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sait, tout se demandait, tout se conférait en vue des élections. N'était-il pas temps de secouer le double joug qui asservissait les députés aux ministres et les ministres aux députés ?

M. de Montalembert finissait par ces nobles paroles :

«Je dis au ministère : Entrez résolument dans la voie de la réforme ; vous y succombrez peut-être comme sir Robert Peel, mais en dotant votre pays de larges progrès, en faisant à vos successeurs la nécessité de les féconder, et en vous ménageant un retour triomphant aux affaires. C'est là une glorieuse mission, digne de tous ceux qui représentent la révolution de Juillet, à laquelle nous devons deux grandes choses, l'ordre et la paix. »

Ces reproches si dignes, ce blâme d'autant plus sérieux, qu'on ne pouvait l'attribuer à l'esprit de parti, mais seulement aux indignations et aux inquiétudes d'un esprit honnête et élevé, M. Guizot chercha à les repousser. Une session. dit M. le ministre,dans la quelle une Chambre nouvelle et un ancien cabinet se trouvaient en présence, dans laquelle l'action commune et intime de ces deux éléments était si difficile, comme il arrive toujours après une longue durée de gouvernement, ne pouvait produire beaucoup de résultats immédiats. Beaucoup de questions avaient été posées, préparées : elles seraient résolues dans le cours de la session précédente. Parmi les principales, on pouvait placer la question de la liberté de l'enseignement, celle de l'émancipation coloniale, celle du régime pénitentiaire, celle du régime des douanes. Quoi d'étonnant que les solutions fussent lentes, difficiles, laborieuses, à travers tous les obstacles qui se pressaient devant le but?

Quant aux reproches de corruption, M. le ministre le repoussait, et pensait que, malgré quelques abus partiels, les élections représentaient sincèrement la volonté du pays. (2 août).

Le budget des dépenses fut adopté, le 4 août, à la majorité de 105 voix contre 16, et, le 7 août, il en fut de même pour le bndget des recettes (115 contre 7).

Règlement définitif du budget de 1845. En résumé, les recettes de cette année se trouvaient fixées à 1,323,312,174 fr., et les dépenses pour les services ordinaires étaient portées à

1,287.888,117 fr., ce qui donnait un excédant final de recettes de 4,335,329 fr. Cet excédant serait reporté au budget de 1846 en décroissement de ses ressources. L'avance du trésor pour les grandes lignes de chemins de fer et les autres services extraordinaires soumis au régime de la loi de 1842 était fixée définitivement, pour l'année 1845, à la somme de 100,480,587 fr. Le gouvernement proposait de porter cette somme à un compte distinct qui resterait à la charge de la dette flottante jusqu'à cè que ses ressources pussent y être appliquées.

Le projet fut adopté le 19 août.

CHAPITRE V.

Esprit et résultat de la session.

Statistique des travaux des deux

Chambres.

Une majorité nouvelle par sa force relative comme par une portion considérable de ses membres, des affaires nouvelles auxquelles devrait s'appliquer l'activité de cette majorité : tels étaient les éléments que rencontrait le ministère au début de cette législature. Le ministère, dans sa composition et par ses intentions, était-il en harmonie avec ces éléments de la situation qui allait s'ouvrir? Aux yeux de quelques-uns, il ne réunissait pas les conditions de cohésion, de vigueur et d'unité, qu'une phase nouvelle d'activité politique semblait réclamer.

L'intérêt pratique de la session allait se concentrer sur les questions d'intérêt matériel, sur les difficultés qu'amenaient les conséquences d'une mauvaise récolte, sur les embarras de la situation financière. On pouvait espérer qu'à propos de ces nécessités fâcheuses la Chambre des députés inaugurerait dignement les grandes discussions économiques. On pouvait compter enfin que cette année du moins la Chambre accorderait un examen sérieux au budget des recettes, qu'elle laisse passer chaque année avec une légèreté regrettable.

Dans la commission de l'adresse le ministère ne rencontra pas d'opposants, mais il se vit en face d'exigences auxquelles il n'était pas complétement en mesure de répondre. On lui demanda sur quelles réformes pratiques il avait arrêté sa pensée, par quels projets de loi importants il devait occuper la Chambre. Dans ses calculs, il avait trop compté, peut-être, sur l'affaire des mariages espagnols: il n'avait pas suffisamment tenu compte de l'impatience, de l'activité naturelle d'une Chambre récemment élue, qui avait hâte d'affirmer son esprit et son pouvoir.

Un travail assez grave ne tarda pas à se manifester dans la composition des partis.

Avant même que les premiers débats de l'adresse eussent touché la question des mariages espagnols, le bruit courut d'une scission profonde établie dans les rangs de l'opposition. Deux hommes éminents, MM. Dufaure et Billault, s'apprètaient, disait-on, à rallier un parti nouveau qui échapperait à l'influence de l'ancien président du 1er mars. Y aurait-il dans cette scission un acte politique sérieux ou un coup de tactique? Voulait-on seulement former un tiers parti, ou aspirait-on à fonder une opposition véritable? Une vive curiosité s'attacha donc aux explications données par les prétendus chefs de l'opposition nouvelle. Il n'en résulta ce fait que, malgré quelques différences dans l'appréciation de la politique extérieure du gouvernement, l'opposition dynastique se refusait à abdiquer sa force par des dissentions stériles.

Le ministère obtint dans le vote de l'adresse la majorité la plus considérable que l'on eût vue depuis dix-sept ans. Il importait d'autant plus que cette majorité fût active et prévoyante. C'est ce que parut désirer une fraction des conservateurs nou

veaux.

M. de Castellane exprima avec vérité et bonheur les dispositions avec lesquelles la portion la plus jeune du parti conservateur entrait dans la vie publique, « avec la fidélité des anciens combattants, mais sans les passions des anciennes luttes. »

Cette partie de la majorité souhaitait de plus en plus que le ministère se plaçât à la tête de ce progrès politique qui, dans un gouvernement constitutionnel, est le signe de sa force comme la condition de sa durée. En tardant à sanctionner ces vœux de sages réformes, on risquait peut-être, sans accroître la force du parti conservateur, de donner une prépondérance morale à l'opposition.

Il n'y avait pas à se le dissimuler, quelques unes de ces réformes ne pouvaient être classées parmi les machines de parti : c'est le pays tout entier qui demandait, par exemple, la réduc

tion de l'impôt du sel, la réforme postale. La réduction du droit sur le sel était surtout reconnue nécessaire par la majorité des esprits. Un vote presque unanime de la Chambre et les délibérations des conseils généraux ne permettaient aucun doute sur ce point. Cette réforme n'était-elle pas en elle-mème éminemment conservatrice, et, en en prenant l'initiative, le Cabinet n'eût-il pas arboré un principe bien fait pour assurer son influence sur les classes pauvres : le principe du dégrèvement des droits qui renchérissent artificiellement la nourriture du peuple.

Le premier essai que les conservateurs progressistes firent de leur force eut lieu à l'occasion d'une question de procédés.

L'entrée de M. Hébert au ministère laissa vacante la viceprésidence de la Chambre élective. Cette dignité parlementaire prend tous les jours de plus en plus l'importance d'une candidature ministérielle. Le Cabinet crut devoir arrêter son choix sur M. Duprat mais ce choix, par cela même qu'il paraissait imposé par l'administration, fut loin de rencontrer une approbation générale chez les membres nouveaux de la majorité. Une fraction des conservateurs portait M. de Belleyme qui n'obtint, au premier tour de scrutin, que 43 voix. Des suffrages se disséminèrent sur plusieurs membres de la majorité, qui votait sans ensemble et sans accord. L'opposition, elle, n'avait qu'un seul candidat, et l'avait bien choisi. Elle réservait toutes ses voix à M. Léon de Maleville, qui fut nommé, après trois tours de scrutin, à la majorité de 179 voix contre 178.

L'échec inattendu subi par le cabinet donna la mesure des dangers qu'une union, même momentanée, des conservateurs progressistes à l'opposition, pourrait faire courir au gouverne

ment.

Cet incident au sujet de la vice-présidence donna plus de gravité aux débats sur la proposition de M. Duvergier de Hauranne. Les conservateurs, qui venaient de se séparer du cabinet sur une question de personnes, persévéreraient ils dans cette dissidence sur une question de principes?

Au début de la session, M. Duvergier de Hauranne avait ap

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