Je t'ai de père en fils; songe encore sous moi O Charles! grand pasteur, ornement de notre âge, Hâte-toi d'aller voir ton fertile héritage; Environne tes champs, et compte tes taureaux, Sur nos fuseaux d'airain a pour toi dévidé. Durant ton nouveau règne, avant que l'âge tendre Laisse autour de ta lèvre un crêpe d'or épandre, L'Ambition, l'Erreur, la Guerre, le Discord, Par les peuples courront, images de la Mort: On fera, pour tenir les villes assurées, Des fossés, des remparts, des ceintures murées; Et l'horrible canon, par le soufre animé, Vomira de sa bouche un tonnerre allumé. On fera des rateaux, des poignantes épées; Les faucilles seront en lames détrempées; L'aventureux nocher, d'avarice conduit, Ira voir sous nos pieds l'autre pôle qui luit. Mais sitôt que les ans, en croissant, t'auront fait, En lieu d'un jouvenceau, homme entier et parfait (1), Lors la Guerre mourra, les harnois et les armes; Les procès finiront, les plaintes et les larmes ; Et tout ce qui dépend du vieux siècle ferré, Fuira, cédant la place au bel âge doré. Les pins, vieux compagnons des plus hautes montagnes, Le miel distillera de l'écorce des chênes, (1) On trouve ici quatre vers masculins de suite. Ce ne peut être qu'une erreur; car nous ne l'avons remarqué qu'une seule fois dans eette églogue, qui a 174 vers. Ronsard avait déjà senti l'harmonie qui résulte de l'heureux mélange des rimes masculines et féminines. De pourpre l'agnelet; et la barbe des chèvres Bref, tout sera changé; et le monde, difforme Ainsi, sur ton berceau, ces trois Parques chenues Chantaient, qui tout soudain volèrent dans les nues; Et alors les pasteurs, en l'écorce des bois, Gravèrent leur chanson, afin que tous les mois Aux flûtes des bergers elle fût accordée, Et parmi les forêts dans les arbres gardée. UN AUTRE BERGER. Que faites-vous ici, bergers, qui surmontez Et tous vos bons patrons vous honorent et prisent; Etant également les chers mignons des dieux. Là-bas sont deux bergers, qui, dessus une roche, Vont dire une chanson dont Tytire n'approche. Maintenant, en cherchant mon bélier écarté, Je les ai vus tous deux en l'antre déserté, Qui ont déjà la flûte à la lèvre, pour dire Je ne sais quoi de grand, qu'Apollon leur inspire. Venez donc les ouïr, sans disputer en vain; En réfléchissant sur les noms d'Orléantin Angelot, Navarrin et Guisin, il est facile de voir que cette églogue n'est autre chose qu'un conseil donné aux princes de ce temps sous une forme allégorique. La plupart des églogues de Ronsard n'ont pas d'autre but; c'est pourquoi il donnait presque toujours à ses héros champêtres des noms qui se rattachaient à ceux des plus grands personnages des cours sous lesquelles il a vécu. Henri II était désigné sous le nom d'Henriot; Charles IX, sous celui de Carlin; Catherine de Médicis, sous celui de Catin, etc. La pièce que l'on va lire serait aujourd'hui beaucoup plus considérée comme une élégie que comme une églogue : elle en a le caractère autant par le motif qui lui a donné lieu, que par la douleur et la sensibilité qui la distinguent. ÉGLOGUE SUR LA MORT DE MARGUERITE DE FRANCE. COMME les herbes fleuries Sont les honneurs des prairies, Et des prés les ruisselets, De l'orme la vigne aimée, Des champs les blés nouvelets: |