Heureuse, si, pour nuire à sa félicité,
Dédale et les troupeaux n'avaient jamais été ! Tantôt je vous disais ce que le grand Malherbe, Pour fléchir Lycoris, nymphe jeune et superbe, Comme un cygne mourant, chantait au bord des eaux Où l'Orne paresseux dort parmi les roseaux ; Tantôt je vous parlais du soin des bergeries; Je vous montrais quelle herbe infecte les prairies, Et comme les pasteurs partagent aux troupeaux L'ombrage, le soleil, les herbes et les eaux. Mais parmi ces discours, l'Amour forçait mon âme D'y mêler le récit de l'excès de ma flamme. Qui pourrait s'empêcher de plaindre son tourment ? Et vous oyiez toujours ma plainte doucement!
Même quand je partis, et qu'aux bords de la Seine, Pan, qui prend soin de nous, eut pitié de ma peine, Pleine de la douleur de mes maux infinis, Adieu, me dites-vous, adieu, pauvre Daphnis.
Maintenant loin de vous et de ces doux rivages, Parmi des monts affreux et des roches sauvages, Où de noires forêts de pins audacieux
Croissent parmi la neige, et s'élèvent aux cieux, Je consume en regrets les nuits et les journées, Prêt de finir bientôt mes tristes destinées (Ainsi le veut Amour) loin de votre beauté, Et des aimables lieux où je fus enchanté; Sans craindre que le Temps bannisse de mon âme Ni ces aimables lieux, ni cette belle flamme,
Ni que l'Amour cruel qui fait naître mes pleurs, Apprenne à s'apaiser par mes longues douleurs ! Levons-nous; le soleil des cimes reculées, De ces monts élevés descend dans les vallées; Déjà tous les bergers ont quitté les hameaux, Et l'on entend par-tout le son des chalumeaux. SARASIN.
Doux Zéphirs, quittez ces feuillages; Cessez vos jeux, petits oiseaux;
Vous, sans bruit, loin de ces rivages,
Bergers, emmenez vos troupeaux.
Feux dévorans du jour, mourez dans ces ombrages; Au fond de vos rochers, dormez, bruyans échos; Seul et de loin, caché sous la verdure, Chantre amoureux des bois, gazouille ta chanson; Et toi qui baignes ce gazon,
Frais ruisseau, suspends ton murmure; Que tout repose en la nature:
Philis repose en ce vallon.
ASSISE au bord de la Seine, Sur le penchant d'un coteau, La bergère Céliméne
Laisse paître son troupeau. Il descend dans la prairie, Sans qu'elle daigne songer Que le loup pourra manger Sa brebis la plus chérie. Le souvenir d'un berger, Que la fortune cruelle Force à vivre éloigné d'elle, Dans un climat étranger, Cause sa douleur mortelle, Qui lui fait tout négliger. Tantôt, cédant à la force De ses amoureux transports, Elle grave sur l'écorce
Des arbrisseaux de ces bords: Puisse durer, puisse croître L'ardeur de mon jeune amant, Comme feront sur ce hêtre
Ces marques de mon tourment! Tantôt mêlant, sur le sable, Le nom d'Achante et le sien, Elle trouve insupportable Qu'un Zéphir impitoyable En passant ne laisse rien. Quelle cruelle aventure Dit-elle, avec un soupir! Si ce que fait le Zéphir M'est un véritable augure Que de si tendres amours Ne dureront pas toujours, Je briserais la musette Que me laissa l'imposteur, Et du fer de ma houlette, Je me percerais le cœur! A ces mots, elle repasse Dans son esprit alarmé L'air, les traits, l'esprit, la grâce De ce berger trop aimé. Les oiseaux de ce bocage Se taisent pour écouter Ce qu'ils entendent chanter Du beau berger qui l'engage : Ils voudraient le répéter; Mais leur plus tendre ramage Ne la saurait imiter.
Jamais cette triste amante
Ne voit, sur l'herbe naissante, Folâtrer d'heureux amans, Qu'elle ne se représente Combien l'absence d'Achante Lui vole de doux momens. Jamais les bergers ne viennent De ces bords délicieux,
Où les Destins les retiennent, Que son amour curieux
Ne s'informe si ces lieux Ont des nymphes assez belles Pour faire des infidèles. Enfin, mille fois le jour Elle veut, elle appréhende Tout ce que craint et demande
Le plus violent amour.
Qu'on doit plaindre une bergère
Si facile à s'alarmer!
Pourquoi du plaisir d'aimer
Faut-il se faire une affaire?
Quels bergers en font autant,
Dans l'ingrat siècle où nous sommes?
Achante, qu'elle aime tant,
Est peut-être un inconstant,
Comme tous les autres hommes !
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