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Ei Lise, à votre avis, est-elle plus heureuse,
Elle que ses beaux yeux rendent si dédaigneuse ?
Elle osa l'autre jour devant d'autres pasteurs
Choisir son Licidas pour lui donner des fleurs ;
A l'amour du berger elle les crut bien dues;
Hélas! le lendemain il les avait perdues.

IRIS.

Tirsis, je vous entends; vous n'aimez pas ainsi :
Mais ne me puis-je pas faire valoir aussi ?
Croyez-vous que pour être et fidèle et sincère,
On en trouve toujours autant dans sa bergère ?
Damon y gagnerait; nous sommes tous témoins
Combien à Timarète il a plu par ses soins.
L'autre jour cependant elle vint par-derrière
Au fier et beau Thamire ôter sa panetière ;
Damon était présent, elle ne lui dit rien;

Pour moi, de leurs amours je n'augurai pas bien:
Ces tours-là ne se font qu'au berger que l'on aime;
Vous vous plaindriez bien si j'en usais de même.
On croit que Lisidor a lieu d'être content :
J'ai vu pourtant Alphise, elle qui l'aimait tant,
A qui Daphnis mettait ses longs cheveux en tresse ;
La belle avait un air de langueur, de paresse;
Au contraire, Daphnis, d'un air vif, animé,
S'acquittait d'un emploi dont il était charmé :
Alphise en ce moment rougit d'être surprise,
Et je rougis aussi d'avoir surpris Alphise.

TIRSIS.

Iris, qu'avez-vous dit? on se fût figuré
Que le fidèle Amour, des villes ignoré,

S'était fait dans nos bois des retraites tranquilles ;
Mais on l'ignore ici comme on fait dans les villes !
Ah! qui pourrait souffrir Ménalque et Licidas?
Charmé de leurs chansons, je suivais tous leurs pas :
Maintenant que je sais qu'ils ne sont pas fidèles,
Je les fuis, et leurs voix ne me semblent plus belles.

IRIS.

Alphise et Timarète ont l'entretien charmant ;
Je les cherchais toujours avec empressement;
Mais, depuis que je sais qu'Alphise et Timarète
N'ont point pour leurs amans la foi la plus parfaite,
J'évite de les voir; et les jours les plus longs
J'aime mieux les passer seule avec mes moutons.

TIRSIS.

Puisque dans ce hameau les amours dégénèrent,
Cartous nos vieux bergers, on sait comme ils aimèrent,
Abandonnons ces lieux, Iris, retirons-nous;
On y verra du ciel éclater le courroux.

IRIS.

Non, vivons en des lieux où je serai charmée
Parmi tant de beautés d'être la plus aimée;
Où, par mes tendres soins, Tirsis sera nommé,
Parmi tant de pasteurs, l'amant le plus aimé.

Qu'il ne soit point ici de feux tels que les nôtres ;
Jouissons du plaisir d'aimer plus que les autres
Et voyons en pitié tant de faibles amours 9
Qui souffrent le partage, et changent tous les jours.

TIRSIS.

Sí je change jamais, si mon cœur se partage, Puissé-je en aucuns jeux n'obtenir l'avantage ! Puisse déplaire à tous mon plus doux chalumeau, Et ma voix faire fuir les belles du hameau!

IRIS.

Ruisseau qui murmurez, bois chargés de verdure, Ecoutez mon berger, écoutez ce qu'il jure.

S'il trouve en sou Iris un amour moins constant, Je veux que tous mes traits changent au même instant, sans ressentir une secrète peine,

Et que,

Je ne puisse jamais rencontrer de fontaine !

TIRSIS.

O vous, dieu des pasteurs, Idéesse des amans
Ecoutez ma bergère, écoutez ses sermens!

IRIS.

Bergers, qu'en ces hameaux on trouve redoutables,
Vous tâcheriez en vain de me paraître aimables;
Ne songez pas qu'Iris voie encore le jour;
Pour Iris dans le monde il n'est qu'un seul amour.

TIRSIS.

Bergères, qui causez tant de soupirs, de larmes,
Ne comptez plus sur moi pour admirer vos charmes;

Ne comptez plus sur moi pour ressentir vos traits; Mes yeux à vos appas sout fermés pour jamais.

FONTENELLE.

LE RENDEZ-VOUS.

Au déclin d'un beau jour une jeune bergère,
Plus tard que de coutume ayant quitté sa mère,
Pressait les pas tardifs de son nombreux troupeau
Vers un bocage épais éloigné du hameau.
L'heure du rendez-vous, malgré ses soins passée,
S'offrait incessamment à sa triste pensée.
Elle arrive: mais, ciel ! quels furent ses soucis,
De parcourir ces lieux sans y trouver Tircis !
Dans son impatience en vain elle l'appelle ;
Echo seule répond à la voix de la belle.
Mille soupçons confus alarment son courroux :
Elle s'arrête enfin au plus cruel de tous.
Tircis ne m'aime plus ! Le perfide, dit-elle,
Ne peut en même temps être heureux et fidèle ;
Une bergère amante est pour lui sans appas:
Il m'aimerait encor si je ne l'aimais pas.
On me l'avait tant dit avant de le connaître !
Traitez bien un amant, il cessera de l'être.
L'amour ne peut durer qu'autant que les désirs ;

Nourri par l'espérance, il meurt par les plaisirs !

Aussi quand il me tint un amoureux langage,
Quoiqu'en secret mon cœur approuvât son hommage,
Le soleil quatre fois fit mûrir nos moissons
Avant que je parusse écouter ses chansons.
En lui cachant l'ardeur qui dévorait mon âme,
Que n'ai-je point souffert pour éprouver sa flamme!
Par combien de tourmens n'ai je point acheté
Le chimérique espoir d'aimer en sûreté !

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Cruelle à mon berger, plus cruelle à moi-même,
Je ne lui laissais voir qu'une rigueur extrême ;
Mais un jour, jour fatal au secret de mon cœur,
Tircis trop tendrement me peignit son ardeur :
Jusqu'à quand, disait-il, je m'en souviens encore
Serez-vous insensible au feu qui me dévore?
Malgré votre beauté, craindriez-vous un jour
De me voir à quelqu'autre immoler votre amour?
Ah, grands dieux ! si je vis sans aimer ma bergère,
Que ma flûte, ma voix, mes vers cessent de plaire!
Qu'on me voie étouffer les oiseaux que j'instruis!
Que mes prés soient sans fleurs, et mes vergers sans fruits;
Que mes tendres brebis et mes béliers superbes
S'empoisonnent du suc des plus mortelles herbes !
Que je les abandonne à la fureur des loups !

Et que je sois moi-même en butte à tous vos coups!
J'en jure par les dieux, ou plutôt par vous-même,
Philis, l'Amour vous rend ma déité suprême.
L'ardeur que j'ai pour vous ne finira jamais :

Croyez-en mon amour mes sentimens, vos traits.

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