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Plus triste et plus chagrin que le temps où nous sommes
J'évite également l'abord de tous les hommes;
Les lieux les plus déserts me semblent les plus doux;
Je ne veux entretien que de penser à vous;
Et, soit que je m'arrête aux grâces naturelles
Qui vous font estimer un miracle des belles,
Celles dont vous marchez, celles dont vous parlez,
De combien de douceurs vos refus sont mêlés!
Ou que, pensant plus haut, ma raison étonnée
Admire les beautés dont votre âme est ornée,
Je n'y trouve qu'appas dont mon cœur se repaît;
Même de vos rigueurs le souvenir me plaît.
Combien j'ai désiré, bel astre que j'adore,
De payer le bonheur de vous revoir encore
Des maux les plus cruels et les plus rigoureux
Dont Amour puisse rendre un esprit malheureux!
Qu'alors que tous mes soins tâcheront de vous plaire,
Vous ne me puissiez voir sans haine ou sans colère;
Qu'aucun de mes desseins ne puisse réussir;
Que jamais votre cœur ne se veuille adoucir;
Qu'il me refuse tout: pourvu que je vous voie,
Je penserai jouir du comble de ma joie.
Ainsi parlait Arcas durant cette saison

Qui retient au foyer tout le monde en prison,
Plaignant moins toutefois, en ce commun supplice,
L'absence du beau temps que celle d'Artenice.

RACAN.

CLIMENE.

A M. LE MARQUIS DE MONTAUZIER,

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IRCIS mourait d'amour pour la belle Climène,
Sans que d'aucun espoir il pût flatter sa peine :
Ce berger, accablé de son mortel ennui,

Ne se plaisait qu'aux lieux aussi tristes que lui:
Errant à la merci de ses inquiétudes,
Sa douleur l'entraînait aux noires solitudes;
Et des tendres accens de sa mourante voix
Il faisait retentir les rochers et les bois.

Climène, disait-il, ô trop belle Climène,
Vous surpassez autant les nymphes de la Seine
Que ces chênes hautains et si verts et si beaux
Des humides marais surpassent les roseaux!
Votre divin esprit, votre beauté divine

Du plus pur sang des dieux marquent votre origine,
Le Soleil qui voit tout, et qui nous fait tout voir,
N'eut jamais, tant que vous, d'éclat ni de pouvoir:
Où vous portez vos yeux, les forêts reverdissent;
Où vous disparaissez, toutes choses languissent;
Les fleurs ne peuvent naître ailleurs que sous vos pas,
Et le printemps n'est point où l'on ne vous voit pas!

Id. et Egl.

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Qui n'admire le lustre et la fraîcheur des roses,
Aux roses qu'a l'Amour sur vos lèvres écloses?
Où peut-on voir, qu'en vous, ces œillets et ces lis,
Qui paraissent toujours nouvellement cueillis?
Mais, plus ces doux attraits vous rendent adorable,
Plus ces attraits si doux me rendent misérable,
Si vous considérez tant de charmes divers
Comme autant de sujets de mépriser mes vers.
De votre belle bouche une seule parole

M'est ce qu'au voyageur est l'herbe fraîche et molle;
Et l'aise de vous voir est à mon cœur blessé

Ce qu'une eau claire et vive est au cerf relancé.
Jamais rien de si beau n'a paru sur la terre.
Mais toujours vos rigueurs me déclarent la guerre ;
Et ce qu'à nos troupeaux est la fureur des loups,
Ce qu'est à nos vergers l'Aquilon en courroux,
Ce qu'à nos épis mûrs est la pluie orageuse,
Telle est votre colère à mon âme amoureuse!
Je ne m'en dédis point, je n'aimerai que vous:
Mais Iris m'assurait d'un empire plus doux;
Et je me sens si las de votre tyrannie,
Que presque j'ai regret à la fière Uranie.
J'ai regret à Philis, encor qu'elle aime mieux
L'indiscret Alidor, la honte de ces lieux,
Qu'elle soit mille fois plus changeante que l'onde,
Qu'elle soit brune encore, et que vous soyez blonde.
Hélas! de vains désirs si long-temps enflammé,
Faut-il toujours aimer où l'on n'est point aimé!

Hélas! de quel espoir est ma flamme suivie,
Si, lorsque dans les pleurs je consume ma vie,
Celle pour qui je souffre un sort si rigoureux
Trouve tant de plaisir à me voir malheureux ?
En mille et mille lieux de ces rives champêtres,
J'ai gravé son beau nom sur l'écorce des hêtres ;
Sans qu'on s'en aperçoive, il croîtra chaque jour :
Hélas! sans qu'elle y songe ainsi croît mon amour!
Pour éclairer autrui comme un flambeau s'allume,
Pour en servir une autre ainsi je me consume.
Ah! si du même trait dont mon cœur est blessé...
Mais ne poursuivons point ce discours insensé :
Je serai trop heureux, belle et jeune Climène,
S'il vous plaît seulement consentir à ma peine.
N'ai-je point quelque agneau dont vous ayez désir?
Vous l'aurez aussitôt, vous n'avez qu'à choisir :
Et si Pan le défend de tout regard funeste,
Aux yeux des enchanteurs j'abandonne le reste.
Pan a soin des brebis, Pan a soin des pasteurs,
Et Pan me peut venger de toutes vos rigueurs.
Il aime, je le sais, il aime ma musette;
De mes rustiques airs aucun il ne rejette;
Et la chaste Pallas, race du roi des dieux,
A trouvé quelquefois mon chant mélodieux;
Des grandes déités Pallas la plus aimable,
La plus victorieuse, et la plus redoutable.
Par elle, sous le frais de ces jeunes ormeaux,
Je puis, quand il me plaît, enfler mes chalumeaux ;

Et je puis ne chanter que mon amour fidèle, Quoiqu'on ne dût chanter que sa gloire immortelle, Et que je doive encore à sa seule bonté

Cette délicieuse et douce oisiveté.

Sous ces feuillages verts, venez, venez m'entendre;
Si ma chanson vous plaît, je vous la veux apprendre.
Que n'eût pas fait Iris pour en apprendre autant?
Iris que j'abandonne, Iris qui m'aimait tant!
Si vous vouliez venir, ô miracle des belles,
Je vous enseignerais un nid de tourterelles :
Je vous les veux donner pour gage de ma foi,
Car on dit qu'elles sont fidèles comme moi.
Climène, il ne faut pas mépriser nos bocages;
Les dieux ont autrefois aimé nos pâturages
Et leurs divines mains, aux rivages des eaux,
Ont porté la houlette et conduit les troupeaux.
L'aimable déité qu'on adore à Cythère
Du berger Adonis se faisait la bergère.
Hélène aima Pâris, et Pâris fut berger;
Et berger on le vit les déesses juger.
Quiconque sait aimer peut devenir aimable;
Tel fut toujours d'Amour l'arrêt irrévocable.
Hélas! et pour moi seul change-t-il cette loi?
Rien n'aime moins que vous, rien n'aime tant que moi!
Généreux Montauzier, dont l'âme vigilante (
Assure le repos des bergers de Charente,
Qui des lauriers de Mars tant de fois couronné,
Des lauriers d'Apollon fais gloire d'être orné,

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