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Mais ni le jeune Atis, ni le tendre Philène,
Les délices, l'honneur des rives de la Seine,
Dont le front fut cent fois de myrtes couronné,
Savans en l'art de vaincre un courage obstiné,
Eux que j'aidais moi-même à me rendre inconstante,
N'ont pu rompre un moment le charme qui m'enchante!
Encor serais-je heureuse en ce honteux lien,
Si, ne pouvant m'aimer, mon berger n'aimait rien;
Mais il aime à mes yeux une beauté commune :
A posséder son cœur il borne sa fortune;
C'est pour elle qu'il perd le soin de ses troupeaux ;
Pour elle seulement résonnent ses pipeaux ;
Et, loin de se lasser des faveurs qu'il a d'elle,
Sa tendresse en reprend une force nouvelle.
Bocages, de leurs feux uniques confidens,
Bocages que je hais, vous savez si je ments.
Depuis que les beaux jours, à moi seule funestes,
D'un long et triste hiver eurent chassé les restes,
Jusqu'à l'heureux débris de vos frèles beautés,
Quels jours ont-ils passés dans ces lieux écartés?
Que n'y reprochiez-vous à l'ingrat que j'adore
Que malgré ses froideurs, hélas ! je l'aime encor!
Que ne lui peigniez-vous ces mouvemens confus,
Ces tourmens, ces transports que vous avez tant vus!
Que ne lui disiez-vous, pour tenter sa tendresse,
Que je sais mieux aimer que lui, que sa maîtresse !
Mais ma raison s'égare: ah! quels soins, quels secours
Dois-je attendre de vous, qui servez leurs amours!

Les dieux à mes malheurs seront plus secourables.
L'hiver aura pour moi des rigueurs favorables :
Il approche, et déjà les fougueux aquilons,
Par leur souffle glacé, désolent nos vallons.
La neige, qui bientôt couvrira la prairie,
Retiendra les troupeaux dans chaque bergerie;
Et l'on ne verra plus, sous votre ombrage assis,
Ni l'heureuse Daphné, ni l'amoureux Tircis.

Mais, hélas ! quel espoir me flatte et me console !
Avec rapidité le Temps fuit et s'envole;

Et bientôt le printemps, à mon âme odieux,
Ramènera Tircis et Daphné dans ces lieux.

Feuilles, vous reviendrez; vous rendrez ces bois sombres:
Ils s'aimeront encor sous vos perfides ombres
Et mes vives douleurs et mes transports jaloux,
Pour mon ingrat amant, renaîtront avec vous !

M.me DESHOULIÈRES
ES.

YDALIE.

AGRÉABLES déserts, bois, fleuves et fontaines,
Qui savez de l'Amour les plaisirs et les peines,
Est-il quelque mortel, esclave de sa loi,
Qui se plaigne de lui plus justement que moi?

Je n'avais pas

douze ans, quand la première flamme Des beaux yeux d'Alcidor s'alluma dans mon âme. Il me passait d'un an, et de ses petits bras

Cueillait déjà des fruits dans les branches d'en bas;
L'amour qu'à ce berger je portais dès l'enfance,
Crût insensiblement sa douce violence;

Et jusques à tel point s'augmenta dans mon cœur,
Qu'à la fin de la place il se rendit vainqueur.
Dès-lors je prends un soin plus grand qu'à l'ordinaire
De le voir plus souvent, et tâcher à lui plaire;
Mais, ignorant le feu qui depuis me brûla,
Je ne pouvais juger d'où me venait cela.
Soit que dans la prairie il vît ses brebis paître,
Soit que sa bonne grâce au bal le fit paraître,
Ou soit que,
dans le temple, il fit prière aux dieux,
Je le suivais par-tout de l'esprit et des yeux.
A cause de mon âge et de mon innocence,

Je le voyais alors avec plus de licence;

Et souvent tous deux seuls, libres de tout soupçon,
Nous passions tout le jour à l'ombre d'un buisson :
Il m'appelait sa sœur, je l'appelais mon frère :
Nous mangions même pain au logis de mon père;
Cependant qu'il y fut nous vécûmes ainsi :

Tout ce que je voulais il le voulait aussi.

Il m'ouvrait ses pensers jusqu'au fond de son âme:
De baisers innocens il nourrissait ma flamme:
Mais dans ces privautés, dont l'amour se masquait,
Je me doutais toujours de celle qui manquait;

Et, combien que déjà l'amoureuse manie
M'augmentât le plaisir d'être en sa compagnie,
Je goûtais néanmoins avec moins de douceur
Ces noms respectueux de parente et de sœur:
Combien de fois alors ai-je dit en moi-même,
Ayant les yeux baissés et le visage blême :
Beau chef-d'œuvre des cieux, agréable pasteur,
Qui du mal que je sens êtes le seul auteur,
Avec moins de respect soyez-moi favorable;

Ne soyez point mon frère, ou soyez moins aimable !
Mais quoi! cet aveuglé ne me regarde pas !
Et quelquefois, songeant aux aimables appas
Dont une autre bergère a son âme blessée,
Me contraint de conter son amour insensée.
A l'heure mes douleurs perdent tout reconfort,
Comme si j'entendais ma sentence de mort.
Si la civilité m'oblige à lui répondre,

Je sens au premier mot mon discours se confondre;
Je ne sais que lui dire, et mon esprit troublé
Témoigne assez l'ennui dont il est accablé.
Après cet entretien, si la nuit nous sépare,
J'appréhende le mal que le lit me prépare,
Alors que mes pensers, de mon aise ennuyeux,
Défendent au sommeil d'approcher de mes yeux !
Il est vrai qu'au matin aucune fois les songes
Me déçoivent les sens par de si doux mensonges,
Qu'encore que je dusse éviter ses attraits,
Je ne puis m'empêcher d'y repenser après;

Id. et Égl.

18

Ce qui fait que ma peine est encore plus griève,
Et que je perds l'espoir d'y voir jamais de trève.
Cet aimable berger est pris en des liens
Qu'il ne quittera pas pour s'enchaîner aux miens:
La bergère Artenice a captivé son âme;
Le ciel même bénit leur amoureuse flamme,
Et, comme à la plus belle, a choisi justement
Le plus beau des bergers pour être son amant!
Moi je suis cependant réduite à me défendre
Des importunités du fàcheux Tisimandre,
Qui tout le long du jour, malgré tous mes efforts,
Ne me quitte non plus que l'ombre fait le corps....
Je pense que voilà ce pauvre téméraire

Qui rumine tout seul sa folie ordinaire :

Il ne faut dire mot; s'il entendait ma voix,
Il me viendrait chercher jusqu'au fond de ces bois.

RACAN.

TIMARETTE;

A MADEMOISELLE DE RAMBOUILLET.

Clarice:

CLARICE aime mes vers; faisons-en pour
Qui peut rien refuser au beau sang d'Artenice?

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