sa femme et ses enfans,

Dans le sein de la paix, voit s'écouler ses ans,
Comme ce ruisseau pur y voit couler son onde!
Du pied de la cabane, elle va, sans fierté,
Traversant un séjour du Silence habité,
De ces chastes déserts, humble et fidèle amante,
Y consacrer ses flots, et baigner dans sa pente
Le lis de la virginité.

Avec moi, cher ami, suis sa route tranquille,
Quand libre, et serpentant sous la feuille mobile
De ces longs peupliers qui tremblent dans les airs,
Elle va s'égarer dans des prés toujours verts;
Appelant sur ses pas la douce Rêverie,

Les romans de la bergerie,

Et le plaisir plus doux d'y soupirer des vers.
Mais cesse de la voir, quand sur la triste arêne
Elle va pour jamais se perdre dans la Seine,
Arrivant à la fin, comme nous, au tombeau.
A la mélancolie enclin dès le berceau,

Sans cesse, avec tes mœurs, ce monde incompatible
N'a que trop affligé ton cœur noble et sensible.
Occupe tes regards d'un plus riant tableau :
Parcours, Virgile en main, ce charmant paysage;
Entends sur les cailloux gazouiller le ruisseau;
Vois ces champs, vois ces prés,vois ce rustique ombrage;
Regarde tes enfans, et souris à leurs jeux :

Vois leur mère empressée à prévenir tes vœux;

Par sagesse, en un mot, s'il se peut, sois moins sage: Jusque dans la vertu l'excès est dangereux.

Nous aimons les bergers; ami, vivons comme eux : Le bonheur ne veut point de sentiment extrême; Goûte enfin sa douceur; pour la goûter moi-même, J'ai besoin de te voir heureux.

DUCIS.

LE RUISSEAU DE NÉRONDE.

Loin des sombres complots de tant d'ambitieux,
Avides du pouvoir qui les rend malheureux,
Qu'il est doux de revoir l'ombrage,
De quitter les cités, leurs cercles orageux

Pour ces bois, ces prés, ce rivage,

Pour gravir à pas lents sur ces monts sourcilleux!

C'est toi surtout, ruisseau, que j'aime :

Celui qui se plaît sur tes bords

Coule ses jours en paix, et ses nuits sans remords. Pour lui l'art d'être heureux n'est pas un vain système;

Il ne trouble point l'univers;

Solitaire par goût, peu connu par sagesse,
Tantôt sa voix fait retentir les airs

Des romances qu'Amour dicta dans son ivresse ;
Tantôt l'écho répète au loin ces vers

Que modula jadis la lyre de Lucrèce.

Que je me trouve heureux d'être au sein du repos
Lorsque sous l'éclair et l'orage

Je vois de pâles matelots,
Dont le navire a fait naufrage,
Nager, frémir, prendre courage,
Tomber, engloutis par les flots!
Dans son asile ainsi le sage

Contemple les partis à se nuire empressés,
Victimes d'une aveugle rage,

Rouler dans le néant, l'un sur l'autre entassés.
Pour braver les écueils et les vents courroucés,

Ami, ne quitte point ton modeste héritage;
L'aspect des maux d'autrui t'apprend qu'il faut les fuir ;
Et dans les troubles de notre âge

C'est l'absence des maux qu'on doit nommer plaisir.

Qui foule ta modeste rive,

Ruisseau, n'a pas besoin de ces plaisirs trompeurs

Précédés d'un vain bruit, accompagnés d'erreurs ;

Sur tes gazons sa mémoire naïve

Apporte à son esprit des tableaux enchanteurs,
Et la pensée errante, fugitive.

Peu de désirs, point de pouvoir
Eloignent toute inquiétude :
Il sait goûter la solitude;

Sans prétendre à trop de savoir,
Il mêle aux doux loisirs les livres et l'étude :
Contente du présent, heureuse par l'espoir,
Sans ivresse son âme pure

Ne jouit pas des fleurs, des fruits, de la verdure,
Du calme du matin, de la fraîcheur du soir,
Des troupeaux bondissans, des soins de la culture,
Du spectacle de la nature,
Ravissant pour qui sait le voir.

On voit ici s'avancer, disparaître
Un petit flot chassé par le flot qui le suit ;
Ainsi l'enfant qui vient de naître
Pousse vers le néant son père qui s'enfuit ;
Ainsi, dans leur course rapide,

Le bien succède au mal, aux vérités l'erreur,
Les états aux états, et la guerre homicide
Aux jours de calme et de bonheur.

Vous qui croyez fixer la Renommée
A vos projets, à vos travaux,

Qui poursuivez sans cesse une vaine fumée,
De frivoles honneurs payés par tant de maux,
Faibles mortels, sur la scène du monde
Votre souvenir vague à l'instant s'obscurcit;
Et votre nom bientôt y fera moins de bruit
Que le murmure de cette onde.

Toujours tranquille, elle enrichit ses bords
D'un tribut renaissant et d'odorans trésors;
Ce sont des fleurs, charme de la prairie.
Ainsi l'écrivain vertueux

S'empresse chaque jour d'enrichir sa patrie
Des fleurs de ses loisirs, des fruits de son génie.

Tantôt ce flot silencieux

S'enfuit sous l'épaisseur des rochers, du feuillage;
Tantôt, dans son cours plus heureux,

Il brille aux rayons purs d'un soleil sans nuage.
Ainsi j'ai vu passer les jours de mon jeune âge,
Et tour à tour s'évanouir,

A l'ombre des chagrins, dans le sein de l'orage,
L'espoir vain de la gloire, ou l'éclair du plaisir.
Ornez toujours ces champs, cascades solitaires;
Urnes paisibles des ruisseaux,

Donnez la vie aux jeunes arbrisseaux: Qu'à jamais vos vapeurs douces et salutaires Rendent au cœur de l'homme un bienfaisant repos, Calment des passions les feux involontaires,

Ou le consolent de leurs maux!

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