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Et quand j'en concevrais la coupable pensée,
Le pourrais-je obtenir de mon âme insensée ?

TIMARETTE.

Que n'es-tu moins trompeur!... Que veux-je dire, ô Dieux!

EURILAS.

Que n'ai-je pu cent fois vous dédire, mes yeux!

TIMARETTE.

Qu'ont-ils vu, si ce n'est que, jeune et sans malice,
D'un trop rusé berger j'ignorais l'artifice;
Crédule jusqu'à croire à tous ses vains discours,
Et qu'il était encor d'éternelles amours?

EURILAS.

Damon de ces erreurs t'a bien désabusée;
Damon, dont la musette est par-tout méprisée.

TIMARETTE.

Puisque d'un autre objet tu t'es laissé charmer,
C'est assez et trop peu pour ne plus rien aimer.

EURILAS.

Pour ne plus rien aimer! Ah! bergère inhumaine,
Penses-tu me cacher la moitié de ma peine?
Ah! mon rival n'a point d'aussi malheureux jours.
Fais qu'il soit vrai pourtant, ô mère des Amours,
Et sur ton saint autel dès demain, en revanche,
Je t'offre les petits de ma colombe blanche:

Et si la belle un jour me voit d'un œil plus doux, Je t'offre encor la mère et son fidèle époux!

TIMARETTE.

La voix de mon herger vaut mieux que le ramage
Qu'au printemps fait ouïr le rossignol sauvage.
De l'importun Damon les aigres chalumeaux
Ont presque déserté nos aimables hameaux ;
Mais lorsque mon berger se rend déraisonnable,
A sa divine voix Damon est préférable.

EURILAS.

On aimerait de toi jusques à ton courroux
Si l'on pouvait t'aimer sans en être jaloux.

TIMARETTE.

Que mon âme à t'ouïr trouverait de délices,
S'il ne fallait souffrir tes, injustes caprices!

EURILAS.

Bons dieux! qu'il faut de fois te haïr en un jour, Quand on te veut aimer de toute son amour!

TIMARETTE.

Que la foi d'un amant est trompeuse et légère!

EURILAS.

En est-il dans le cœur d'une jeune bergère?

TIMARETTE.

A ce que dit Philis, savante sur ce point,
Tout mal a son remède; amour seul n'en a point.

EURILAS.

On a beau murmurer, quelque dessein qu'on fasse,
Tout le temps est perdu qui sans aimer se passe.

TIMARETTE.

On dit que je suis belle, et je ne le crois pas :
Mais qui plus que l'Aurore eut de charmans appas?
Céphale aimait Procris ; l'Aurore matinale

Quittait pourtant les cieux pour courre après Céphale.

EURILA S.

Tes yeux,
quand plus sereins tu me les laisses voir,
D'un seul de leurs regards raniment mon espoir.
Ta bouche fait bien plus; un mot qu'elle veut dire,
Au plus fort de mes maux, apaise mon martyre!

TIMARETTE.

Ménalque et Licydas ont su faire des vers
Dignes d'être chantés par cent peuples divers;
Mais mon jaloux berger, sous ce vieux sicomore,
En fit un jour pour moi, que j'aime mieux encore.

EURILAS.

Un Zéphire plus lent agite ces roseaux ;
Il sort un vif éclat du cristal de ces eaux;
L'air devient pur et net; ma divine bergère,
Si j'en crois ces objets, apaise sa colère.

De ces prompts changemens les signes gracieux
Marquent qu'un trait plus doux est parti de ses yeux.
SEGRAIS.

ALCANDRE.

LES

Es bergers d'un hameau célébraient une fête; Chacun d'eux plus paré méditait sa conquête, Ne respirait qu'amour, et n'était appliqué Qu'au soin de voir, de plaire, et d'être remarqué. Ce soin, mais plus secret, occupait les bergères : On avait pris conseil des ondes les plus claires, On avait dérobé des fleurs aux prés naissans; Rien n'était oublié des secours innocens Qu'en ces lieux la nature et si simple et si belle Peut recevoir d'un art presqu'aussi simple qu'elle. Ici, sous des rameaux exprès entrelassés, Où jouaient les rayons dont ils étaient percés, On formait tour à tour des danses différentes: Heureux ceux qui tenaient la main de leurs amantes! Là, dans une campagne on disputait un prix; L'amour plus que la gloire anime les esprits : Les belles aux bergers inspirent de l'adresse: Heureux qui met le prix aux pieds de sa maîtresse! Tout l'air retentissait du bruit confus et doux Des flûtes, des hautbois, et des oiseaux jaloux : Il naissait mille amours; ce temps les favorise ; Ils étaient moins craintifs, ce temps les autorise:

De toutes parts enfin, par mille jeux divers,
A la joie, au plaisir les cœurs étaient ouverts:
Alcandre, Alcandre seul n'en était point capable;
A peine il reconnut un jour si remarquable :
En voyant ce spectacle, il s'en trouva surpris,
Triste, mais tendre effet de l'absence d'Iris.
Il se dérobe, il fuit une importune foule ;
Par des chemins couverts en secret il se coule ;
Aussitôt qu'il arrive au milieu des coteaux,
D'où les yeux aisément découvrent les hameaux,
Il y voit l'allégresse en tous lieux répandue,
Pour un amant qui souffre insupportable vue!
Il s'arrête, et pressé de ses vives douleurs :

Tout rit, tout est en joie, et moi, dit-il, je meurs.
Dix fois du sein des eaux la lumière est sortie,
Depuis que du hameau ma bergère est partie;
Je faisais de la voir le plus doux de mes soins;
Si je ne la voyais, je la cherchais du moins,
L'amour me conduisait, et je ne manquais guère
A découvrir les lieux qui cachaient la bergère ;
Mais maintenant, hélas ! j'erre en ces mêmes lieux
Plein d'elle, et sans espoir qu'elle s'offre à mes yeux.
Ciel! que le soleil marche à pas lents sur nos têtes!
Quels jours! quelle tristesse! et l'on songe à des fêtes!
On danse en ce hameau ! que je me tiens heureux
D'être ici solitaire, éloigné de ces jeux!

Et qu'y ferais-je ? Quoi! je pourrais voir Doride
De louanges toujours et de douceurs avide,

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