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Nous

ous avons déjà dit que la poésie pastorale, et particulièrement l'églogue, n'avait pris son rang en France que depuis Racan.

Nous justifierons cette assertion en citant ci-après deux églogues de Ronsard (1), l'un des plus marquans en ce genre, et le plus grand poëte de son siècle.

Il est vrai que la langue serait restée dans une barbarie ridicule si son style avait servi de modèle à ceux qui l'ont suivi; mais on trouve dans ses ouvrages une verve qui étonne, et des traits d'esprit qui, revêtus d'expressions moins baroques, feraient honneur aux meilleurs poëtes de notre temps.

Marguerite, duchesse de Savoie, que ses

(1) Ronsard (Pierre) naquit au château de la Poissonnière, dans le Vendômois, en 1525, et mourut dans son prieuré de Saint-Côme-les-Tours, le 27 décembre 1585.

lumières et ses qualités personnelles ont rendue si célèbre, lui accorda sa protection, et le donna à Henri II son frère, qui le combla de bienfaits. Il passa successivement dans l'intimité de quatre rois, Henri II, François II, Charles IX et Henri III. Il devint surtout l'ami, le favori de Charles IX, qui lui adressa les vers suivans:

L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons des couronnes;
Mais, roi, je les reçus ; poëte, tu les donnes.
Ton esprit, enflammé d'une céleste ardeur,
Eclate par soi-même, et moi par ma grandeur.
Si du côté des dieux je cherche l'avantage,
Ronsard est leur mignon, et je suis leur image.
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,
Te soumet les esprits, dont je n'ai que les corps;
Elle t'en rend le maître, et te fait introduire
Où le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire.

L'infortunée Marie Stuart, qui adoucit la rigueur de la plus triste captivité par la lecture des poésies de Ronsard, fit présent à ce poëte d'un buffet de deux mille écus (somme très-considérable alors), dans lequel

se trouvait un vase représentant le mont Parnasse, et au-dessus, le cheval Pégase, avec cette inscription:

A Ronsard, l'Apollon de la source des Muses. L'académie des Jeux Floraux lui décerna un prix pour lequel il n'avait point concouru ; ce prix était une Minerve d'argent; et les magistrats de Toulouse rendirent un édit qui le proclama le poëte français par excellence. De Thou l'appelle un génie sublime, l'égale aux plus grands poëtes de l'antiquité, et le met au-dessus de plusieurs d'entr'eux les deux Scaliger, Etienne Pasquier, Marc-Antoine Muret, Scévole de Sainte-Marthe Pierre Pithou, le cardinal Duperron, les plus grands écrivains et les meilleurs critiques de son temps, le placent à côté d'Homère et de Virgile.

Les deux églogues que nous allons citer sont celles auxquelles les poëtes de nos jours donnent la préférence; elles mettront nos lecteurs à même de juger à quel point les éloges prodigués à Ronsard étaient mérités.

ÉGLOGUE, OU BERGERIE.

(Quatre bergers et une bergère se présentent ensemble, sortant chacun de son antre à part ).

ORLÉANTIN commence.

Ici de cent couleurs s'émaille la prairie ;
Ici la tendre vigne aux ormeaux se marie ;
Ici l'ombrage frais va les feuilles mouvant,
Errantes çà et là sous l'haleine du vent;
Ici de pré en pré les soigneuses avettes (1)
Vont baisant et suçant les odeurs des fleurettes;
Ici le gasouillis enroué des ruisseaux
S'accorde doucement aux plaintes des oiseaux;
Ici entre les pins les Zéphires s'entendent.

Nos flûtes cependant, trop paresseuses, pendent
A nos cols endormis ; il semble que ce temps
Soit à nous un hiver, aux autres un printemps.

Sus donques! en cet antre, ou dessous cet ombrage, Disons une chanson : quant à ma part, je gage,

(1) Avettes, abeilles.

Pour le prix de celui qui chantera le mieux,
Un cerf apprivoisé qui me suit en tous lieux.
Je le dérobai jeune, au fond d'une vallée,
A sa mère au dos peint d'une peau martelée ;
Je l'ai toujours gardé pour ma belle Toinon,
Laquelle, en ma faveur, l'appelle de mon nom :
Tantôt elle le baise, et de fleurs odoreuses
Environne son front et ses cornes rameuses :
Il va seul et pensif où son pied le conduit :
Maintenant des forêts les ombrages il suit,
Ou se mire dans l'eau d'une source moussue
Ou s'endort sous le creux d'une roche bossue;
Puis il retourne au soir, et, gaillard, prend du pain
Tantôt dessus la table, et tantôt en ma main.
Toinon, sans s'effrayer, le tient par une corne
D'une main; et de l'autre, en cent façons elle orne
Sa croupe de bouquets et de petits rameaux,
Puis le conduit, au soir, à la fraîcheur des eaux.

ANGELOT.

Je gage mon grand bouc, qui par mont et par plaine Conduit seul un troupeau comme un grand capitaine. Il a le front sévère et le pas mesuré,

La contenance fière et l'œil bien assuré:

Il ne craint point les loups, tant soient-ils redoutables,
Ni les mâtins armés de colliers effroyables;
Mais sur le haut d'un mont, soigneux de se placer,
Tout en se moquant d'eux, les regarde passer.

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