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LYSIDOR.

Quand vous croyez avoir attiré vos malheurs,
Votre âme n'est point abusée.

Votre Iris a payé vos soins par des faveurs,
Tant que l'amour a fait ses plaisirs, ses douleurs!
Mais la tendresse s'est usée.

Au lieu de l'ennuyer par des plaintes, des pleurs,
Il fallait à son tour la rendre un peu jalouse.
Écoutait-elle des douceurs,

Il fallait en compter à douze.
Daphnis, un amant de bon sens

Doit quelquefois donner des sujets de se plaindre.
Les plaisirs les plus vifs deviennent languissans,
Quand on en jouit sans rien craindre (1).
Mais que nous veut Timandre? il s'approche de nous.
Venez-vous demander secours contre les loups?

TIMANDRE.

Non; je viens apporter une heureuse nouvelle
Au tendre et fidèle Daphnis.

Qu'il ne soupire plus, ses malheurs sont finis.
Iris souffre pour lui ce qu'il souffre pour elle.

(1) J.-J. Rousseau, dans son Devin du village, a admirablement défini cette pensée en deux vers:

L'amour croit, s'il s'inquiète;

Il s'endort, s'il est content.

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DAPHNIS.

Dieux! qu'est-ce que j'entends?

TIMANDRE.

La pure vérité.

Il est moins aisé qu'il ne pense

De passer de l'amour à la tranquillité.

A peine Iris vous eut défendu sa présence,
Que de cruels remords son cœur fut agité.
Quelque temps avec fermeté

Elle en soutint la violence ;
Mais il fallut enfin céder à son amour.
Le dépit qu'en eut la bergère,
Alluma dans son sein une ardeur étrangère
Qui la consume nuit et jour.

Sachant pour son repos jusques où va la mienne,
Elle m'a fait tantôt approcher de son lit.
Cherchez Daphnis, m'a-t-elle dit;

Et, s'il m'aime encor, qu'il revienne. Je suis parti d'abord, et mes soins empressés.... Vous m'avez rencontré, dit Daphnis, c'est assez. A l'instant il reprit une allégresse entière, Embrassa Timandre; et, pour prix

De tous les soins qu'il avait pris,

Il lui donna sa panetière,

Et, transporté de joie, il vola chez Iris.

M.me DESHoulières.

EURILAS.

On a beau murmurer, quelque dessein qu'on fasse,
Tout le temps est perdu qui sans aimer se passe.

TIMARETTE.

On dit que je suis belle, et je ne le crois pas :
Mais qui plus que l'Aurore eut de charmans appas?
Céphale aimait Procris; l'Aurore matinale

Quittait pourtant les cieux pour courre après Céphale.

EURILA S.

Tes yeux, quand plus sereins tu me les laisses voir,
D'un seul de leurs regards raniment mon espoir.
Ta bouche fait bien plus; un mot qu'elle veut dire,
Au plus fort de mes maux, apaise mon martyre!

TIMARETTE.

Ménalque et Licydas ont su faire des vers
Dignes d'être chantés par cent peuples divers;
Mais mon jaloux berger, sous ce vieux sicomore,
En fit un jour pour moi, que j'aime mieux encore.

EURILAS.

Un Zéphire plus lent agite ces roseaux;

Il sort un vif éclat du cristal de ces eaux;
L'air devient pur et net; ma divine bergère,
Si j'en crois ces objets, apaise sa colère.
De ces prompts changemens les signes gracieux
Marquent qu'un trait plus doux est parti de ses yeux.
SEGRAIS.

ALCANDRE.

LES

Es bergers d'un hameau célébraient une fête; Chacun d'eux plus paré méditait sa conquête, Ne respirait qu'amour, et n'était appliqué Qu'au soin de voir, de plaire, et d'être remarqué. Ce soin, mais plus secret, occupait les bergères : On avait pris conseil des ondes les plus claires, On avait dérobé des fleurs aux prés naissans; Rien n'était oublié des secours innocens Qu'en ces lieux la nature et si simple et si belle Peut recevoir d'un art presqu'aussi simple qu'elle. Ici, sous des rameaux exprès entrelassés, Où jouaient les rayons dont ils étaient percés, On formait tour à tour des danses différentes: Heureux ceux qui tenaient la main de leurs amantes! Là, dans une campagne on disputait un prix; L'amour plus que la gloire anime les esprits : Les belles aux bergers inspirent de l'adresse: Heureux qui met le prix aux pieds de sa maîtresse! Tout l'air retentissait du bruit confus et doux Des flûtes, des hautbois, et des oiseaux jaloux : Il naissait mille amours; ce temps les favorise; Ils étaient moins craintifs, ce temps les autorise:

De toutes parts enfin, par mille jeux divers,
A la joie, au plaisir les cœurs étaient ouverts :
Alcandre, Alcandre seul n'en était point capable;
A peine il reconnut un jour si remarquable :
En voyant ce spectacle, il s'en trouva surpris,
Triste, mais tendre effet de l'absence d'Iris.
Il se dérobe, il fuit une importune foule ;
Par des chemins couverts en secret il se coule;
Aussitôt qu'il arrive au milieu des coteaux,
D'où les yeux aisément découvrent les hameaux,
Il y voit l'allégresse en tous lieux répandue,
Pour un amant qui souffre insupportable vue!
Il s'arrête, et pressé de ses vives douleurs :

Tout rit, tout est en joie, et moi, dit-il, je meurs.
Dix fois du sein des eaux la lumière est sortie,
Depuis que
du hameau ma bergère est partie;
Je faisais de la voir le plus doux de mes soins;
Si je ne la voyais, je la cherchais du moins,
L'amour me conduisait, et je ne manquais guère
A découvrir les lieux qui cachaient la bergère ;
Mais maintenant, hélas ! j'erre en ces mêmes lieux
Plein d'elle, et sans espoir qu'elle s'offre à mes yeux.
Ciel! que le soleil marche à pas lents sur nos têtes!
Quels jours! quelle tristesse! et l'on songe à des fêtes!
On danse en ce hameau ! que je me tiens heureux
D'être ici solitaire, éloigné de ces jeux!

Et qu'y ferais-je ? Quoi! je pourrais voir Doride
De louanges toujours et de douceurs avide,

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