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LA JOURNÉE DE L'ERMITAGE.

Beatus ille qui procul negotiis.... HOR.

J

'HABITE SOUS un toit rustique,
Des ans et des vents respecté,
Et couvert d'un tilleul antique
Que mes bons aïeux ont planté.

Ma demeure n'est pas brillante;
Mais je trouve dans ma maison
Le frais dans la saison brûlante,
Le chaud dans la froide saison.

Du nectar et de l'ambroisie
J'ignore le charme enchanteur;
Mais j'ai ce qu'il faut pour la vie,
Et peut-être pour le bonheur.

Enfin j'habite une chaumière;
Mais je trouve dans mon réduit
Gaîté tant que le jour m'éclaire,
Repos tant que dure la nuit.

De mon lit j'aperçois l'Aurore
S'éveiller et sourire aux cieux;
Mes rideaux blancs, qu'elle colore,
Se teignent de pourpre à mes yeux.

Près de mon asile champêtre,
Un parterre de mille fleurs
Etend le long de ma fenêtre
Un tapis de mille couleurs.

De ses fleurs récemment écloses
Zéphire m'apporte l'odeur;

Je ne respire que

fraîcheur;

Je ne respire que des roses.

A déjeûner je prends le lait
Qu'une jeune Io me procure :
Simple et frugale nourriture!
Mais c'est Claudine qui le trait.

Claudine est blonde, jeune et belle; Toujours elle chante, elle rit; Claudine n'a pas grand esprit ;

Mais ses yeux bleus en ont pour elle.

Elle touche à cet heureux temps
Où l'on aime si bien la vie;
C'est une rose que seize ans
N'ont pas encore épanouie.

Claudine éveille le désir;

Claudine.... chut! muse indiscrète;

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L'œillet, la rose, l'oranger,
La vigne, la simple fougère,
Le petit bosquet, le verger,
Tout reçoit un coup-d'œil de père.

Je vais, par un soin amusant
Qui du temps passé me console,
Epier si le fruit naissant

Paraît sous la fleur qui s'envole.

Satisfait de voir qu'à mes yeux
Tout rit et promet l'abondance,
Je réfléchis sur l'espérance,
Et je m'en retourne joyeux.

Repas simple, mais délectable,
Qu'assaisonne la Liberté,
Appelle bientôt à ma table

Trois convives pleins de gaîté,

Félicité rare et divine!

Malgré ma médiocrité,

Trois amis ne m'ont pas quitté,
Bacchus, l'Amour et ma Claudine.

Après-midi, quand la chaleur
Du Zéphire a tiédi l'haleine,
Près du bassin de ma fontaine
Je vais respirer la fraîcheur.

C'est là qu'une onde caressante,
Qui sort en fuyant du rocher,
M'offre sur la mousse naissante
Le repos que j'y viens chercher.

Avant que son gentil murmure
Dans le sommeil plonge mes sens,
Je jette des yeux languissans
Sur les charmes de la Nature.

Bientôt mon œil plus assuré
S'élève aux cieux; il les mesure,
Et parcourt ce dôme azuré
Qui couronne un lit de verdure,

Déjà mes regards échappés
Percent au séjour du tonnerre;
Mais trop d'éclat les a frappés ;
Ils redescendent sur la terre.

Id. et Egl

14

J'y vois les détours du ruisseau
Que forme l'eau de ma fontaine,
Et qui se perd sous le berceau
D'une caverne souterraine.

(

C'est là qu'une foule d'échos,
Hôtes de la grotte profonde,
Répètent le chant des oiseaux,
Et le gazouillement de l'onde.

Cette eau, qui fuit loin de ces bords
M'inspire un peu de rêverie;

Je pense au cours de notre vie,
Je soupire, puis je m'endors.

Dans le tourbillon d'un doux songe Mes yeux ont vu mille beautés; Mais ce n'était pas un mensonge, Claudine était à mes côtés.

Je m'éveille, et la vois sourire : Quel feu soudain vient m'embraser! J'ai mille choses à lui dire;

Mais la première est un baiser.

L'ombre de la forêt voisine,
Avant-courrière de la Nuit,
En s'alongeant vers mon réduit,
Me dit d'y ramener Claudine.

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