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Son trouble, sa langueur, ses regards, son silence,
Tout m'assurait alors de sa persévérance.

Je ne pus résister à des coups si puissans;
Un désordre inconnu s'empara de mes sens;
Presque sans le vouloir, éperdue, inquiète,
A mon perfide amant j'avouai ma défaite.

Je vous aime, lui dis-je : heureuse si mon cœur
Peut attendre du vôtre une éternelle ardeur!
A vous aimer toujours, cher Tircis, je m'engage.
Que de mon tendre amour cet agneau soit le gage!
Il croîtra. Que nos feux croissent ainsi que lui!
Puissions-nous nous aimer encor plus qu'aujourd'hui !
Qu'après un tel aveu notre entretien fut tendre!
Oiseaux, vous le savez, vous seuls pûtes l'entendre:
Tout ce que sent un cœur par l'amour animé,
Dans cet heureux moment fut par nous exprimé !
Fugitives douceurs, instans si désirables,

Ou soyez moins charmans, ou soyez plus durables!
A peine eus-je livré mon cœur à ses désirs,
Que la nuit vint troubler nos innocens plaisirs ;
Malgré nous il fallut nous soustraire à leurs charmes :
Tircis fut accablé; je répandis des larmes ;

Et, pour nous séparer en nous serrant la main,
Nous ne pûmes tous deux prononcer qu'à demain,
Depuis cet heureux soir, avec exactitude,
Il me prévint toujours dans cette solitude:
Mais, hélas ! aujourd'hui je l'attends vainement;
L'ingrat n'a plus pour moi le même empressement !

Id. et Egl.

22

Sans doute le perfide au pied de quelque belle
Se fait de mes chagrins un bonheur auprès d'elle ;
Et, pour la flatter mieux, méprisant ma beauté
Le parjure se rit de ma crédulité.

Dieux, sur la foi desquels j'ai perdu l'innocence,
De mon volage amant daignez tirer vengeance!
Elle achevait ces mots quand Tircis accourut :
A l'aspect du berger son courroux disparut.
Eh quoi donc lui dit-elle avec un regard tendre,
Depuis quand un amant se fait-il tant attendre ?
Bergère, reprit-il, calmez votre courroux ;
J'étais sur ces gazons deux heures avant vous.
Vous arriviez enfin; mais, disgrâce imprévue !
Un loup au même instant s'est offert à ma vue :
Il entraînait, grands dieux, quelle alarme pour moi !
Cet agneau si chéri, gage de notre foi.

O Ciel ! pour mon amour quel funeste présage!
Ai-je dit; mais, cruel, je méprise ta rage;
Quoique je sois ici sans houlette et sans chien,
Tu sentiras bientôt qu'un amant ne craint rien.
Enfin jusqu'en son for la bête poursuivie

A perdu sous mes coups sa proie avec sa vie.
J'ai vengé par sa mort nos plaisirs différés:
Pouvais-je moins punir qui nous a séparés!
La bergère à ces mots lui raconte ses craintes?
Le fidèle Tircis en fit de douces plaintes.
Philis, d'un air confus approuvant ses raisons,
Par de nouveaux sermens expia ses soupçons.
L'Abbé MANGENOT.

GALLUS,

DEUXIÈME ÉGLOGUE DE VIRGILE.

VIENS; préside, Arethuse, au dernier de mes chants. Qui peut à mon Gallus refuser ses accens?

Peu de vers pour Gallus, mais sur un ton si tendre, Que même Lycoris se plaise à les entendre!

Que, pour prix de tes soins, ton cristal toujours pur
Des flots siciliens perce le sombre azur,

Et que jamais la Nymphe, épouse de Nérée,
Ne mêle d'amertume à ton onde sacrée !
Commençons, et tandis que des jeunes ormeaux
Nos chevreaux pétulans tondent les verts rameaux,
Chantons Gallus en proie à sa langueur secrète.
Mes chants sont écoutés ; la forêt les répète.
Nymphes des eaux, quels bois vous dérobaient au jour,
Quand Gallus expirait d'un déplorable amour?
Le Pinde et ses coteaux, l'Hippocrène et sa source
N'avaient point cependant retenu votre course.
Les lauriers, la bruyère ont pleuré ses destius;
Le lycée, et les monts du Ménale aux longs pins,
Pleuraient Gallus couché sous la roche déserte.
Ses bêlantes brebis vont lamentant sa perte:

Ne les dédaigne point, Gallus; au bord des eaux
Le charmant Adonis a gardé les troupeaux.

Le pâtre vient; des boeufs vient pesamment le guide; De la froide glandée encore tout humide,

Ménalque vient; Phébus vient lui-même : « Insensé !
Lycoris près d'un autre habite un camp glacé ! »
Secouant de grands lis et des fleurs bocagères,
Silvain parut, orné de guirlandes légères.
Pan à son tour, le teint d'hièble coloré:
« D'un éternel ennui seras-tu dévoré?

» Dit-il. Le traître Amour s'applaudit de tes peines.
» L'herbe des prés a soif de l'onde des fontaines,
» L'abeille de cytise, et l'Amour de nos pleurs.
Triste, il répond: «Témoins de mes longues douleurs,
Dites-les à vos monts, pasteurs de l'Arcadie,
Pasteurs seuls renommés pour votre mélodie.
Oh! si vos doux accords redisaient, mon tourment,
Que Gallus au tombeau dormirait mollement!
Plût aux dieux que Gallus eût vos champs pour patrie!
Ou pâtre, ou vendangeur de la grappe mûrie,
J'eusse obtenu l'amour d'Amynte ou de Phyllis;
L'une ou l'autre, n'importe! ah! si l'éclat des lis
Refusa d'embellir le teint bruni d'Amynte,
Noire est la violette, et noire l'hyacinthe.
Près de moi, sous le saule aux mourantes couleurs,
L'une eût chanté des airs, l'autre eût cueilli des fleurs.
Là, sont des eaux, des prés; là, sous un mol ombrage,
Nous eussions attendu le terme de notre âge.

Mais loin de ton pays, sous les tentes de Mars,
Le fol Amour t'entraîne au milieu des hasards.
Des Alpes et du Rhin, il est donc vrai, cruelle,
Tu braves, et sans moi, la froidure éternelle !
Ah! que puissent du moins t'épargner les frimas!
Que les glaçons tranchans n'offensent point tes pas!
J'irai; sur les pipeaux qu'entendit Syracuse,
J'oserai de Chalcis reproduire la muse.

J'irai seul défier les tigres et les ours:

Sur les arbres des bois j'écrirai mes amours;
De ces arbres naissans les écorces fidèles
Croîtront. O mes amours! vous croîtrez avec elles!
Aux nymphes du Ménale osant m'associer,
J'atteindrai de mes traits l'horrible sanglier;
De chiens hurlans, malgré ses glaces conjurées,
Je ceindrai Parthénie et ses forêts sacrées.
Mais déjà je parcours le bois retentissant :
Du Parthe sous ma main siffle l'arc menaçant,
Il lance du Crétois la flèche inévitable.

Trompeurs soulagemens! l'Amour impitoyable
Daigne-t-il s'attendrir aux tourmens des humains?
Loin de moi, chants d'amour, dryades et silvains!
Forêts! disparaissez; votre ombre m'importune:
Rien ne peut, je le sens, tromper mon infortune.
De l'Hèbre et du Strymon quand je boirais les eaux,
Quand aux champs lybiens bondiraient mes troupeaux
Sous l'orme desséché que Sirius dévore,

L'Amour, l'ardent Amour m'y poursuivrait encore.

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