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Daigne pour un moment, sur cette fraîche rive,
Ouir de mon berger la musette plaintive.

Ainsi tout l'univers de Julie et de toi
Entende la louange et l'aime comme moi.

SEGRAIS.

ISMÈNE.

SUR la fin d'un beau jour, aux bords d'une fontaine,

Corilas sans témoins entretenait Ismène:

Elle aimait en secret, et souvent Corilas

Se plaignait de rigueurs qu'on ne lui marquait pas.
Soyez content de moi, lui disait la bergère;
Tout ce qui vient de vous est en droit de me plaire:
J'aime avec passion les airs que vous chantez,
J'aime à garder les fleurs que vous me présentez;
Si vous avez écrit mon nom sur quelque hêtre,
Aux traits de votre main j'aime à vous reconnaître.
Pourriez-vous bien encor ne vous pas croire heureux?
Mais n'ayons point d'amour; il est trop dangereux.

Je veux bien vous promettre une amitié plus tendre
Que ne serait l'amour que vous pourriez prétendre:
Nous passerons les jours dans nos doux entretiens;
Vos troupeaux me seront aussi chers
les miens;

que

Si de vos fruits pour moi vous cueillez les prémices,
Vous aurez de ces fleurs dont je fais mes délices.
Notre amitié peut-être aura l'air amoureux;
Mais n'ayons point d'amour ; il est trop dangereux.
Dieux ! disait le berger, quelle est ma récompense!
Vous ne me marquerez aucune préférence;

Avec cette amitié dont vous flattez mes maux

Vous vous plairez encore aux chants de mes rivaux !
Je ne connais que trop votre humeur complaisante!
Vous aurez avec eux la douceur qui m'enchante,
Et ces vifs agrémens, et ces souris flatteurs
Que devraient ignorer tous les autres pasteurs.
Ah! plutôt mille fois... Non, non, répondait-elle;
Ismène à vos yeux seuls voudra paraître belle.
Ces légers agrémens que vous m'avez trouvés,
Ces obligeans souris vous seront réservés :

Je n'écouterai point sans contrainte et sans peine
Les chants de vos rivaux, fussent-ils pleins d'Ismène;
Vous serez satisfait de mes rigueurs pour eux.
Mais n'ayons point d'amour; il est trop dangereux.
Eh bien! reprenait-il, ce sera mon partage
D'avoir sur mes rivaux quelque faible avantage:
Vous savez que leurs cœurs vous sont moins assurés,
Moins acquis que le mien, et vous me préférez;
Tout autre l'aurait fait : mais enfin dans l'absence
Vous n'aurez de me voir aucune impatience;
Tout vous pourra fournir un assez doux emploi,
Et vous trouverez bien la fin des jours sans moi.

Vous me connaissez mal, ou vous feignez peut-être,
Dit-elle tendrement, de ne mè pas connaître :
Croyez-moi, Corilas, je n'ai pas le bonheur
De regretter si peu ce qui flattait mon cœur;
Vous partîtes d'ici quand la moisson fut faite;
Eh! qui ne s'aperçut que j'étais inquiète?
La jalouse Doris pour me le reprocher

Parmi trente pasteurs vint exprès me chercher.
Que j'en sentis contre elle une vive colère !
On vous l'a raconté, n'en faites point mystère.
Je sais combien l'absence est un temps rigoureux;
Mais n'ayons point d'amour; il est trop dangereux.
Qu'aurait dit davantage une bergère amante?
Le mot d'amour manquait; Ismène était contente.
A peine le berger en espérait-il tant;

Mais sans le mot d'amour il n'était point content.
Enfin, pour obtenir ce mot qu'on lui refuse,
Il songe à se servir d'une innocente ruse.
Il faut vous obéir, Ismène, et dès ce jour,
Dit-il en soupirant, ne parler plus d'amour:
Puisqu'à votre repos l'amitié ne peut nuire,
A la simple amitié mon cœur va se réduire.
Mais la jeune Doris, vous n'en sauriez douter,
Si j'étais son amant, voudrait bien m'écouter:
Ses yeux m'ont dit cent fois : Corilas, quiite Ismène ;
Viens ici, Corilas; qu'un doux espoir t'amène.
Mais les yeux les plus beaux m'appelaient vainement;
J'aimais Ismène alors comme un fidèle amant.

Maintenant cet amour que votre cœur rejette,
Ces soins trop empressés, cette ardeur inquiète,
Je les porte à Doris, et je garde pour vous
Tout ce que l'amitié peut avoir de plus doux.
Vous ne me dites rien? Ismène à ce langage
Demeurait interdite, et changeait de visage.
Pour cacher sa rougeur elle voulut en vain
Se servir avec art d'un voile ou de sa main ;
Elle n'empêcha point son trouble de paraître ;
Eh! quels charmes alors le berger vit-il naître !
Corilas, lui dit-elle en détournant les yeux,
Nous devions fuir l'amour, et c'eût été le mieux;
Mais puisque l'amitié vous paraît trop paisible,
Qu'à moins que d'être amant vous êtes insensible,
Que la fidélité n'est chez vous qu'à ce prix,
Je m'expose à l'amour, et n'aimez point Doris.
FONTENELLE.

IRIS.

LA

terre, fatiguée, impuissante, inutile, Préparait à l'hiver un triomphe facile :

Le soleil, sans éclat, précipitant son cours, Rendait déjà les nuits plus longues que les jours,

Quand la bergère Iris, de mille appas ornée,
Et, malgré tant d'appas amante infortunée,
Regardant les buissons à demi dépouillés :

Vous que mes pleurs, dit-elle, ont tant de fois mouillés,
De l'Automne en courroux ressentez les outrages;
Tombez, feuilles; tombez, vous dont les noirs ombrages
Des plaisirs de Tircis faisaient la sûreté,

Et payez le chagrin que vous m'avez coûté !
Lieux toujours opposés au bonheur de ma vie,
C'est ici qu'à l'Amour je me suis asservie :
Ici j'ai vu l'ingrat qui me tient sous ses lois ;
Ici j'ai soupiré pour la première fois.

Mais tandis que pour lui je craignais mes faiblesses,
Il appelait son chien, l'accablait de caresses:
Du désordre où j'étais, loin de se prévaloir,
Le cruel ne vit rien, ou ne voulut rien voir.
Il loua mes moutons, mon habit, ma houlette :
Il m'offrit de chanter un air sur ma musette;
Il voulut m'enseigner quelle herbe va paissant,
Pour reprendre sa force un troupeau languissant ;
Ce que fait le soleil des brouillards qu'il attire.
N'avait-il rien, hélas ! de plus doux à me dire?

Depuis ce jour fatal que n'ai-je point souffert !
L'absence, la raison, l'orgueil, rien ne me sert.
J'ai de nos vieux pasteurs consulté le plus sage ;
J'ai mis tous ses conseils vainement en usage:
De victimes, d'encens j'ai fatigué les dieux;
J'ai sur d'autres bergers souvent tourné les yeux ;

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