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Je t'ai de père en fils; songe encore sous moi
A régir les troupeaux de Charles, notre roi.

O Charles! grand pasteur, ornement de notre âge, Hâte-toi d'aller voir ton fertile héritage;

Environne tes champs, et compte tes taureaux,
Et entends désormais les vœux des pastoureaux.
On dit, quand tu naquis, que les Parques fatales,
Ayant fuseaux égaux et quenouilles égales,
Et non pas le filet, et la trame qui est
De diverse façon, tout ainsi qu'il leur plaît,
Jetant sur ton berceau, à pleines mains décloses,
Des œillets et des lis, du safran et des roses,
Commencèrent ainsi : Charles, qui dois venir
Au monde pour le monde en repos maintenir,
Et qui par le destin en France devais naître
Pour être des grands rois le seigneur et le maître,
Entends ce que Thémis, au visage ridé,

Sur nos fuseaux d'airain a pour toi dévidé.

Durant ton nouveau règne, avant que l'âge tendre Laisse autour de ta lèvre un crêpe d'or épandre, L'Ambition, l'Erreur, la Guerre, le Discord, Par les peuples courront, images de la Mort: On fera, pour tenir les villes assurées, Des fossés, des remparts, des ceintures murées; Et l'horrible canon, par le soufre animé, Vomira de sa bouche un tonnerre allumé. On fera des rateaux, des poignantes épées; Les faucilles seront en lames détrempées;

L'aventureux nocher, d'avarice conduit,

Ira voir sous nos pieds l'autre pôle qui luit.

Mais sitôt que les ans, en croissant, t'auront fait, En lieu d'un jouvenceau, homme entier et parfait (1), Lors la Guerre mourra, les harnois et les armes; Les procès finiront, les plaintes et les larmes ; Et tout ce qui dépend du vieux siècle ferré, Fuira, cédant la place au bel âge doré.

Les pins, vieux compagnons des plus hautes montagnes,
En navires creusés, ne verront les campagnes
De Neptune venteux : car, sans voguer si loin,
La terre produira toute chose sans soin,
Mère qui ne sera, comme devant, ferrue,
De rateaux aiguisés, ni de soc de charrue :
Car dès-lors sans taureanx, sous le joug mugissans,
Les champs seront féconds, et de blé jaunissans ;
Les moissons n'auront peur des faucilles voûtées,
Ni l'arbre de Bacchus des serpettes dentées :
Car toujours, par les prés, l'ondoyant ruisselet
Ira coulant de vin, de nectar et de lait.

Le miel distillera de l'écorce des chênes,
Et les roses croîtront sur les branches des frènes :
Le bélier, en paissant au milieu d'un pré vert,
Se verra tout le dos d'écarlate couvert,

(1) On trouve ici quatre vers masculins de suite. Ce ne peut être qu'une erreur; car nous ne l'avons remarqué qu'une seule fois dans eette églogue, qui a 174 vers. Ronsard avait déjà senti l'harmonie qui résulte de l'heureux mélange des rimes masculines et féminines.

De pourpre l'agnelet; et la barbe des chèvres
Deviendra fine soie à l'entour de leurs lèvres :
Les cornes des taureaux, de perles, et encor
Le rude poil des boucs jaunira de fin or.

Bref, tout sera changé; et le monde, difforme
Des vices d'aujourd'hui, prendra nouvelle forme
Dessous toi, qui croîtras pour avoir ce bonheur,
O prince bienheureux d'être son gouverneur.

Ainsi, sur ton berceau, ces trois Parques chenues Chantaient, qui tout soudain volèrent dans les nues; Et alors les pasteurs, en l'écorce des bois, Gravèrent leur chanson, afin que tous les mois Aux flûtes des bergers elle fût accordée, Et parmi les forêts dans les arbres gardée.

UN AUTRE BERGER.

Que faites-vous ici, bergers, qui surmontez
Les rossignols d'avril, quand d'accord vous chantez?
Apollon et Pallas et Pan vous favorisent,

Et tous vos bons patrons vous honorent et prisent;
Ensemble partagez le prix victorieux,

Etant également les chers mignons des dieux.

Là-bas sont deux bergers, qui, dessus une roche, Vont dire une chanson dont Tytire n'approche. Maintenant, en cherchant mon bélier écarté, Je les ai vus tous deux en l'antre déserté, Qui ont déjà la flûte à la lèvre, pour dire

Je ne sais quoi de grand, qu'Apollon leur inspire.

Venez donc les ouïr, sans disputer en vain;
Otez de vos flageols et la bouche et la main :
Vous êtes tous unis d'amitié mutuelle;
Puis la paix entre vous vaut mieux que la querelle.

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En réfléchissant sur les noms d'Orléantin Angelot, Navarrin et Guisin, il est facile de voir que cette églogue n'est autre chose qu'un conseil donné aux princes de ce temps sous une forme allégorique. La plupart des églogues de Ronsard n'ont pas d'autre but; c'est pourquoi il donnait presque toujours à ses héros champêtres des noms qui se rattachaient à ceux des plus grands personnages des cours sous lesquelles il a vécu. Henri II était désigné sous le nom d'Henriot; Charles IX, sous celui de Carlin; Catherine de Médicis, sous celui de Catin, etc.

La pièce que l'on va lire serait aujourd'hui beaucoup plus considérée comme une élégie que comme une églogue : elle en a le caractère autant par le motif qui lui a donné lieu, que par la douleur et la sensibilité qui la distinguent.

ÉGLOGUE

SUR LA MORT

DE MARGUERITE DE FRANCE.

COMME les herbes fleuries

Sont les honneurs des prairies,

Et des prés les ruisselets,

De l'orme la vigne aimée,
Des bocages la ramée,

Des champs les blés nouvelets:
Ainsi tu fus, ô princesse!
(Ainçois plutôt, ô déesse!)
Tu fus la perle et l'honneur
Des princesses de notre âge,
Soit en splendeur de lignage,
Soit en biens, soit en bonheur.
Il ne faut point qu'on te fasse
Un sépulcre qui embrasse
Mille thermes en un rond,
Pompeux d'ouvrages antiques,
Et brave en piliers doriques,
Élevés à double front.

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