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GLYCÈRE,

OU

LE POUVOIR DE LA VERTU;

IMITATION DE GESSNER.

GLYCERE avait seize ans, et Glycère était belle.
Sa mère, depuis peu, dormait dans le tombeau;
Et Glycère, en perdant l'appui qu'elle eut en elle,
Était réduite à conduire un troupeau.

A cette tombe solitaire

Un jour, les yeux baignés de pleurs, Elle revient offrir son tribut ordinaire, Une coupe d'eau pure et de champêtres fleurs. Quand la jeune orpheline, en sa tristesse amère, De la tombe en silence eut fait trois fois le tour, A l'ombre des cyprès qui croissent à l'entour Elle s'assied, et dit : « O la plus tendre mère ! » Qu'à jamais sous mes yeux ton exemple vainqueur » Me fasse des vertus adorer la puissance!

>> Oui, c'est ton souvenir, toujours cher à mon cœur,

» Qui, des piéges d'un séducteur,

>> Vient de sauver mon innocence.

>> Sur tes traces toujours, ah! puissé-je marcher! » Mais apprends les dangers d'où naissent mes alarmes: >> Eh! dans quel autre sein répandrais-je mes larmes ? » Non, ma douleur ne te veut rien cacher;

>> Tu sauras tout. Las du vain bruit d'Athènes,

» Le seigneur de ces lieux, Mysis, venait chercher » Le calme qu'on respire aux bords de ces fontaines. » L'autre jour il m'aborde, et d'un air gracieux >> II vante les troupeaux confiés à ma garde; >> Il me flatte, et je vois, alors qu'il me regarde, » Je ne sais quelle joie éclater dans ses yeux.

» Je me disais : Qu'il est bon, notre maître! >> Les riches sont heureux, et chers aux immortels. » Ah! quand on lui ressemble, on mérite de l'être.

>> Je ne puis rien; mais au pied des autels » Pour lui, dans ce temple champêtre,

>> J'offrirai des voeux éternels.

» Je voulais... mais, hélas! qu'on est simple au village! >> Le lendemain, non loin de ce bocage,

» Devant moi, par hasard, je le retrouve encor. » Tiens, me dit-il, reçois ce gage.

» A mon doigt aussitôt il passe un anneau d'or. » Je baisse en rougissant ma timide paupière. >> -Vois-tu gravé sur cette pierre

» Ce bel enfant ailé qui sourit comme toi?

>> C'est lui qui peut te rendre heureuse.

>> Sa main pressait la mienne, et sa voix dangereuse » Dans le fond de mon cœur se glissait malgré moi. >> Il t'aime; il a pour toi la tendresse d'un père. » Mais par où, me disais-je, aurais-tu pu, Glycère, » Mériter les bontés d'un seigneur si puissant? » C'était alors, oui, c'était tout, ma mère, >> Ce que pensait ta pauvre enfant.

>> Quelle était mon erreur! Dieux justes que j'atteste, » J'étais loin de prévoir un danger si prochain! >> C'est ce matin qu'en ce verger funeste » Il m'appelle : j'y vole; et, me serrant la main: » Viens, me dit-il, beauté touchante ;

» Abandonne un moment le soin de ton troupeau : » J'aime les fleurs, et leur pactum m'enchante; >> Apporte m'en sous ce berceau.

» Crédule, je m'empresse à choisir les plus belles, » Et joyeuse, j'accours sous ces ombrages frais. >> Que de grâces! dit-il. Oui, ces roses nouvelles » Offertes par Glycère ont pour moi plus d'attraits. » Alors, s'abandonnant au feu qui le dévore,

>> Dieux immortels! ah! j'en frémis encore, » Il me saisit, il m'entraîne, et soudain » Ses bras avec fureur me pressent sur son sein. >> Tout ce qu'Amour peut dire de plus tendre, » De plus doux et de plus flatteur,

» Ea bouche me le fait entendre.

» Je pleurais, je tremblais, et, contre un séducteur

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» Trop faible, j'implorais sa pitié généreuse.

>> Vaine prière ! inutile recours!

» Te le dirai-je enfin? sans toi, sans ton secours » Oui, ta fille à jamais eût été malheureuse.

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>> Mais tout-à-coup des portes du trépas >> J'ai cru voir s'élancer ton ombre vengeresse: » Aussitôt repoussant une indigue caresse, » Plus forte que Mysis, j'échappe de ses bras; » Et je viens t'en offrir des larmes d'allégresse. » ( ma mère ! reçois pour un bien si flatteur » La vive expression de ma reconnaissance. >> Oui, c'est ton souvenir, toujours cher à mon cœur, » Qui des piéges d'un séducteur

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» Vient de sauver mon innocence !

» Ah! si jamais ces avis précieux

Qu'à ton dernier soupir me donna ta tendresse, » Si le flambeau de ta sagesse

» Cesse de me conduire et d'éclairer mes yeux,
» Oui, qu'à l'instant ton ombre fortunée
» Dans ce monde orageux me faisse sans appui,
>> Et
que des dieux que j'implore aujourd'hui
» Ta fille soit abandonnée !

» Si jeune, hélas! par quel malheur

» A mon amour es-tu donc arrachée?

» Serai-je, dieux puissans, comme la tendre fleur

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Qui, sans soutien, tombe et languit penchée? » Mais ton ombre du haut des cieux

» Loin de mes faibles ans écartera l'orage;

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Our, de tous vents contagieux

» Tu garantiras ton ouvrage.

>> Crainte des dieux, sainte pudeur,
» Aimables lois de la sagesse,

» Que vos charmes règnent sans cesse

>> Et sur mon front et dans mon cœur ! »
Elle dit; et de pleurs son œil encore humide,
Donnait à ses regards cette grâce timide
Que l'innocence ajoute à la beauté ;
Une douce chaleur animait son visage:
C'était le ciel qui, vainqueur de l'orage,
Reprenait sa sérénité.

Plus satisfaite, et non moins séduisante,
Glycère enfin quittait ces tristes lieux.
Mysis à ses regards tout-à-coup se présente :
Des pleurs s'échappent de ses yeux.
Ah! pardonne, jeune Glycère;
Ne redoute plus rien de moi;
C'est le remords le plus sincère
Qui me ramène auprès de toi.
Lorsque tu parlais à ta mère

Ce buisson me cachait, et j'ai tout entendu :
Daigne oublier ma faute extrême ;
Ta sagesse m'a confondu :

Je t'admire autant que je t'aime;
Oui, je triomphe de moi-même,
Et c'est à toi que le prix en est dû !
Sois toujours belle et toujours vertueuse;

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