Images de page
PDF
ePub

Le beau nom d'Artenice a volé jusqu'aux cieux:
Le beau nom de Clarice est aimé de nos dieux:
Ses charmes sont puissans, son âme est noble et belle;
Elle a tout ce qui rend Artenice immortelle.
Justé arbitre du chant des plus fameux bergers,
Comme elle, elle est célèbre aux climats étrangers.
Doncques, ô digne sang d'une divine mère,
Soit qu'au tranquille frais d'un antre solitaire,
Le grand pasteur de l'Orne au chant si renommé (1),
Tienne vos sens ravis et votre esprit charmé;
Soit qu'aux bords émaillés d'une claire fontaine,
Vous vous plaisiez aux jeux de ce berger de Seine (2),
De ce galant berger, en qui furent toujours

Avec les jeunes Ris les folâtres Amours;
Ou que vous admiriez la céleste harmonie

Des Apollons nouveaux de la grande Ausonie (3);
Quittez pour un moment des entretiens si doux ;
Ecoutez les ennuis d'un pauvre amant jaloux ;

(1) Orne, anciennement Oulne, en latin Olena. Cette rivière prend sa source à Aunon, passe par Séez, 'Argentan, etc., et devant Caen, patrie de Malherbe, né en 1556, mort à Paris en 1628.

(2) Molière, né à Paris en 1620, mort le 17 février 1673, en achevant de jouer le Malade imaginaire.

(3) Les deux Corneille : le premier (Pierre) né à Rouen en 1606, mort à Paris le 1er octobre 1684: le second (Thomas) né à Rouen en 1625, mort aux Andelys le 8 décembre 1709.

Ecoutez les ennuis d'une aimable bergère.

Au rivage de Loing, sur la verte fougère,
Timarette aux rochers racontait ses douleurs,
Et le triste Eurilas soupirait ses malheurs:
Tous deux (dieux! que ne peut l'aveugle jalousie!)
L'un pour l'autre troublés de cette frénésie,
Abandonnaient leur âme à d'injustes soupçons,
Qu'ils faisaient même entendre en leurs douces chansons.
Echo les redisait aux nymphes du bocage;

Un vieux faune en riait dans sa grotte sauvage:
Tels sont les jeux d'Amour, disait-il, et jamais
Ces guerres ne se font qu'on n'en vienne à la paix.
Eurilas commença sur sa douce musette;

A son chant répondait la belle Timarette;
Tour à tour ils plaignaient leur amoureux souci.
La muse pastorale aime qu'on chante ainsi.

EURILA S.

Garde pour les vivans ta clarté vagabonde,

Et ne sors plus pour moi, beau Soleil, hors de l'onde.
Une ombre du Cocyte est moins ombre que moi,
Si j'en veux croire au moins ce fleuve où je me voi.
A ma pâle couleur, à mon visage blême,

On voit moins que je vis, qu'on ne peut voir que j'aime,
Et que pour trop aimer je souffre dans mon sort
Une douleur semblable aux douleurs de la mort.
Que veux-je faire aussi de ma mourante vie?
Et de quel bien jamais peut-elle être suivie,

Puisque j'éprouve enfin, d'amour tout consumé,
Qu'il est un plus grand mal que n'être point aimé ?
Hélas! qui sait aimer, sait que ce mal extrême
Est d'en savoir un autre aimé de ce qu'il aime.

TIMARETTE.

Dis plutôt que ce mal, ô volage Eurilas,
Est de se croire aimée, et de ne l'être pas.
Clair ruisseau, désormais remonte vers ta source,
Change, père du jour, ton ordinaire course:
Un plus grand changement m'a ravi mon berger:
Il n'est rien après lui qui ne puisse changer!
Voilà cette sinistre et funeste aventure

Dont m'a cent fois donné le malheureux augure,
Du haut de ce vieux chêne, un corbeau croassant;
Que m'exprimait si bien par son cri gémissant
La chaste tourterelle, en cent lieux rencontrée
-Toujours triste et toujours de son pair séparée.

EURILAS.

Timarette à Damon a pu donner son cœur!
A Damon Timarette! O le digne vainqueur!
Amans, jamais de rien ne perdez l'espérance :
Amans, jamais en rien ne prenez l'assurance.
Les tigres sous le joug aux bœufs s'accoupleront;
La biche et l'ours affreux désormais s'aimeront;
L'amoureuse colombe au hibou voulant plaire,
Deviendra, comme lui, nocturne et solitaire ;

Et par la paix unis nos loups et nos agneaux
Ensemble viendront boire aux rives de ces eaux.

TIMARETTE.

Telle que se fait voir de fleurs chargeant sa tête
Une blonde jeunesse au beau jour d'une fête,
Quand le prix de la danse et le son des hautbois
L'attire des hameaux à l'ombrage des bois ;
Amour de tout le cercle écarte la tristesse,
Amour y fait régner l'innocente allégresse.
Seule elle est en tous lieux; seule de toutes parts
Elle anime les sens, brille dans les regards:
Telle on me vit toujours (ô mémoire affligeante!}
Tandis que d'Eurilas je crus l'amour constante.

EURILAS.

Comme on voit quelquefois par la Loire en fureur
Périr le doux espoir du triste laboureur,

Lorsqu'elle rompt sa digue, et roule avec son onde
Son stérile gravier sur la plaine féconde;
Ainsi coulent mes jours depuis ton changement;
Ainsi périt l'espoir qui flattait mon tourment.

TIMARETTE.

Quel de vous, ô grands Dieux, m'a pu faire l'outrage De rendre mon berger inconstant et volage?

O Pan! n'est-ce point toi? Souvent sous ces ormeaux J'ai préféré sa voix à tes doux chalumeaux.

EURILA S.

Cypris, c'est toi qui rends ma bergère infidèle ;
J'ai juré mille fois que tu n'es pas si belle.

TIMARETTE.

Garde pour Araminte un si flatteur discours;
Araminte', ta vie et tes seules amours;

Moins qu'elle avait d'attraits la reine de Cythère; Nul esprit que le sien n'est digne de te plaire; Ajoute, et dis aussi qu'elle aime mieux Daphnis, Daphnis, plus beau cent fois que le bel Adonis.

EURILAS.

Et la sainte amitié qu'à Daphnis j'ai promise,
Te doit contre Araminte assurer ma franchise;
Araminte est pourtant le chef-d'œuvre des cieux *
A qui n'a jamais vu ta bouche ni tes yeux;
Comme en hauteur ce saule excède ces fougères
Araminte en beauté surpasse nos bergères;
Mais autant sa beauté cède à tes doux attraits,
Que céderait ce saule aux hauts pins des forêts.

TIMARETTE.

Mais aussi digne ami, qu'amant sûr et fidèle,
Tu peux seule m'aimer, et te plaire avec elle.

EURILAS.

Mais quoique cent remords me veuillent révolter, Pour lui donner mon coeur, il faudrait te l'ôter;

« PrécédentContinuer »