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sculpteurs d'Arles le motif des trois patriarches. Ce qui le prouve clairement, c'est les trois patriarches sont séparés l'un de l'autre par un arbre, exactement comme dans les fresques du Mont Athos ou dans la mosaïque byzantine de Florence. Ces arbres sont une antique image du Paradis, conçu par l'Orient comme un jardin. La façade de la cathédrale de Nimes, dont l'appareil semble romain, est décorée d'un fronton presque antique; sous le fronton, court une frise de personnages, qui rappelle celles des temples. Cette frise raconte les origines du monde et l'histoire des fils d'Adam. Un de ces bas-reliefs nous montre l'offrande de Caïn et d'Abel au Seigneur; ils présentent l'un la gerbe et l'autre l'agneau à la grande main de Dieu (fig. 28). L'œuvre

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est si rude qu'on commence par croire à une création de l'artiste roman, mais si on l'examine avec attention on y découvre des détails qui semblent venir d'un monde beaucoup plus ancien que la France du XII° siècle. C'est ainsi que Caïn et Abel présentent leur offrande sur un voile

en signe de respect,

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comme les serviteurs des rois d'Orient. Quant à cette main qui sort des nuages, cette sorte d'hiéroglyphe de l'intervention divine, elle nous fait remonter aussi à l'antique iconographie orientale.

Et, en effet, si on ouvre les Octateuques byzantins du xr et du xir siècle, on y trouvera Caïn et Abel tels exactement qu'on les voit à Nîmes: c'est la mème tunique et le même manteau, le même voile sous l'offrande, la même main sortant du ciel (fig. 29). Les miniatures de l'Octateuque byzantin ne sont que du x1° ou du XIIe siècle, mais elles reproduisent souvent des originaux du ve ou du vre siècle. C'est certainement le cas ici. Ainsi, dans le bas-relief de Nimes, ce qui nous semble hiératique et mystérieux la symétrie des personnages, le voile de leurs offrandes, la main de Dieu sortant du ciel, tous ces traits sont la marque mème du grave génie de l'Orient.

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1. L'Octateuque de la Bibliothèque du Serail a été publié par Th. Ouspensky, Sofia, 1907, in-4°. L'Octateuque de Smyrne a été publié par C. Hesseling, Leyde, 1909, in-4°.

2. On retrouve, à la façade de Saint-Gilles, Cain et Abel offrant leurs présents. Que l'on compare le bas-relief à la miniature de l'Octateuque de la Bibliothèque du Serail (PI. XI), on reconnaîtra que les deux œuvres sont dentiques.

Jetons maintenant un coup d'œil sur la magnifique façade de Saint-Gilles. Là aussi, nous voyons, au-dessus des colonnes du portique, une frise continue de personnages, qui fait penser, comme à Nîmes, au décor des temples antiques; mais autant la frise de Nîmes est lourde et vulgaire, autant celle de Saint-Gilles est élé

gante et fine. Cette frise de Saint-Gilles représente un sujet qui semble banal, et qui est, au contraire, fort nouveau dans l'art du moyen âge : la Passion de Jésus-Christ. On voit là, tour à tour, l'Arrestation au Jardin des Oliviers, le Jugement de Pilate, la Flagellation (fig. 30), le Portement de croix. Il n'y avait pas longtemps que les sculpteurs représentaient tous ces sujets. On les rencontre quelques années auparavant, à ce qu'il semble, aux chapiteaux du cloître de la Daurade, à Toulouse, puis à la frise de l'église de Beaucaire 2 et aux chapiteaux de Saint-Nectaire. Toutes ces œuvres, qu'on le remarque, appartiennent au Midi de la France. Le Nord ne nous offre rien de pareil. La Bourgogne, par exemple, si riche en chapiteaux historiés, ne nous montre aucune série consacrée à la Passion du Christ. On se trouve donc amené à penser qu'il y a eu, dans le Midi, des manuscrits, enluminés au commencement du XII° siècle, où la Passion tenait une grande place, et où les artistes sont allés chercher l'inspiration. Or, il

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Fig. 28.

Phot. Neurdein.

Cain et Abel présentant leurs offrandes. Cathédrale de Nîmes.

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se trouve qu'un de ces manuscrits méridionaux subsiste encore aujourd'hui à l'état de fragments ce sont les deux pages illustrées du canon de la messe, que conserve le trésor de la cathédrale d'Auxerre. Nous avons dit, plus haut, que le Christ en majesté, entouré des vingtquatre vieillards, était l'œuvre d'un miniaturiste du Midi. C'est la même main qui a dessiné d'un trait nerveux le Christ en croix entouré des scènes de la Passion. Or, si l'on compare ces petits dessins si fins aux bas-reliefs de Saint-Gilles, on sera frappé de leurs ressemblances (fig. 31). La Flagellation, notamment, est, dans les deux cas, presque identique : le Christ, le torse nu, n'est pas placé, comme il le sera plus tard, derrière la colonne, mais sur le côté, et il l'entoure

I. Aujourd'hui au Musée.

2. Encastrée dans le mur de l'église du xvIIe siècle.

3. P. 8.

Phot. Catala frères.

Fig. 29. Caïn et Abel présentant leurs offrandes. Miniature de l'Octateuque de la Bibliothèque du Serail.

de ses deux bras; la colonne n'est pas grèle, comme elle apparaîtra bientôt, mais robuste comme un pilier d'église; les bourreaux sont vêtus d'une courte tunique, serrée à la taille, et l'une de ces tuniques est décorée, dans le bas, d'une bande ornée. Tous ces détails se retrouvent pareils dans le bas-relief et dans le dessin'. Il faut noter aussi que la scène du Jugement de Pilate est, dans les deux cas, malgré des différences de détail, conçue de la même manière. Tout y est mouvement. Le Christ n'est pas immobile devant son juge, mais deux soldats l'amènent brutalement devant le tribunal; l'un d'eux, la tète haute, marche en avant de l'accusé et l'entraîne, sans lui jeter un regard, l'autre le pousse par derrière. De pareilles ressemblances ne sauraient être mises sur le compte du hasard; il est évident que

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Fig. 30.

Jésus conduit devant Pilate. La Flagellation. Bas-relief du portail de Saint-Gilles 2.

les sculpteurs de Saint-Gilles ont consulté un manuscrit qui s'apparentait au fragment d'Auxerre.

Il nous reste un autre exemple, un peu tardif, il est vrai, de ces manuscrits illustrés dans le Midi, où la Passion de Jésus-Christ tenait une grande place. Je veux parler de la Vie de Jésus-Christ, enluminée à Limoges, que le comte de Bastard a publiée jadis3. L'œuvre est des environs de 1200; elle est, par conséquent, postérieure aux bas-reliefs de Saint-Gilles et à toutes les Passions sculptées dans le Midi. Dans le manuscrit de Limoges, on voit poindre l'iconographie nouvelle, mais on retrouve aussi plus d'un souvenir de l'ancienne. C'est ainsi que le Portement de croix, qui ne figure pas dans le fragment d'Auxerre, se rencontre dans le manuscrit de Limoges; or, la croix, élargie à ses extrémités, a précisément la forme qu'on

A l'un des portails de Saint-Jacques de Compostelle, la Flagellation est représentée de la même manière. 2. Monuments Piot, VIII, Pl. 21 (Paris, Leroux).

1.

3. Histoire de Jésus-Christ en figures, publiée par le comte A. de Bastard, Paris, 1879, in-fol. Le manuscrit est passé dans la collection Pierpont Morgan.

lui voit, je ne dis pas à Saint-Gilles, où elle est devenue indistincte, mais au basrelief de Beaucaire.

Ainsi le Midi a eu, au commencement du XII° siècle, ses manuscrits illustrés de la Vie de Jésus-Christ, où la Passion tenait, pour la première fois, une grande place.

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en occupe le centre, assise comme une reine, et deux anges se tiennent à sa droite et à sa gauche; les apôtres l'accompagnent et sont assis comme elle (fig. 32).

Cette grandiose composition, qui semble nous ouvrir le ciel, a un caractère si monumental, elle semble si bien faite pour la place qu'elle occupe, qu'on n'imagine pas un seul instant qu'elle puisse venir d'ailleurs.

Examinons pourtant une fresque qui décore l'abbaye de Lavaudieu, près de

1. Gazette archéologique, 1887, Pl. 19 (Paris, Librairie centrale des Beaux-Arts).

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Le Christ entre les quatre animaux. La Vierge et les Apôtres. Portail de Charlieu (Loire).

Phot. Giraudon.

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