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Votre bonheur rendrait ma peine moins amère.
Adieu; n'oubliez pas que je fus votre mère.

Elle les presse alors sur son cœur palpitant.
Orpha baisse les yeux, et pleure en la quittant.
Rath demeure avec elle: Ah! laissez-moi vous suivre(1);
Par-tout où vous vivrez, Ruth près de vous doit vivre.
N'êtes-vous pas ma mère en tout temps, en tout lieu ?
Votre peuple est mon peuple, et votre Dieu mon Dieu.
La terre où vous mourrez verra finir ma vie ;
Ruth dans votre tombeau veut être ensevelie:
Jusques-là vous servir fera mes plus doux soins ;
Nous souffrirons ensemble, et nous souffrirons moins!
Elle dit : C'est en vain que Noémi la presse
De ne point se charger de sa triste vieillesse ;
Ruth, toujours si docile à son moindre désir,
Pour la première fois refuse d'obéir.

Sa main de Noémi saisit la main tremblante;
-Elle guide et soutient sa marche défaillante,
Lui sourit, l'encourage; et, quittant ces climats,
De l'antique Jacob va chercher les états.

De son peuple chéri Dieu réparait les pertes:
Noémi de moissons voit les plaines couvertes.

(1) Ne adverseris mihi ut relinquam te et abeam : quocumque enim perrexeris, pergam; et ubi morata fueris, et ego pariter morabor. Populus tuus populus meus, et Deus tuus Deus meus. Quæ te terra morientem susceperit, in eâ moriar, ibique locum accipiam sepulturæ.

Enfin, s'écria-t-elle en tombant à genoux,
Le bras de l'Éternel ne pèse plus sur nous!
Que ma reconnaissance à ses yeux se déploie :
Voici les premiers pleurs que je donne à la joie!
Vous voyez Bethléem, ma fille : cet ormeau
De la tendre Rachel vous marque le tombeau.
Le front dans la poussière, adorons en silence
Du Dieu de mes aïeux la bonté, la puissance :
C'est ici qu'Abraham parlait à l'Éternel.
Ruth baise avec respect la terre d'Israël.

Bientôt de leur retour la nouvelle est semée.
A peine de ce bruit la ville est informée,
Que tous vers Noémi précipitent leurs pas.
Plus d'un vieillard surpris ne la reconnaît pas :
Quoi (1)! c'est là Noémi ? Non, leur répondit-elle,
Ce n'est plus Noémi : ce nom veut dire belle;
J'ai perdu ma beauté, mes fils et mon ami :
Nommez-moi malheureuse, et non pas Noémi!
Dans ce temps, de Juda les nombreuses familles
Recueillaient les épis tombant sous les faucilles :
Ruth veut aller glaner. Le jour à peine luit,
Qu'aux champs du vieux Booz le hasard la conduit,
De Booz dont Juda respecte la sagesse,

(1) Dicebantque: Hæc est illa Noemi ? Quibus ait: Ne vocetis me Noemi, id est pulchram : sed vocate me Mara, id est amaram: quia amaritudine valdè replevit me omnipotens. Egressa sumplena; et vacuam reduxit me Dominus.

Vertueux sans orgueil, indulgent sans faiblesse
Et qui, des malheureux l'amour et le soutien,
Depuis quatre-vingts ans fait tous les jours du bien.
Ruth (1) suivait dans son champ la dernière glaneuse.
Étrangère et timide, elle se trouve heureuse
De ramasser l'épi qu'une autre à dédaigné.
Booz, qui l'aperçoit, vers elle est entraîné :
Ma fille, lui dit-il, glanez près des javelles ;
Les pauvres ont des droits sur des moissons si belles.
Mais vers ces deux palmiers suivez plutôt mes pas;
Venez des moissonneurs partager le repas.
Le maître de ce champ par ma voix vous l'ordonne :
Ce n'est que pour donner que le Seigneur nous donne.
Il dit: Ruth à genoux de pleurs baigne sa main.
Le vieillard la conduit au champêtre festin.
Les moissonneurs, charmés de ses traits, de sa grâce,
Veulent qu'au milieu d'eux elle prenne sa place,
De leur pain, de leurs mets lui donnent la moitié ;
Et Ruth, riche des dons que lui fait l'amitié
Songeant que Noémi languit dans la misère,
Pleure et garde son pain pour en nourrir sa mère (2).

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(1) Et colligebat spicas post terga metentium.... Et ait Booz ad Ruth: Audi filia; ne vadas in alterum agrum ad colligendum..... Si sitieris, vade ad sarcinulas, et bibe aquas de quibus et pueri

bibunt.

(2) Sedit itaque ad messorum latus, et congessit polentam sibi, comeditque.... et tulit reliquias. Atque indè surrexit, ut spicas ex

Bientôt elle se lève et retourne aux sillons.
Booz parle à celui qui veillait aux moissons:
Fais tomber, lui dit-il, les épis autour d'elle,
Et prends garde surtout que rien ne te décèle:
Il faut que sans te voir elle pense glaner,
Tandis que par nos soins elle va moissonner.
Epargne à sa pudeur trop de reconnaissance,
Et gardons le secret de notre bienfaisance.
Le zélé serviteur se presse d'obéir;
Par-tout aux yeux de Ruth un épi vient s'offrir.
Elle porte ces biens vers le toit solitaire
Où Noémi cachait ses pleurs et sa misère.
Elle arrive en chantant: Bénissons le Seigneur,
Dit-elle; de Booz il a touché le cœur.

A glaner dans son champ ce vieillard m'encourage;
Il dit que sa moisson du pauvre est l'héritage.
De son travail (1) alors elle montre le fruit.
Oui, lui dit Noémi, l'Éternel vous conduit:

Il veut votre bonheur; n'en doutez point, ma fille.
Le vertueux Booz est de notre famille;

Et nos lois..... Je ne puis vous expliquer ces mots : Mais retournez demain dans le champ de Booz :

more colligeret. Præcepit autem Booz pueris suis, dicens.... De vestris manipulis projicite de industriâ, et remanere permittite, ut absque rubore cclligat.

(1) Portan's reversa est, et ostendit socrui suæ ; et dedit ei de reliquiis cibi sui, etc.

Il vous demandera quel sang vous a fait naître ;
Répondez: Noémi vous le fera connaître ;

La veuve de son fils embrasse vos genoux.
Tous mes desseins alors seront connus de vous.
Je n'en puis dire plus : soyez sûre d'avance
Que le sage Booz respecte l'innocence;

Et que vous voir heureuse est mon plus cher désir (1).
Ruth embrasse sa mère, et promet d'obéir.
Bientôt un doux sommeil vient fermer sa paupière.
Le soleil n'avait pas commencé sa carrière,
Que Ruth est dans le champ. Les moissonneurs lassés
Dormaient près des épis autour d'eux dispersés:
Le jour commence à naître; aucun ne se réveille.
Mais, aux premiers rayons de l'Aurore vermeille,
Parmi ses serviteurs Ruth reconnaît Booz.
D'un paisible sommeil il goûtait le repos ;
Des gerbes soutenaient sa tête vénérable;
Ruth s'arrête : O vieillard, soutien du misérable,
Que l'ange du Seigneur garde tes cheveux blancs!
Dieu, pour se faire aimer doit prolonger tes ans.
Quelle sérénité se peint sur ton visage !

Comme ton cœur est pur, ton front est sans nuage.
Tu dors, et tu parais méditer des bienfaits:
Un songe t'offre-t-il les heureux que tu fais ?

(1) Filia mea, quæram tibi requiem, et providebo ut benè sit tibi. Booz iste propinquus noster est, etc.

Id. et Égl.

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