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Mais aussi deviens plus heureuse.

La moitié des troupeaux confiés à tes soins,

La cabane, et les champs que cette onde environne
S'ils suffisent à tes besoins,

Ils sont à toi; je te les donne :

Ne les refuse point; je ne veux que l'honneur
De récompenser ta sagesse.

Puisse un époux digne de ta tendresse

Mettre le comble à ton bonheur!
Que par moi chaque jour à ta vertu suprême
Pareil hommage soit rendu!

Oui, je triomphe de moi-même,
Et c'est à toi que le prix en est dû.

BLIN DE SAINMORE.

LA PROMESSE TROP BIEN GARDÉE.

DAPHNIS ET PHILIS.

Au sein d'un doux sommeil, Daphnis, sous un feuillage

Du midi bravait les fureurs,

Lorsqu'il sentit un nuage de fleurs

Qui par flocons légers volait sur son visage.

Il ouvre un peu les yeux, et sur l'herbe, à deux pas, Il aperçoit Philis qui lui tendait les bras.

S'il voulut s'y jeter, c'est chose vaine à dire ;
Mais des fleurs l'enchaînaient: il le voulut en vain ;
Et voilà que Philis se mit si fort à rire,
Que son bouquet s'échappa de son sein.
Ah! méchante, dit-il, tu ris; mais de ma chaîne
Dans un moment je vais me dégager,

Et tu verras si je sais me venger.

Il eut beau se débattre, il y perdit sa peine.
Te venger! dit Philis; oui, si je romps tes noeuds :
Mais si je le faisais, çà, voyons, et pour cause,
Dis, comment prétends-tu te venger? — Oh! je veux
Te donner tant de baisers amoureux,

Que ta joue en sera rouge comme une rose.

- Oui dà! si c'est ainsi, tenez, mon cher Daphnis, Riez, pleurez, mettez-vous en colère;

Point ne vous délîrai que ne m'ayez promis

De ne point m'embrasser pendant une heure entière. -Philis, comment veux-tu?...Philis s'obstine.-Eh bien Soit, pas un seul baiser. Philis alors s'empresse

De rompre ses nœuds. Le moyen,

Disait-elle tout bas, qu'il tienne sa promesse!
Mais lui, pour se venger, contraignit son désir;
Sans l'embrasser il reste assis près d'elle.
Un moment passe, et deux; on hasarde un soupir,
Puis un coup d'œil, puis un mot. Le rebelle
Voit, entend tout cela sans se laisser fléchir.
-Daphnis, dit-elle enfin, l'heure est, je crois, passée.
A peine est elle commencée,

Répondit-il. Philis sourit,

Non toutefois sans un secret dépit.

Elle attend; mais bientôt d'un air d'impatience:
Oh! sûrement l'heure vient de passer.

-Y penses-tu? Qu'importe? allons, plus de vengeance.
Comment as-tu donc fait pour ne pas m'embrasser?
Dans ses mains aussitôt la belle, avec adresse,
Cache à demi son front. Le berger triomphant
Par cent baisers alors satisfait sa tendresse.
Il gagnait de bien peu; las! encore un moment,
L'Amour emportait sa promesse.

BERQUIN.

L'INNOCENCE DE L'AMOUR.

LUCINDE ET ZERBIN.

ZERBIN.

Oma chère Lucinde! écoute:

Je crains de m'abuser: est-ce toi que je voi?

LUCINDE.

Tu ne t'abuses pas; oui, Zerbin, oui, c'est moi.

ZERBIN.

J'ai beau te regarder, j'en doute;

Mes yeux peuvent m'en imposer :
Pour en être plus sûr, laisse-moi t'embrasser.

LUCINDE..

Zerbin, nous sommes au village;

Ce n'est pas ici comme aux champs:

Sais-tu bien que ces lieux sont pleins d'esprits méchans Qui font passer pour crime un simple badinage?

ZERBIN.

Peut-on être fâché que nous soyons heureux?

LUCINDE.

On dit que c'est l'honneur qui nous défend ces jeux.

ZERBIN.

L'honneur a tort de les défendre.

Va, ma chère Lucinde, il n'y faut plus penser;
Laisse là cet honneur, et permets-moi de prendre
Un baiser sur ta main, seulement un baiser.

LUCINDE.

Volontiers... Mais, ô ciel! qu'est-ce donc qui t'agite?

ZERBIN.

C'est un mal inconnu qui fait que je palpite.

LUCINDE.

Hélas! Zerbin, ce mal est-il bien douloureux?

Id. et Egl.

5

ZERBIN.

Je suis comme un enfant à qui tout fait envie;
Quand j'ai pris un baiser, j'en voudrais prendre deux :
Ai-je baisé ta main, je veux baiser tes yeux.
Cette envie est encor de mille autres suivie...
D'où cela vient-il done? Lucinde, apprends-le-moi.

LUCINDE.

Je te le demande à toi-même.

ZERBIN.

Tu dois mieux le savoir; j'ai moins d'esprit que toi.

LUCINDE.

Pourtant je n'en sais rien.

ZERBIN.

Ma surprise est extrême!

Je suis ravi quand je te voi;

Cependant je frissonne en t'abordant... Pourquoi?

LUCINDE.

Et d'où vient suis-je triste, inquiète, abattue,
Quand je dois être un jour, un seul jour sans te voir?
Je voudrais, au matin, que la nuit fût venue;
Je soupire en voyant le soir:

Parais-tu, je rougis, et je baisse la vue...
Pourquoi ce tourment-là? je voudrais le savoir.

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